Témoignages Guerre Israël-Hamas : six mois après l'attaque du 7 octobre, des vies brisées d'un côté comme de l'autre

Article rédigé par Thibault Lefèvre
Radio France
Publié
Temps de lecture : 3 min
Almog en famille dans l'appartement de Jérusalem (Israël) où elle habite en ce moment. Avril 2024 (THIBAULT LEFEVRE / RADIO FRANCE)
Il y a six mois, jour pour jour, que l'attaque terroriste du Hamas a déclenché une offensive de grande ampleur de l'armée israélienne sur la bande de Gaza. Derrière les chiffres des victimes et les images de destructions, il y a des vies brisées, côté israélien et côté palestinien.

Deux femmes, deux trajectoires de vie brisées. L'une est palestinienne : elle s'appelle Oum Ahmad, et a dû abandonner sa maison du nord de la bande de Gaza dès les premiers bombardements israéliens. La seconde, Almog, est israélienne et a subi l'attaque du Hamas dans son kibboutz de Nirim.

Avant de commencer à se confier, Oum Ahmad sort un objet qu'elle conserve précieusement dans une poche zippée de son sac : "La clé est là. C'est la clé de ma maison à Gaza. Je vais la porter pour que je puisse parler", explique-t-elle. Beaucoup de familles de Gaza possèdent depuis 1948 la clé d’une maison abandonnée aux Israéliens, désormais souverains dans ce qui était, à l’époque, la Palestine mandataire. "De génération en génération, on la garde. La clé, ça veut dire le droit au retour. On va revenir !", affirme-t-elle, émue.

L'exil en Égypte

La maison d’Oum Ahmad est à Beit Lahiya, dans le nord de l’enclave. Elle l’a abandonnée dans les premières heures du 7 octobre. "Là où on habite, c’est vraiment à côté des frontières. Alors on a été les premiers à avoir été exposés aux bombardements", explique-t-elle. S’ensuivent deux mois d’errance, toujours plus au sud, en famille, avec deux enfants en bas âge. D’abord dans une maison de la ville de Gaza, puis dans une école de Deir-Al Balah, avec des milliers d’autres déplacés. Les bombardements sont incessants. "Ma cousine est morte avec son mari, ses enfants, sa belle-mère, sa belle-famille… Tous !"

La mort est partout, il n’y a plus rien à manger. Oum Ahmad ayant la nationalité égyptienne, elle décide de partir et rejoint le poste-frontière de Rafah. "La situation est devenue tellement difficile qu’on a pris la décision de partir à pied, explique-t-elle. Tout le long du trajet, on voyait des cadavres, des destructions, un vrai cauchemar."

"On se demande quand on va revenir, quand ils vont décider d’un cessez-le-feu. Je n’arrive pas à croire que je ne vais pas rentrer chez moi."

Oum Ahmad, Palestinienne réfugiée en Égypte

à franceinfo

Elle aura passé deux mois dans l’enfer de Gaza, avant de s’installer chez une amie dans la grande banlieue du Caire. "Les enfants, quand on est rentrés chez cette amie, me disaient : 'Ah maman, il n’y a pas de coupure d’électricité, il y a toujours de l’eau, on peut regarder la télévision toute la journée !' On a commencé à chercher du travail, parce qu’on ne va pas rester comme ça. Mais d’un autre côté, je suis toujours en contact avec Gaza. On cherche des nouvelles." Aujourd’hui, Oum Ahmad loue une maison et accueille régulièrement d’autres réfugiés de Gaza, qui, comme elle, espèrent pouvoir retourner chez eux.

"Je ne veux pas retourner au kibboutz"

Autre histoire d’exil, cette fois du côté israélien, celle d’Almog. Attaquée dans son kibboutz de Nirim le 7 octobre, elle a passé 12 heures enfermée dans son abri avant d’être sauvée par l’armée. Aujourd’hui, elle erre d’hôtel en maison et ne sait pas si elle reviendra chez elle. C’est une conversation décousue car, régulièrement, Almog se lève, ouvre la fenêtre de son nouvel appartement de Bet Shemesh, à l’ouest de Jérusalem, et chasse les pigeons de la terrasse. Elle ne supporte pas la présence de ces volatiles qui n’existaient pas à Nirim : "Oui, je surveille les pigeons. Je les déteste. En fait, j’ai juste envie qu’ils meurent".

Almog ne s’est pas remise du massacre du 7 octobre. Cinq membres de son kibboutz ont été tués et cinq autres ont été enlevés. "Les terroristes sont venus dans ma maison. J’ai retenu la porte de l’abri pendant 12 heures jusqu’à l’arrivée des secours. J’étais avec mes deux enfants et ma mère. Je ne veux pas retourner au kibboutz", confie-t-elle. Après avoir vécu trois mois et demi dans un hôtel de la cité balnéaire d’Eilat, Almog a décidé de voler de ses propres ailes, pour ne pas subir des décisions collectives qui l’aurait contrainte à rentrer à Nirim. 

"À partir du moment où j’ai décidé de ne plus être dans la communauté, je n’ai plus été aidée. C’est le grand vide. Je ne sais pas quoi faire de ma vie."

Almog, Israélienne relogée à Jérusalem

à franceinfo

Il y a trois semaines, son fils de 9 ans, Sahar, a sauté de deux étages, alors qu’il était dans sa nouvelle école. "Le psychiatre a dit qu’il n’était pas suicidaire. Il souffre. Il ne peut pas contrôler ses émotions. Il a été submergé par la colère et il s’est jeté par la fenêtre." Sahar n’a pas été blessé, mais il a exprimé peu de temps après son envie de revenir à Nirim, de retrouver ses copains et de regoûter à sa vie d’avant. Mais pour le moment, pour sa maman c’est tout simplement impossible.

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