L'article à lire pour comprendre la crise politique qui secoue l'Italie
Le pays n'a toujours pas de gouvernement depuis les élections législatives du 4 mars, malgré l'accord trouvé entre les deux formations arrivées en tête du scrutin.
Un chaos politique. Depuis les élections législatives du 4 mars, l'Italie traverse une zone de turbulences. Et son horizon ne devrait pas s'éclaircir tout de suite : Carlo Cottarelli, chargé par le président italien de former un nouvel exécutif au pays, a bien rencontré, mardi 29 mai, le chef de l'Etat. Mais aucune liste de ministres n'a été communiquée à l'issue de l'entretien, contrairement à ce qui était attendu. La péninsule semble se diriger tout droit vers de nouvelles élections.
Pourquoi et comment en est-on arrivé là ? Franceinfo vous aide à comprendre ce qui se passe chez nos voisins transalpins.
Quelle est l'origine de cette crise ?
Le casse-tête a commencé le 5 mars, au lendemain des élections législatives : les résultats du scrutin ne permettent pas à une majorité parlementaire claire de se dégager. La faute à la nouvelle loi électorale, adoptée en 2017. Expérimentée pour la première fois cette année, elle combine environ deux tiers de représentation proportionnelle et un tiers de scrutin majoritaire à un tour. Un système hybride qui n'a pas permis, lors de ces élections, de dégager une formation capable de former un gouvernement à elle seule.
Alors personne n'a remporté les élections législatives ?
Si. A l'issue du scrutin, deux nouvelles forces politiques émergent, au détriment des partis traditionnels. La coalition entre la droite et l'extrême droite, emmenée par la Ligue, dont le mot "Nord" a été effacé par son dirigeant Matteo Salvini, remporte 37% des voix. Ce Milanais volubile de 45 ans, allié avec le Front national français, grand admirateur de Vladimir Poutine et de Donald Trump, a mené une campagne eurosceptique avec le thème "Les Italiens d'abord", sur fond de crise migratoire.
Mais le principal vainqueur du scrutin, c'est le Mouvement 5 étoiles (M5S), qui recueille, à lui seul, 32% des suffrages. Il est incarné par Luigi Di Maio. Ce Napolitain de 31 ans au costume toujours impeccable remplace sur le devant de la scène l'humoriste Beppe Grillo, fondateur historique de ce mouvement contestataire. Cette formation antisystème et antiélites refuse par principe de faire alliance avec d'autres partis. Or, l'Italie est une république parlementaire, où les négociations sont quasi-inévitables pour former un gouvernement. Celles-ci sont rudes. Chacun affûte ses armes et la confusion s'installe dans le pays.
Finalement, le M5S et la Ligue ont réussi à trouver un accord, non ?
En effet. A la surprise générale, les deux forces politiques parviennent à proposer un "contrat de gouvernement" commun près d'un mois et demi après les élections. C'était pourtant mal parti. Allié de la Ligue, Silvio Berlusconi, président de Forza Italia, refuse d'abord de négocier avec le M5S. Luigi Di Maio se tourne alors vers le Parti démocrate. Mais l'ex-président du parti, Matteo Renzi, fait capoter ces négociations. "Discuter avec Di Maio, oui. Mais voter la confiance à un gouvernement '5 étoiles', non !", déclare-t-il sur la Rai le 29 avril. Face à ce refus, Silvio Berlusconi fait marche arrière et donne son accord aux tractations entre la Ligue et le M5S.
Jours et nuits, les deux formations négocient. Le 17 mai, ils finalisent leur programme. Le texte, en 30 points et 58 pages, balaie un large spectre de sujets. Nouveau système pour le calcul de l'âge de la retraite, création d'un revenu de citoyenneté, baisse de la fiscalité, extension de la légitime défense, politique anti-immigrés et anti-islam, recours accru aux initiatives populaires, fermeté inédite contre la corruption... "Le résultat est un curieux patchwork sans véritable cohérence idéologique", résume Le Monde. "Ce contrat de gouvernement appelle à un changement, qui correspond à ce que veulent une majorité de citoyens, quoi qu'on en pense", tempère Ludmila Acone, historienne et spécialiste de l'Italie interrogée par franceinfo.
