Chirurgien, journaliste, enfant... Ces Palestiniens morts depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas dans la bande de Gaza

Depuis le 7 octobre, l'offensive israélienne dans le territoire palestinien a fait au moins 40 000 victimes, a annoncé le gouvernement du Hamas. Franceinfo dresse le portrait de sept Gazaouis disparus.
Article rédigé par Elise Lambert
France Télévisions
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(De gauche à droite) Heba Zagout, Heba al-Abadla, Hind Rajab, Mustafa Fawzi al-Kurd et Adnan al-Bursh. (HELOÏSE KROB / FRANCEINFO)

Des visages et des vies derrière les chiffres. Au moins 40 000 Palestiniens sont morts depuis le début de la guerre lancée par Israël dans la bande de Gaza en représailles aux attaques terroristes du Hamas le 7 octobre, d'après les chiffres communiqués jeudi 15 août par le ministère de la Santé du gouvernement gazaoui, dirigé par le mouvement islamiste. Tués lors de frappes israéliennes, morts de faim en raison des restrictions d'aide humanitaire imposées par l'Etat hébreu, ou détenus en prison... Ces enfants, ces femmes et ces hommes ont trouvé la mort lors du conflit le plus meurtrier qu'ait connu l'enclave palestinienne depuis 2006, rappelle l'Unicef.

Parmi les 40 000 morts, plus de 14 500 étaient des enfants et 9 500 des femmes, selon le bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires. Des milliers d'autres personnes sont encore portées disparues, ce qui suppose que le nombre total de morts pourrait être sous-estimé, précise l'agence de l'ONU. Selon ses estimations, un enfant est blessé ou tué toutes les dix minutes dans la bande de Gaza, et plus de 90 900 personnes ont été blessées depuis le début du conflit. Franceinfo retrace l'histoire de six de ces victimes civiles.

Yazan al-Kafarneh, 10 ans, le visage de la famine à Gaza

Yazan al-Kafarneh, 10 ans, à l'hôpital al-Awda à Rafah, le 29 février 2024. (AFP)

Les photos de Yazan al-Kafarneh, squelettique, sur son lit d'hôpital à Rafah, sont devenues le symbole de la famine dans la bande de Gaza. Le garçon de 10 ans est mort en mars, après de longues semaines d'agonie, raconte le New York Times. Né avec une paralysie cérébrale, il était contraint de suivre un régime alimentaire spécial et de prendre des médicaments. Mais en raison des restrictions sur les livraisons d'aide alimentaire imposées par Israël, le jeune Gazaoui ne pouvait plus avoir accès à la nourriture et aux soins vitaux pour sa santé.

Le prix des aliments mous dont il se nourrissait avant la guerre, comme les bananes, avait grimpé en flèche. "Il vivait de bouts de pain que nous trouvions avec beaucoup de difficultés et obtenions à des prix extrêmement élevés", raconte un membre de sa famille auprès du site Middle East Eye. En février, ses proches l'avaient emmené à l'hôpital d'al-Adwa de Rafah pour être soigné. Il souffrait d'une pneumonie, aggravée par la faim et sa santé fragile. Il y est mort quelques jours plus tard.

Hind Rajab, 6 ans, tuée par un tir israélien après avoir appelé les secours

Un manifestant propalestinien porte le portrait d'Hind Rajab, fillette palestinienne tuée par une frappe israélienne dans la bande de Gaza, lors d'une mobilisation à New York, le 10 juin 2024. (CRISTINA MATUOZZI / SIPA USA / SIPA)

Son appel avait ému le monde entier mais n'a pas suffi à changer le cours de la guerre. Le 29 janvier, Hind Rajab, 6 ans, s'est retrouvée seule, coincée dans une voiture dans la ville de Gaza. Autour d'elle dans l'habitacle, six membres de sa famille viennent d'être tués par des tirs de l'armée israélienne. Le véhicule est encerclé de chars et la fillette est elle-même blessée, raconte Al Jazeera. Hind Rajab attrape un téléphone et appelle le Croisant-Rouge palestinien. "Venez me chercher, venez, j'ai tellement peur !" supplie-t-elle. "Ils sont tous morts, il y a du sang partout, il y a des tirs". 

Mais les secouristes du Croissant-Rouge ne se trouvent pas à Gaza. Ils doivent obtenir l'autorisation d'Israël pour intervenir, et le terrain est miné par les combats. L'échange téléphonique durera plus de trois heures, jusqu'à la tombée de la nuit. "Elle m'a demandé de lui promettre que j'allais la sortir de là", expliquera auprès de franceinfo Rana, l'opératrice qui a reçu son appel. Mais, malgré l'autorisation de l'Etat hébreu, l'ambulance envoyée par l'ONG sera prise pour cible et n'arrivera jamais à temps. Hind Rajab sera retrouvée morte une dizaine de jours plus tard.

