Les chiites du Pakistan, communauté martyrisée
On l’ignore souvent, les violences interconfessionnelles au Pakistan sont l’une des principales causes d'insécurité dans le pays. On estime ainsi que depuis la fin des années 80, elles ont fait quelque 5000 morts. Plusieurs attaques meurtrières ont eu lieu au dernier trimestre 2012. Dernière en date : le 30 décembre, une bombe télécommandée a explosé au passage d’un convoi bondé de pèlerins chiites, tuant une vingtaine de personnes, à Quetta, capitale de la province instable du Balouchistan (sud-ouest).
De nombreuses victimes de cet attentat étaient hazaras, minorité persanophone venue d’Afghanistan il y a plus d’un siècle, particulièrement visée. Une centaine de ses membres ont été tuées en 2012.
Les auteurs des attaques «Gestapo», pour reprendre une expression de la presse pakistanaise, sont, selon toute vraisemblance, membres de groupes sunnites radicaux, comme le Lashkar-e Jhangvi (LeJ), en principe interdit, ou le Tehreek-e-Taliban (TTP), ou Mouvement des talibans du Pakistan, qui a notamment revendiqué deux attentats en novembre 2012. Selon ces organisations plus ou moins liées à Al Qaïda, les chiites ne sont pas des musulmans : ce sont des «infidèles» («kafir»), les «plus grands sur terre», qui seraient manipulés par l’Iran, la grand puissance chiite. Contrairement aux sunnites, cette minorité croit à une dynastie d’imams, celle d’Ali, cousin et gendre du Prophète, et attendent la venue de l’«imam caché», le mahdi.
Les violences s’expliquent notamment par les rivalités pour des lieux saints musulmans et les luttes de pouvoirs locaux entre clans, sur fond de radicalisation islamiste. En cause également : les tensions régionales qui trouvent des prolongements sur le sol pakistanais. Selon les experts, les groupes intégristes sunnites sont financés par des fonds privés venus d’Arabie saoudite dans le cadre de la «guerre par procuration» que se livrent dans la région, depuis les années 90, Ryad et Téhéran. Sauf que côté chiite, le soutien financier iranien aurait considérablement baissé.
«La grande impunité des groupes militants sunnites»
Face à cette situation, les autorités pakistanaises semblent faire preuve d’une surprenante inertie. Elles assurent pourtant avoir pris des mesures et procédé à des dizaines d’arrestations. En août 2012, le chef du LeJ, Malik Ishaq, accusé d'avoir prononcé un «discours provocateur faisant la promotion de la haine sectaire», avait été placé en détention préventive. Avant d’être libéré un mois plus tard.
Dans les faits, le gouvernement pakistanais est confronté à plusieurs ennemis en même temps. Dans le cadre de son alliance avec les Etats-Unis, il combat des islamistes radicaux le long de la frontière avec l’Afghanistan. Tout en refusant de lancer une vaste opération contre le principal sanctuaire des insurgés dans la zone du Waziristan du Nord. 3000 militaires ont été tués dans les affrontements. Au Balouchistan, l’une des régions les plus pauvres du pays, mais riche en minerais et hydrocarbures, les autorités sont confrontées à une rébellion qui réclame notamment un meilleur partage des profits liés aux ressources naturelles. Ce que Slate appelle «une guerre oubliée».
Les autorités ont sans doute des priorités stratégiques. Pour autant, l’organisation Human Rights Watch (HRW) dénonce «la grande impunité» des «groupes militants sunnites». Des observateurs ont ainsi noté que lors du récent massacre du Balouchistan, les assaillants agissaient «à visage découvert».
Au-delà, les mêmes constatent une grande «ambivalence au sein de la police et de l’armée» vis-à-vis des jihadistes… D’aucuns parlant d’«alliance informelle entre l’armée et les extrémistes sunnites». Il faut dire que les liens sont historiques entre les services secrets et certains de ces groupes. Lesquels profitent notamment de l’émotion soulevée par les attaques de drones américains contre les islamistes radicaux.
Toute l’ambiguïté, pour ne pas dire, la schizophrénie pakistanaise, magistralement décrite par l’écrivain Mohammed Hannif dans L’Attentat à la mangue (10/18), est là. D’un côté, le ministre des Affaires étrangères, Hinal Rabbani Kar, déclare «être d’accord» avec «ce que les drones essaient d’accomplir» «s’ils sont après les terroristes». Tout en dénonçant «l’utilisation de frappes unilatérales». De l’autre, au niveau local, les autorités ferment apparemment les yeux sur les actions des islamistes radicaux.
L’Etat pakistanais «a opté pour la version wahhabite de l’islam (le même imposé en Arabie saoudite) pour imposer son discours hypernationaliste, et instrumentalise le jihadisme», analyse le journaliste pakistanais Mohamed Taqi. Ce faisant, il joue avec le feu… Car sous l’influence d’Al-Qaïda, les groupes extrémistes «ont appris à mener des attaques spectaculaires pour attirer l’attention», explique l’expert pakistanais Amir Rana. De plus, «leur capacité de nuisance ne fait qu’augmenter, ils enrôlent de plus en plus de partisans», précise un autre expert, Imtiaz Gul. Et d’ajouter : «Plus il y aura d’ingérence des Etats-Unis, plus ces mouvements prospéreront… Il n’y a qu’à espérer que ce pays ne devienne pas une nouvelle Somalie».
Funérailles des victimes d'un attentat à Rawalpindi (nord-est du Pakistan), le 22 novembre 2012
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