Sollicités par Luigi Di Maio et Matteo Salvini, les militants de chaque camp se prononcent largement en faveur de ce texte. Reste à savoir quel chef de gouvernement va pouvoir le mettre en œuvre. Le 21 mai, les responsables du M5S et de la Ligue annoncent leur choix : ils veulent le juriste Giuseppe Conte. Ils soumettent son nom à Sergio Mattarella, le président de la République italien, chargé de nommer le président du Conseil selon la Constitution du pays. Deux jours plus tard, Giuseppe Conte est officiellement désigné à la tête d'un gouvernement... qui ne verra pas le jour.
Que s'est-il passé avec Giuseppe Conte ?
C'est le choix de Paolo Savona au poste de ministre des Finances qui a posé problème. Cet ancien ministre de 81 ans est un eurosceptique convaincu. Il l'affirme haut et fort dans son autobiographie : il considère l'euro comme une "cage allemande" pour l'Italie.
Dès lors, le président de la République s'oppose à ce choix. "La désignation d'un ministre de l'Economie constitue toujours un message immédiat en direction des opérateurs économiques et financiers. J'ai demandé que soit indiquée une figure compétente, qui ne soit pas vue comme soutenant une ligne pouvant provoquer la sortie de l'Italie de l'euro", justifie Sergio Mattarella dans un discours de sept minutes prononcé dans la soirée du 27 mai. Un veto spectaculaire, qui conduit Giuseppe Conte à jeter l'éponge. Et provoque un nouveau coup d'éclat dans le pays : quatre-vingt-cinq jours après les élections législatives, c'est le retour à la case départ.
Donc tout ça, c'est la faute du président de la République ?
Ce n'est pas si simple. Après la décision de Sergio Mattarella, le patron de la Ligue et celui du M5S crient au scandale. Selon eux, le veto du président sur le poste de ministre de l'Economie ne respecte pas le vote des électeurs. Pourtant, Sergio Mattarella respecte la Constitution et son article 92, qui donne au chef de l'Etat un droit de regard sur les ministres du gouvernement. "Tout dépend de l'interprétation de la Constitution", confirme Ludmila Acone. L'historienne rappelle qu'en Italie, le président de la République a le rôle de gardien de la Constitution et d'arbitre dans les négociations politiques. "Il est moins visible qu'en France. Mais on le voit lorsqu'il y a des crises, il intervient à ce moment-là", explique-t-elle.
"En revanche, se pose la question de l'opportunité de sa décision", poursuit Ludmila Acone. Sergio Mattarella a clairement choisi d'envoyer un signal fort à Bruxelles, puisque dans la foulée de son veto, il a désigné l'économiste Carlo Cottarelli pour former un gouvernement. Ancien haut responsable du Fonds monétaire international (FMI), surnommé "monsieur Ciseaux" pour son rôle dans la réduction des dépenses publiques en 2013-2014, il incarne l'austérité budgétaire tant honnie par la coalition antisystème-extrême droite de la Ligue et du M5S. "Cette décision accentue la crise entre le sommet du pays, sa classe dirigeante et le peuple", observe Ludmila Acone.
D'autant plus que le coup de poker du président de la République n'a pas suffi à rassurer les marchés financiers. Ils sont restés tendus tout au long de la journée du mardi 29 mai, la Bourse de Milan perdant près de 3% à la mi-journée.
Cette crise est-elle vraiment si terrible ?
"C'est une crise sans précédent, affirme Ludmila Acone. La vacance de gouvernement n'est pas une première, mais sa longueur est inédite." La nature de la crise est, elle aussi, nouvelle, juge l'historienne. "L'émigration italienne, qui avait cessé dans les années 70, a repris. Les jeunes et les retraités sont de plus en plus nombreux à partir en Australie, en Suisse, en Allemagne, en France, au Portugal... Alors que, dans le même temps, des milliers de migrants continuent d'arriver."
Les Italiens ne veulent plus vivre dans leur pays. Il y a un sentiment inédit de mal-être, de perte de considération.
Ludmila Aconeà franceinfo
Pour l'historienne, cette crise est l'héritage de l'histoire italienne qui s'est écrite depuis la Libération. Après la Seconde Guerre mondiale, la Première République est créée, avec un système électoral proportionnel intégral, comparable à la IVe République en France. Lorsque les dirigeants politiques fondent la IIe République en 1992, après l'opération "mani pulite" ("mains propres"), ils décident de garder une dose de proportionnelle, mais empruntent des modes de scrutin à d'autres pays et changent souvent de loi électorale. "Il y a d'abord une période post-guerre froide, dominée par Silvio Berlusconi. Puis en 2005, l'Italie est touchée par une crise économique qui s'aggrave en 2008 avec la crise des subprimes. Ce n'est pas un hasard si le M5S naît un an plus tard", relate Ludmila Acone.
