Mort du président Ebrahim Raïssi : quelles conséquences pour l'Iran et sa politique étrangère ?
Changements à venir au sein du pouvoir iranien. Après la mort du président Ebrahim Raïssi et de son chef de la diplomatie, officialisée lundi 20 mai après un crash d'hélicoptère survenu la veille dans le nord du pays, le vice-président Mohammad Mokhber a été désigné comme chef de l'exécutif. Il s'agit d'une nomination par intérim, le temps d'organiser de nouvelles élections, a fait savoir lundi le guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei. Ce scrutin aura lieu le 28 juin, a rapporté la télévision d'Etat.
Alors qu'un deuil national a été décrété pour cinq jours, plusieurs questions se posent concernant le futur du pays. Après avoir été l'artisan d'une répression intense ces dernières années, l'ultraconservateur Ebrahim Raïssi aura-t-il un successeur à son image ?
Pas de choc majeur pour le régime islamique
La structuration du pouvoir en Iran ne laisse pas présager de grand virage politique dans l'un des pays les plus répressifs au monde. Le président de la République n'est en effet "qu'un Premier ministre (…), un exécutant", expliquait lundi à l'antenne de franceinfo l'historien Jonathan Piron, spécialiste du pays. "Le vrai détenteur du pouvoir en Iran, ce n'est pas le président de la République, c'est le guide de la Révolution", précise-t-il. Depuis 1989, et la mort du premier guide suprême, c'est l'ancien président Ali Khamenei qui occupe cette fonction.
Après des périodes de relative ouverture, notamment de 2013 à 2021 lors de la présidence de Hassan Rohani, considéré comme modéré, le pouvoir iranien a durci sa ligne et réprimé de nombreux mouvements de contestations. Le dernier en date, le soulèvement populaire en réaction à la mort de l'étudiante Mahsa Jina Amini en septembre 2022, a été maté dans le sang. La mort d'Ebrahim Raïssi ne devrait toutefois pas raviver la contestation, selon Jonathan Piron, car "la population est épuisée par la situation sociale, économique et par la brutalisation" des autorités, fait-il valoir.
Au Parlement iranien, les réformistes sont largement minoritaires, avec 20 sièges contre 227 pour les conservateurs, sur un total de 290. Ni l'ayatollah Khamenei, ni les députés ne pousseront donc la désignation pour un président modéré. "Le système va énormément communiquer sur [la] mort [d'Ebrahim Raïssi] et s'en tiendra aux procédures constitutionnelles pour montrer qu'il fonctionne, tout en recherchant une nouvelle recrue capable de maintenir l'unité conservatrice et la loyauté envers Khamenei", explique à la BBC Sanam Vakil, spécialiste en relations internationales, en charge du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord au centre de réflexion Chatham House.
Un candidat de moins pour succéder au guide suprême
La République islamique cherche aussi aussi une "nouvelle recrue" pour assurer la continuité idéologique du régime. Âgé de 84 ans, l'ayatollah Ali Khamenei n'est pas seulement vieillissant, il est aussi malade. Depuis près de dix ans, il souffre en effet d'un cancer de la prostate.
En raison de ce bilan médical, le nom d'Ebrahim Raïssi circulait depuis plusieurs années comme possible successeur du guide suprême de la révolution. "Comme Khamenei lui-même lorsqu'il est devenu chef suprême, [Ebrahim Raïssi] était relativement jeune, loyal, un idéologue engagé en faveur du système et dont le nom était reconnu", rappelle Sanam Vakil à la BBC.
La mort du président dimanche relance les spéculations autour de cette succession, qui est déjà un processus opaque. "Le jeu se décide en coulisses et notamment au sein des plus radicaux, proches du guide actuel et du corps des Gardiens de la Révolution", cette organisation paramilitaire qui s'est arrogée de larges pans de l'économie iranienne, explique de son côté Jonathan Piron.
Dans ce climat de flottement, l'ayatollah Khamenei se montre rassurant. Dimanche, le guide suprême a déclaré sur le réseau social X que "le peuple iranien ne [devait] pas s'inquiéter" et qu'il n'y aurait "aucune perturbation dans les affaires du pays". Un message publié avant même que la mort d'Ebrahim Raïssi soit officiellement confirmée.
Statu quo pour la diplomatie iranienne
Avec la mort du président Raïssi et du ministre des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, l'Iran a subitement perdu deux figures importantes de sa diplomatie. Depuis son élection en 2021, Ebrahim Raïssi tentait de relever un défi en particulier sur la scène internationale : relancer l'accord sur le nucléaire, afin de convaincre les Etats-Unis de lever l'embargo qui mine l'économie iranienne depuis mai 2018.
Ce projet devrait être, du moins pour les prochaines semaines, repris par le nouveau ministre par intérim des Affaires étrangères, Ali Bagheri, qui n'est autre que l'ancien négociateur en chef du dossier nucléaire iranien. Dans les heures qui ont suivi sa nomination lundi, ce diplomate aguerri de 56 ans a tenu un premier conseil avec ses vice-ministres, alors que la Russie exprimait dans un communiqué sa volonté de "renforcer la coopération" entre les deux pays.
Lors d'un entretien téléphonique le même jour, il a aussi appelé à "une coopération globale et ininterrompue" avec la Chine, autre partenaire stratégique de l'Iran, selon l'agence officielle Irna. Malgré sa supposée proximité avec l'ayatollah Khamenei, Ali Bagheri ne fait toutefois pas l'unanimité chez les conservateurs, dont certaines franges refusent le dialogue avec les Occidentaux concernant le nucléaire. Son maintien à ce poste n'est donc pas totalement garanti.
Pour Farid Vahid, politologue, expert de l'Iran à la Fondation Jean Jaurès interrogé par l'AFP, "l'Iran ne changera radicalement de politique étrangère (…) que par un changement de régime". Le choix du président et du chef de la diplomatie ne serait donc qu'une question de "nuances", et aucune évolution majeure n'est à attendre "tant que le Guide est en vie et que les Gardiens [de la révolution] sont là", estime-t-il.
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