Peut-on représenter le prophète à l’écran ou sur le papier?
Moustapha Akkad s’est trouvé dès 1976 devant l’équation très difficile à surmonter pour tout réalisateur : faire un film dont le personnage principal n’apparaît pas à l’écran. Dans Le Message, «Rissala» en arabe et «Mohammad, Messenger of God» en anglais, le cinéaste opte pour la caméra subjective. L’équation porte un nom : aniconisme. En français facile, interdiction par une culture ou une religion de toute représentation du monde naturel et/ou surnaturel. Une série éducative iranienne a trouvé la parade en ne montrant le prophète que de dos.
«La question de la représentation du Prophète au cinéma s’est posée dès les années 1920. Mais il y a sans doute une réticence à dire qui pourrait incarner un tel personnage. Aujourd’hui, pour contrer l’affluence d’images occidentales, certains ont lancé des dessins animés racontant l’histoire du Prophète aux enfants, sans le montrer ou en le représentant sous une forme abstraite. Des séries iraniennes ont filmé les personnages de l’histoire sainte de dos. On a beaucoup dessiné le Prophète le visage recouvert d’un drap blanc. Au-delà de lui, c’est la représentation de tous les êtres vivants qui pose problème. Les hadiths avancent l’idée que le peintre ne doit pas se substituer à Dieu en concevant de nouvelles créatures», remarque l’historienne Silvia Naef, auteure de «Y a-t-il une «question de l’image» en Islam» aux Editions Téraèdre.
Les vérités sont relatives, nuancées. Elles dépendent parfois du lieu, du temps et de l’interprétation. Que dit l’islam sur la représentation du prophète ? Selon l'imam de Bordeaux, Tareq Oubrou, l’aniconisme permet d’éviter l’idolâtrie, Mohamed demeurant un être humain. «Cette interdiction est une interdiction préventive qui est établie pour parer à une éventuelle adoration du Prophète. C'est pour cette raison que les savants de l'Islam - les Oulémas, ndlr - ont opté pour ce principe de précaution. Le Prophète lui-même a insisté sur son côté humain, il n'est qu'un messager. L'Islam ne veut pas "imiter" le Christianisme, où Jésus est devenu la figure des Chrétiens. Donc, très tôt, le Prophète a insisté sur son côté humain. A partir de cet esprit de prévention, les savants ont interdit sa représentation».
Caméra subjective
La Bibliothèque nationale de France, qui a consacré une exposition sur les trois religions monothéistes et qui possède des illustrations du prophète, donne une explication détaillée sur le cheminement historique de cette interdiction. «S'appuyant sur un verset du Coran rejetant les statues des idoles et sur un hadîth accusant les faiseurs d'images de vouloir rivaliser avec Dieu, seul créateur et insuffleur de vie, certains théologiens musulmans ont condamné formellement la représentation des êtres animés. Cet interdit de la figuration, strictement appliqué pour le Coran et les ouvrages de hadîths ou de fiqh, a favorisé l'émergence des arts de la calligraphie et d'une ornementation fondée uniquement sur l'arabesque et la géométrie. Pourtant, des représentations figurées, parmi lesquelles on peut voir Muhammad, sa famille et les prophètes bibliques, ont existé dans d'autres genres littéraires, épopées, chroniques historiques, Qisas al-anbiyyâ'(Histoires des prophètes), particulièrement dans les mondes iranien, turc et indien ».
L’interdiction n’a pas été de tout temps respectée par les musulmans : «Il existe des représentations du Prophète à partir du XIIIe siècle et jusqu’au XVIIIe, dans des récits, des ouvrages littéraires, parfois mystiques, mais non religieux. Cela a plus ou moins disparu avec la modernité, dans l’idée de revenir à un islam des origines et parce que les nouvelles technologies posent de nouvelles questions», explique Silvia Naef. «Si, dans l’Iran chiite d’aujourd’hui, il n’est pas rare que des portraits imaginaires de Muhammad ou de l’imam Husayn décorent les rues en temps de festivités religieuses, en particulier pendant la commémoration du deuil de "âshûrâ’" le monde sunnite se montre globalement hostile à la représentation figurée de son prophète – sans même parler du cas volontairement polémique que constituent les caricatures», observe Vanessa Van Renterghem, historienne et arabisante, co-auteure de Muhammad (La documentation française, 2011).
En conclusion, l’auteur de ces lignes s’interroge toujours : comment illustrer cet article ? Réponse toute subjective : comme il n’est pas un texte sacré, rien ne s’oppose à l’accompagner d’une iconographie représentant le prophète. Selon le Coran, seul Dieu (Allah) ne peut être représenté. Normalement.
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