A partir de ce moment-là, les gouvernements se succèdent. Jusqu'à l'impasse d'aujourd'hui. "La IIe République est en crise. C'est la conséquence d'une conjonction de faits particulièrement critiques : le problème de la corruption et de la mafia n'est pas réglé, comme promis en 1992, la pauvreté augmente, la gestion de l'immigration en Italie par l'Europe pose question", énumère Ludmila Acone. A cela s'ajoutent une crise de confiance entre les citoyens et les élites politiques, ainsi que des débats sur la sortie de l'euro, dans une Italie coupée en deux, avec un Nord riche et un Sud plus pauvre, schéma récurrent dans l'histoire de la Botte.
Cette crise politique menace-t-elle la stabilité de l'Union européenne ?
Il est encore trop tôt pour le dire. Cela dépendra de sa durée et de son issue. Une chose est sûre : l'Union européenne n'a pas le vent en poupe auprès de la majorité des Italiens. Les résultats des élections législatives du 4 mars en sont l'illustration, puisque la Ligue et le M5S ont construit une grande partie de leur succès sur l'euroscepticisme, tandis que le Parti démocrate, pro-européen, a connu une déroute historique. Et avec des marchés qui ont bu la tasse mardi, la crise politique italienne ravive le spectre de la crise de la dette en Europe du Sud.
Dans cette situation tendue, le président de la Commission européenne tente de calmer le jeu. Jean-Claude Juncker a affirmé, mardi soir, que les marchés financiers ne sauraient dicter le vote des Italiens, désavouant des propos attribués au commissaire au Budget qui ont provoqué une polémique en Italie. Günther Oettinger aurait mis en garde les électeurs italiens sur un "signal des marchés" en cas de nouvelles élections.
Que va-t-il se passer désormais ? Les Italiens vont-ils retourner aux urnes ?
C'est probable. Mais impossible de savoir quand pour l'instant. Lundi, l'automne 2018 ou le début 2019 étaient évoqués. Mardi soir, le chef de file du M5S a plaidé pour un retour aux urnes "le plus tôt possible", tandis que des médias ont évoqué la date du 29 juillet. "Si le gouvernement de l'économiste Carlo Cottarelli obtient la confiance du Parlement, il va régler la question du budget puis convoquer de nouvelles élections. S'il n'obtient pas la confiance, il va s'occuper des affaires courantes et démissionnera tout de suite après les élections", explique Ludmila Acone.
La situation est si incertaine que les médias italiens s'adonnent à une frénésie de conjonctures. Certains évoquent un retour du juriste Giuseppe Conte à la tête d'un gouvernement ou même celle d'un exécutif dirigé par Matteo Salvini, chef de file de la Ligue. En outre, de nouvelles élections ne règleraient le problème. Les sondages évoquent des intentions de vote stables ou en très légère baisse pour le M5S et en nette hausse pour la Ligue. Mais si les deux formations se présentent ensemble, elles pourraient obtenir 90% des sièges selon l'Istituto Cattaneo (en italien).
J'ai eu la flemme de tout lire, vous me faites un résumé ? ;)
L'Italie traverse une crise politique sans précédent. Depuis les élections législatives du 4 mars, le pays n'a pas de gouvernement. Aucune majorité parlementaire claire ne s'est dégagée à l'issue du scrutin. Avec difficulté, une coalition antisystème-extrême droite formée par la Ligue et le Mouvement 5 étoiles, s'est constituée après ces élections, et est parvenue à négocier un programme de gouvernement. Mais le choix d'un eurosceptique au poste de ministre des Finances a posé problème. Le président de la République a refusé sa nomination. Il a préféré charger Carlo Cottarelli, ancien haut responsable du FMI et incarnation de l'austérité budgétaire, de former un nouveau gouvernement. Toutefois, celui-ci a peu de chance d'obtenir la confiance d'un Parlement dominé par les populistes eurosceptiques. Le pays se dirige donc vers de nouvelles élections.
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