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Liban : où en est l'enquête après les explosions meurtrières qui se sont produites à Beyrouth ?

Les investigations ont tout juste débuté, mais la presse relève que les 2 700 tonnes de nitrate d'ammonium entreposées dans un hangar du port depuis six ans n'avaient fait l'objet d'aucun suivi.

Article rédigé par franceinfo
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Une rue de Beyrouth (Liban) le 7 août, trois jours après la double explosion qui a fait plus de 150 morts et des milliers de blessés. (HOUSSAM SHBARO / ANADOLU AGENCY)

L'indignation domine. En colère, les Libanais réclament désormais des comptes à leurs dirigeants, après la double explosion meurtrière dans le port de Beyrouth, mardi 4 août. La catastrophe a fait au moins 154 morts, plus de 5 000 blessés et 300 000 sans-abri, selon le dernier bilan du ministère de la Santé libanais, samedi 8 août. En cause, semble-t-il, l'incendie dans un dépôt de 2700 tonnes de nitrate d'ammonium, entreposées dans le port depuis six ans.

Mais, alors que la thèse accidentelle était jusque-là privilégiée, le président libanais Michel Aoun a évoqué vendredi l'hypothèse "d'une action extérieure, avec un missile ou une bombe". Dans le même temps il a rejeté l'enquête internationale "transparente" réclamée par le président français Emmanuel Macron lors de sa visite à Beyrouth jeudi. Où en est l'enquête et que sait-on de ce qui a provoqué ce drame ? Le point sur les informations disponibles, alors que la population libanaise pointe l'incurie et la corruption de sa classe politique.

Des tonnes de nitrate d'ammonium entreposées depuis 2014

"Le gouvernement a annoncé la mise en place d'une commission d’enquête administrative présidée par le Premier ministre, qui devrait rendre son rapport d'ici cinq jours.  Mais personne n'y croit vraiment", synthétise le quotidien libanais L'Orient Le Jour, dans un long article (accessible gratuitement) sur les responsabilités potentielles du drame. En attendant, la recherche du bouc émissaire potentiel bat son plein. Les dirigeants du port et des douanes, notamment, se rejettent mutuellement la responsabilité du stockage de ces matières dangereuses sans précaution ni garantie. 

Revenant sur la genèse de ce stockage, L'Orient Le Jour explique que les 2 700 tonnes de nitrate d'ammonium étaient "entreposées au port de Beyrouth depuis 2014". Elles avaient été déchargées "d'un cargo  appartenant à un ressortissant russe, un certain Igor Grechushkin". Venant de Géorgie, le bateau "battant pavillon moldave" faisait route vers le Mozambique, mais il était dans un tel état qu'il lui a été interdit de poursuivre le voyage. En ruines, le cargo (qui sera ultérieurement coulé dans le port de Beyrouth), est abandonné par son propriétaire, tout comme le contenu, qui a alors été entreposé "dans le hangar numéro 12 du port de Beyrouth". Et ensuite ? Le directeur des douanes, Badri Daher, affirme au quotidien libanais qu'il a alerté "à six reprises" la justice libanaise sur les dangers de cette cargaison entre 2014 et 2017. En vain, selon lui. "Quoi qu'il en soit depuis 2017, ni la direction des Douanes ni le ministère des Transports n'ont fait le moindre suivi", écrit L'Orient Le Jour.

Les autorités portuaires, selon France 24, affirment de leur côté avoir proposé d’offrir cette cargaison à l’armée libanaise ou de la revendre à une entreprise spécialisée dans la fabrication d’explosifs. Là encore, sans succès. La dernière mise en garde date d'il y a six mois. Une équipe d’inspecteurs avait, encore une fois, tiré la sonnette d’alarme soulignant qu’il y avait suffisamment de nitrate d’ammonium “pour faire sauter toute la ville”, affirme l’agence Reuters en citant une source portuaire anonyme. 

Une vingtaine de personnes arrêtées

Pour l'instant, une vingtaine de fonctionnaires du port et des douanes ont été interpellés. Certains ont été arrêtés, d'autres assignés à résidence, selon des sources judiciaire et sécuritaire libanaise. Parmi eux, le directeur général des douanes Badri Daher, qui a été placé en détention provisoire, et le président du conseil d'administration du port, Hassan Koraytem.

Parmi ces personnes interpellées figurent les "responsables du conseil d'administration du port de Beyrouth et de l'administration des douanes, et des responsables des travaux d'entretien et des [ouvriers] ayant effectué des travaux dans le hangar numéro 12", où étaient stockées les 2 700 tonnes de nitrate d'ammonium, a précisé le procureur militaire Fadi Akiki dans un communiqué. Mais il n'a pas donné leur identité, ni précisé quelles étaient les accusations à leur encontre.

Ce procureur a également évoqué, jeudi 6 août dans un communiqué, la présence, outre du nitrate d'ammonium, de "matériaux hautement inflammables et des mèches lentes". Il interroge des dizaines de personnes, a indiqué vendredi une source judiciaire à l'AFP, assurant que "des personnes haut placées" pourraient être arrêtées. Il relève un partage de la responsabilité entre "responsables administratifs, sécuritaires au port et des politiciens au pouvoir, qui étaient au courant".

La thèse d'un "missile" évoquée par le président Aoun, qui rejette toute enquête internationale

Alors que les autorités affirmaient jusqu'à présent que l'explosion avait été provoquée par un incendie dans un énorme dépôt de nitrate d'ammonium, donc par accident, le président libanais Michel Aoun a pointé la possibilité d'une "action extérieure", vendredi 7 août, lors d'une conférence de presse. "Il est possible que cela ait été causé par la négligence ou par une action extérieure, avec un missile ou une bombe", a-t-il déclaré.

"Michel Aoun a même demandé à Emmanuel Macron de lui fournir les images satellites de la scène de l’explosion, pour vérifier s’il s’agit d’une négligence ou d’une intervention extérieure", précise la journaliste de France 2 dans la vidéo ci-dessous.  A la tête d'un pouvoir conspué par une grande partie de l'opinion publique, Michel Aoun a également rejeté toute enquête internationale car, selon lui, elle "diluerait la vérité".

Michel Aoun n'a pas précisé la provenance du "missile" supposé. "Israël n'a rien à voir avec cet incident", a annoncé à l'AFP une source gouvernementale israélienne, alors que le pays a été pointé du doigt par certains accusateurs après la double explosion. L'Etat hébreu a proposé une aide humanitaire au pays du Cèdre, un voisin avec lequel il n'a pourtant pas de relations diplomatiques.

De son côté, le chef du mouvement libanais du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a "nié catégoriquement", vendredi 7 août, que son organisation possédait un "entrepôt d'armes" dans le port de Beyrouth. "Je nie totalement, catégoriquement, qu'il y ait quoi que ce soit à nous dans le port, ni entrepôt d'armes, ni entrepôt de missiles (...) ni une bombe, ni une balle, ni nitrate" d'ammonium, a martelé le chef du Hezbollah dans une allocution télévisée, après des accusations dans les médias ou au sein de l'opinion publique pointant du doigt l'influent mouvement chiite libanais.

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