Mustafa Fawzi al-Kurd, 60 ans, ingénieur de l'UNRWA

Photo non datée de Mustafa Fawzi al-Kurd devant sa maison à Deir el-Balah, dans la bande de Gaza. (KHITAM AL KURD)

Il était connu pour son "intégrité, son honnêteté et son dévouement à sa patrie", loue sur Instagram l'ONG palestinienne Filastiniyat, consacrée aux droits des femmes. Mustafa Fawzi al-Kurd était né le 13 mars 1964 dans le camp de réfugiés de Deir el-Balah, dans le centre de la bande de Gaza. Comme pour tous les Palestiniens nés dans ce camp, "la vie était rude mais il n'avait pas l'habitude de se plaindre", confirme auprès de franceinfo sa nièce, Khitam al-Kurd, qui précise qu'il était "le frère favori de sa mère".

Etudiant en génie civil à l'université de Birzeit, en Cisjordanie occupée, Mustafa Fawzi al-Kurd a été distingué pour la qualité de son travail avant de poursuivre ses études en Allemagne puis à l'université islamique de Gaza, et d'y devenir enseignant. Il disait souvent que l'éducation était le seul moyen de survie pour les Palestiniens. Pendant trente ans, il a travaillé pour l'UNRWA au Liban, en Syrie, en Jordanie, et a aidé à construire des camps pour les réfugiés palestiniens. Père de sept filles et trois garçons, il était surnommé "l'ingénieur qui a battu le record du plus grand nombre d'enfants brillants", car "tous sont ingénieurs, médecins ou enseignants", évoque sa nièce. "Il aimait chanter des chansons folkloriques, était connu pour sa douce voix", poursuit-elle. Le jour de sa mort, le 11 octobre 2023, il était réuni avec plus de 18 membres de sa famille lorsque sa maison à Deir el-Balah a été bombardée par l'armée israélienne. Personne n'a survécu.

Adnan al-Bursh, 50 ans, éminent chirurgien mort en captivité

Capture écran de la vidéo Youtube de Speak for Palestine, sur le médecin Adnan al-Bursh, exerçant à l'hôpital al-Shifa de la ville de Gaza, en juin 2024. (SPEAK FOR PALESTINE)

Il était le chef du service orthopédique de l'hôpital al-Shifa de Gaza. Le docteur Adnan al-Bursh est mort alors qu'il était détenu à la prison d'Ofer en Cisjordanie occupée, ont annoncé deux ONG de défense des prisonniers palestiniens, le 3 mai, cite Reuters. Il avait été arrêté quatre mois plus tôt par les forces israéliennes pour des raisons de "sécurité nationale". Les ONG ont accusé Israël d'être responsable de sa mort, et de procéder à un "ciblage systématique contre les médecins et le système de santé à Gaza", rapporte CNN. "Le docteur Adnan aimait la vie, était joyeux et était aimé de tous", a déploré l'un de ses collègues auprès de CNN. "A partir du 10 octobre 2023, il passait tout son temps à l'hôpital al-Shifa. Il n'a pas vu sa femme pendant deux semaines", a décrit son neveu.

Egalement conseiller sportif pour l'équipe nationale de football palestinienne, père de cinq enfants, il prenait une heure le matin pour faire du sport avant d'aller travailler. Lorsque l'armée israélienne a mené un premier assaut sur l'hôpital al-Shifa, en novembre, Adnan al-Bursh avait décidé de rester pour s'occuper des blessés. Selon plusieurs témoignages, il aurait été torturé en prison. Sur X, son dernier message était un dessin de lui portant sa blouse blanche au milieu des ruines de Gaza. Il y écrivait : "Nous mourrons en restant debout et nous ne nous agenouillerons pas".

Selon le gouvernement du Hamas, sur les 20 000 professionnels de santé que comptait le territoire avant la guerre, 500 ont été tués depuis le 7 octobre et plus de 300 sont détenus par Israël, cite le New York Times. Selon l'ONU, plus de 1 000 attaques contre les établissements de santé palestiniens ont été recensées depuis le début de la guerre.

