Guerre au Proche-Orient : comment le spectre d'une offensive d'Israël dans le sud du Liban refait surface après les attaques visant le Hezbollah

Article rédigé par Valentine Pasquesoone, Chloé Ferreux
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
De la fumée s'échappe du village d'Odaisseh, visé par une frappe israélienne, dans le sud du Liban, près de la frontière avec Israël, le 18 septembre 2024. (RABIH DAHER / AFP)
Les explosions de bipeurs, puis de talkies-walkies visant des membres du Hezbollah, mais aussi des déclarations de dirigeants israéliens, font craindre une escalade dans cette zone déjà sous tension.

Sa réaction était particulièrement attendue, après les explosions meurtrières qui ont ciblé des membres de son mouvement. Le chef du Hezbollah libanais, Hassan Nasrallah, a assuré dans un discours, jeudi 19 septembre, que "le front du Liban avec Israël restera ouvert jusqu'à la fin de l'agression à Gaza". L'Etat hébreu "recevra un terrible châtiment", a menacé le leader du mouvement islamiste, allié du Hamas palestinien, tandis que l'aviation israélienne franchissait le mur du son au-dessus de Beyrouth.

Peu avant cette prise de parole, l'armée israélienne a annoncé de nouvelles frappes "sur des cibles du Hezbollah au Liban" et la mort de deux de ses soldats, "tombés au combat" dans le nord d'Israël, dans l'après-midi. Peu de temps après, Tsahal a poursuivi ses raids aériens, disant avoir touché notamment des systèmes lance-roquettes à la frontière, "prêts à être utilisés immédiatement pour tirer sur le territoire israélien". Dans cette nouvelle escalade, une opération israélienne de plus grande ampleur, dans le sud du Liban, est-elle à craindre ? Les actions menées contre le Hezbollah "vont continuer", a prévenu le ministre de la Défense israélien, Yoav Gallant, jeudi soir. "L'éventualité d'une attaque israélienne terrestre n'est absolument pas exclue", assure à franceinfo Adel Bakawan, chercheur associé à l'Institut français des relations internationales (Ifri).

"Mobiliser tous les moyens pour provoquer le Hezbollah"

Les attaques des derniers jours sont "probablement le coup le plus fort jamais porté contre le Hezbollah depuis sa création", a estimé sur France Inter le journaliste Anthony Samrani, rédacteur en chef du quotidien libanais francophone L'Orient-Le Jour. Mardi, des explosions simultanées de bipeurs, un système de radiomessagerie utilisé par le mouvement islamiste, ont touché les bastions de l'organisation au Liban. Le lendemain, ce sont des talkies-walkies qui ont explosé, touchant une nouvelle fois le mouvement soutenu par l'Iran. Le bilan est très lourd, selon le ministère de la Santé libanais : au moins 37 morts, dont deux enfants et des civils, et environ 3 000 blessés. Israël n'a fait aucun commentaire à ce sujet. 

Ces actions laissent planer le spectre d'un conflit qui s'étend davantage au Liban. "On ne peut pas faire une chose pareille, frapper des milliers de personnes et penser que la guerre n'est pas proche", a soutenu le général de brigade israélienne à la retraite Amir Avivi, auprès de l'agence américaine Associated Press. Pour un ancien responsable israélien, cité par le site d'information Axios, "les services de renseignement israéliens prévoyaient d'utiliser les bipeurs piégés" pour le "lancement surprise d'une guerre totale visant à paralyser le Hezbollah".

"Pourquoi ne l'avons-nous pas fait pendant 11 mois ? Parce que nous n'étions pas encore prêts à entrer en guerre. Que se passe-t-il maintenant ? Israël est prêt pour la guerre."

Amir Avivi, général israélien à la retraite

à Associated Press

Le chercheur Adel Bakawan estime que cette attaque contre le Hezbollah pourrait représenter davantage un "prétexte". "L'objectif central, c'est le premier ennemi d'Israël, à savoir l'Iran. Pour faire entrer les Iraniens dans cette guerre-là, il faut absolument mobiliser tous les moyens pour provoquer le Hezbollah", soutient l'expert. Avec ces explosions, l'Etat hébreu veut montrer au mouvement libanais qu'il peut l'attaquer "où il se trouve, à n'importe quel moment et à n'importe quelle échelle". Au-delà du Hezbollah ou de l'Iran, "c'est un message envoyé à toutes les puissances du Moyen-Orient : Israël est technologiquement supérieur", analyse Adel Bakawan.

