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Retrait américain d'Afghanistan : le retour au pouvoir des talibans est "l’hypothèse la plus probable", selon un spécialiste

Selon Gilles Dorronso, professeur de sciences politique à la Sorbonne, la décision de Barack Obama de retirer les forces de l’Otan fin 2014 a condamné le gouvernement afghan.

Article rédigé par franceinfo
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Un soldat de l'armée nationale afghane (ANA) patrouille devant la base aérienne de Bagram le 2 juillet 2021. (ZAKERIA HASHIMI / AFP)

Invité de franceinfo vendredi 2 juillet, Gilles Dorronsoro, professeur de sciences politiques à la Sorbonne et spécialiste de l’Afghanistan, juge que le retour des talibans au pouvoir, tandis que les Etats-Unis retirent progressivement leurs troupes du pays, est "l’hypothèse la plus probable". Les Américains ont évacué leurs forces de la base aérienne de Bagram, la plus grande d’Afghanistan. Le retrait sera définitif d’ici au 11 septembre 2021.

Selon Gilles Dorronsoro, plusieurs facteurs pourraient conduire à ce que les talibans reprennent le pouvoir qu’ils avaient quitté en 2001, lors de l’intervention des Etats-Unis après les attentats du 11 septembre la même année : "Il n’y a plus de province ou de district aujourd’hui qui soit sans opération militaire des talibans, énumère-t-il. L’armée nationale afghane est très affaiblie, il n’y a plus de soutien aérien du fait du retrait américain. Et aujourd’hui, le crédit politique du gouvernement à Kaboul est quasiment nul".

franceinfo : Y a-t-il un risque de voir les talibans reprendre le pouvoir aujourd’hui ?

Gilles Dorronsoro : Oui, c’est même l’hypothèse la plus probable. C’est une force qui est distribuée sur l’ensemble du pays. Il n’y a plus de province ou de district aujourd’hui qui soit sans opération militaire des talibans. L’armée nationale afghane est très affaiblie, il n’y a plus de soutien aérien du fait du retrait américain. Et aujourd’hui, honnêtement, le crédit politique du gouvernement à Kaboul est quasiment nul. Donc, tous ces facteurs font que, aujourd’hui, le plus probable est un effondrement du régime dans les prochains mois.

Cela veut-il dire que ce retrait condamne le régime afghan dans les prochains mois ?

Ce qui a condamné le régime afghan remonte bien au-delà. C’est la décision d’Obama de retirer les forces de l’Otan fin 2014. Cette décision a condamné le régime afghan, qui est extrêmement corrompu, totalement incapable de prendre le relais des forces occidentales. Donc, il faut remonter en arrière pour voir les décisions qui ont été décisives.

Peut-on imaginer aujourd’hui d’autres négociations avec les talibans ?

Tant que le rapport de force n’est pas stabilisé sur le terrain, on ne peut pas avoir de négociations, parce que des négociations supposent que chacun anticipe les décisions sur six mois ou un an. Aujourd'hui, on est sur une dynamique extrêmement rapide. Les talibans pensent qu’ils vont gagner, la plupart des analystes étrangers aussi. Même les gens à Kaboul paniquent parce qu’ils ont peur du retour des talibans. Le gouvernement de Kaboul n’a pour le moment rien à offrir dans les négociations. S’il y avait une stabilisation du régime militaire à l’automne, alors peut-être pourrait-on aller vers des négociations.

Ces vingt ans de guerre sont-ils un échec pour les Américains ?

Pour les Américains, mais aussi pour l’Otan, les Français, les Anglais, les Italiens… C’est un échec global des forces occidentales. La situation sécuritaire est pire qu’il y a vingt ans. Des centaines de membres d’Al-Quaïda sont présents en Afghanistan. C’est une humiliation pour la première alliance militaire du monde. C’est un échec à peu près total. On ne peut sauver que peu de choses de cet échec. Le plus inquiétant, c’est l’absence de débats sur les causes de cet échec. C’est une défaite qui passe relativement inaperçue dans l’opinion et même chez les militaires occidentaux. Il serait intéressant d’avoir une réflexion sur la raison pour laquelle, même en investissant 2 000 milliards de dollars, on n’est pas capables de stabiliser ce pays.

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