Heba Zagout, 39 ans, peintre dont l'œuvre exposait l'identité palestinienne

Capture écran de la vidéo Youtube de Palestinian Artists, sur Heba Zagout, le 2 août 2024. (HEBA ZAGOUT)

"A travers l'art, je peux transmettre un message au monde entier, exprimer la cause et l'identité palestinienne", décrivait Heba Zagout dans une vidéo diffusée sur YouTube. L'artiste et éducatrice palestinienne a été tuée dans une frappe israélienne dans la ville de Gaza avec deux de ses enfants, Adam et Mahmoud, six jours après le début de la guerre. Née dans le camp de réfugiés de Bureij, Heba Zagout a grandi en écoutant ses aînés raconter l'histoire de la création d'Israël en 1948, retrace Middle East Eye. En 2003, elle obtient un diplôme en graphisme puis un bachelor en art à l'université al-Aqsa de Gaza. Elle devient ensuite professeure d'art dans une école primaire, et continue de peindre pour raconter la vie des Palestiniens, et aider sa famille à subvenir à ses besoins en vendant ses tableaux.

Dans ses œuvres colorées, elle peignait la ville de Jérusalem, la mosquée al-Aqsa, des scènes de la vie quotidienne, des portraits de femmes, certaines tenant une colombe, symbole de la paix. "Quand je peins, j'essaye d'évacuer les émotions et sensations négatives et les tensions qu'on ressent à Gaza", racontait-elle. Elle était devenue célèbre ces dernières années grâce aux réseaux sociaux, raconte le Guardian. Sur son compte Instagram, sous un tableau dans lequel est représentée une Palestinienne en habit traditionnel, elle écrivait : "Je suis née avec le mot 'réfugié' en moi. Je n'ai jamais vu ma ville natale d'Ashdod, mais ma tante, Alia, nous rassemblait, nous parlait de la terre de mon grand-père et des vergers d'orangers, de la saison des récoltes et d'une maison pleine d'amour et de vie." 

Heba al-Abadla, 30 ans, journaliste, cofondatrice du Social Club Palestine

Capture écran du compte Facebook du Social Media Club Palestine, montrant la journaliste Heba al-Abadla, le 10 janvier 2024. (SOCIAL MEDIA CLUB PALESTINE)

"Heba a laissé une empreinte sur le Social Media Club que nous n'oublierons jamais et dont nous nous souviendrons toujours", écrit l'organisation gazaouie, spécialisée dans la formation aux médias et au numérique sur son compte Facebook. Heba al-Abadla était la cofondatrice de cette association. Elle a été tuée le 9 janvier avec sa petite fille Judy, âgée d'une dizaine d'années. Elle s'était réfugiée dans la maison de son oncle à Khan Younès, quand un bombardement israélien a visé l'habitation, tuant sur le coup soixante autres membres de la famille qui s'y étaient reclus, raconte Mediapart.

La journaliste était également présentatrice pour la radio locale al-Azhar. Peu de temps avant son mort, elle écrivait à l'une de ses collègues : "Nous vivons sous le bruit des obus et des affrontements, les restes des maisons prises pour cible et leurs décombres qui nous tombent sur la tête, l'odeur de la poudre, sans oublier le bruit des tirs", relate Mediapart. Depuis le 7 octobre, plus de 120 journalistes palestiniens ont été tués dansla bande de Gaza, rappelle Reporters sans frontières. Dans une enquête, Forbidden Stories, un consortium de médias internationaux dont Radio France fait partie, a révélé que l'armée israélienne ciblait et menaçait délibérément les journalistes dans la bande de Gaza, ce qui constitue un crime de guerre. L'armée israélienne réfute ces accusations.

Hiba Abu Nada, 32 ans, romancière et poétesse

Capture écran de la vidéo YouTube "Lumières de Gaza", montrant l'écrivaine Hiba Abu Nada, mise en ligne le 16 décembre 2023. (LUMIERES DE GAZA)

"La ville est plongée dans l'obscurité nocturne, à l'exception de l'éclat des missiles ; elle est silencieuse sauf pour le bruit des bombardements, effrayante sauf pour la sérénité des prières, noire sauf pour la lumière des martyrs", écrivait l'auteure Hiba Abu Nada sur X, le 8 octobre 2023. Romancière, poétesse et éducatrice, la jeune femme a été tuée le 20 octobre par une frappe israélienne à Khan Younès. Née à La Mecque, en Arabie saoudite, elle venait d'une famille de réfugiés palestiniens déplacés du village de Bayt Jirja lors de la Nakba en 1948, raconte le collectif Palestine Writers. Elle avait obtenu un diplôme en biochimie puis en nutrition à l'université à Gaza. En 2016, son roman L'oxygène n'est pas pour les morts, lui avait valu le deuxième prix Sharjah pour la créativité arabe, décerné aux Emirats arabes unis, retrace le site Actualitte.

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