Après les assassinats fin juillet du chef du Hamas, Ismaël Haniyeh, à Téhéran, et du chef militaire du Hezbollah, Fouad Chokr, à Beyrouth, ces explosions en série réunissent "toutes les conditions pour que les deux côtés de la frontière" entre le Liban et Israël deviennent "un espace sous haute tension", observe Adel Bakawan. "Cette double opération participe fortement à l'escalade", convient-il. Néanmoins, "cela ne change pas les grandes orientations du conflit entre le Hezbollah et Israël", selon lui. Pas plus qu'entre l'Iran et Israël, à ce stade. "La stratégie iranienne, qui est aussi celle du Hezbollah, est de ne pas entrer dans une guerre totale. Nous ne sommes pas dans un tournant majeur, sauf si Israël décide que cet événement en est un."

Le nord d'Israël, nouveau "centre de gravité" de la guerre

Les attaques meurtrières au Liban, ces derniers jours, ne sont pas les seuls éléments récents faisant craindre une escalade entre l'Etat hébreu et le Hezbollah. En début de semaine, le cabinet de sécurité israélien a décidé d'ajouter un point aux objectifs de la guerre menée par Israël : le retour sûr des déplacés du nord du pays à leur domicile. "Israël va continuer d'agir pour mettre en œuvre cet objectif", a affirmé le bureau du Premier ministre, Benyamin Nétanyahou, dans un communiqué.

Des propos appuyés par le ministre de la Défense, Yoav Gallant : "La possibilité d'un accord s'éloigne car le Hezbollah continue de se 'lier' au Hamas et refuse de mettre fin au conflit, a-t-il déclaré, selon un communiqué. Par conséquent, la seule façon de garantir le retour des communautés du nord d'Israël dans leurs foyers sera l'action militaire." A cela s'ajoutent de nouvelles déclarations du ministre sur la région, deux jours plus tard. Mercredi, Yoav Gallant a souligné que le "centre de gravité" de la guerre se déplaçait désormais "vers le nord". "Nous n'avons pas oublié les otages et nous n'avons pas oublié nos missions dans le Sud", a-t-il assuré, ajoutant : "Nous sommes au début d'une nouvelle phase de la guerre."

Le même jour, la 98e division de l'armée israélienne – auparavant positionnée à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza – a été redéployée dans les régions du nord du pays, rapporte The Times of Israel. Et le chef d'état-major de l'armée israélienne, Herzi Halevi, a passé en revue plusieurs plans pour une éventuelle confrontation à la frontière israélo-libanaise, d'après un communiqué relayé par le New York Times

"Nous dévions des forces, des ressources et de l'énergie vers le nord." 

Yoav Gallant, ministre de la Défense israélien

sur la base aérienne de Ramat David

Faut-il y voir l'annonce officieuse d'une opération de plus grande ampleur contre le Hezbollah ? "Cela fait plusieurs mois qu'il y a ces rumeurs, cette possibilité d'une opération de grande ampleur au Liban", relève auprès de franceinfo Héloïse Fayet, chercheuse au Centre des études de sécurité à l'Ifri. Néanmoins, les déclarations des derniers jours, sur fond d'explosions visant le Hezbollah et de préparatifs militaires, "crédibilisent la piste d'une opération majeure dans le sud du Liban", selon l'experte. "L'armée se donne comme objectif de sécuriser le nord d'Israël. Cela pourrait passer par une action dans cette région. Les forces israéliennes restent néanmoins très engagées à Gaza", poursuit-elle.

Selon les informations de plusieurs médias israéliens, des divergences émergent au sein de la défense sur l'opportunité d'un nouveau front au Liban. Ori Gordin, à la tête du commandement nord de l'armée israélienne, appelle à une incursion terrestre dans le sud du Liban pour créer une zone tampon, d'après ces informations relayées par The Times of Israel. Yoav Gallant et Herzi Halevi ont des réserves, selon ces mêmes sources.

Des évolutions qui ne manquent pas d'inquiéter la défense américaine, d'après le Wall Street Journal. Selon les informations du quotidien, le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, a exprimé à d'autres responsables du Pentagone ses craintes quant à une possible offensive israélienne au Liban. "Se battre contre le Hezbollah est très différent de la lutte contre le Hamas, souligne Héloïse Fayet. La situation à Gaza n'est pas assez résolue pour qu'Israël se permette ce transfert de forces sans conséquences opérationnelles. Et le Hezbollah, même s'il est désorganisé par les explosions, représente une menace plus importante."

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