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Iran : comment la violente réponse du régime a étouffé les manifestations, sans éteindre la colère de la société

Article rédigé par Fabien Jannic-Cherbonnel
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Une photo obtenue par l'AFP, montrant un véhicule en feu à Téhéran (Iran) après une manifestation, le 8 octobre 2022. (AFP)
La mobilisation des Iraniens et des Iraniennes a évolué depuis la mort de Mahsa Amini, en septembre 2022. La répression, les arrestations et les exécutions de manifestants ont maté la contestation dans la rue. Mais jusqu'à quand ?

La colère est moins visible, mais elle est toujours là. Les manifestations se font moins fréquentes ces dernières semaines en Iran. Le pays s'était embrasé, il y a un peu plus de cinq mois, après la mort de Mahsa Amini, le 16 septembre. La jeune femme de 22 ans avait été arrêté à Téhéran par la police des mœurs pour non-respect du code vestimentaire de la République islamique, avant de mourir en détention.

De nombreux Iraniens et Iraniennes s'étaient alors organisés pour protester contre le régime et ses innombrables restrictions de liberté. Mais la pression de la rue est depuis retombée. Une des explications tient à la grande violence de la réaction du gouvernement du président Ebrahim Raïssi. Dès les premières manifestations, la réponse du pouvoir s'est traduite notamment par de nombreuses arrestations et des violences. "La seule réponse apportée par l'Etat iranien, c'est la répression", explique la sociologue et politiste iranienne Mahnaz Shirali, professeure à l’Ipag Business School. "Cette réponse sécuritaire a même augmenté au fur et à mesure des mois."

Selon un communiqué* de l'ONG norvégienne Iran Human Rights publié le 1er février, au moins 527 personnes, dont 71 enfants, ont été tuées depuis le début des manifestations. L'ONU a par ailleurs dénombré 14 000 arrestations, et près de 55 personnes ont été exécutées depuis septembre. De nombreux témoignages, comme celui d'une étudiante en médecine à franceinfo, ont fait part de la torture employée contre certains manifestants arrêtés.

"Montrer que le régime campe sur ses positions"

Au-delà de la réponse sécuritaire, et face aux aspirations du mouvement, qui souhaite la fin du régime en place, l'Etat iranien n'a pas cherché à faire de compromis. Et ce n'est pas la suppression en décembre de la controversée police des mœurs qui change quelque chose à cette doctrine. Si l'annonce a semblé symbolique, elle n'a pas empêché dans le même temps l'accroissement des contrôles du port du voile effectués par la police. "La suppression de la police des mœurs montre surtout qu'il y a eu un débat tactique au sein de l'Etat, pas sur le fond, mais sur la manière de mettre en œuvre la réponse", juge Clément Therme, enseignant à l’université Paul-Valéry de Montpellier et chercheur associé à l’Institut international d’études iraniennes (Rasanah).

Le pouvoir a voulu montrer, par sa réponse violente, "qu'il n'y a aucune prise en compte de ce mouvement. Il n'y a pas pour l'instant de durcissement, mais une apparente immobilité et une volonté de montrer que l'on campe sur ses positions", souligne Chowra Makaremi, anthropologue à l'Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux du CNRS et spécialiste de l'Iran. Rien de surprenant, selon Mahnaz Shirali.

"La négociation avec la société et le compromis n'existent pas dans l'ADN de la République islamique. C'est un régime très élitiste qui ne fonctionne que par la répression et qui s'impose par le haut."

Mahnaz Shirali, sociologue et politiste

à franceinfo

Cette stratégie "de répression constante" vise également "la diaspora iranienne" largement mobilisée depuis le début des manifestations, explique Clément Therme. "Le pouvoir iranien n'hésite pas à appeler les membres de la diaspora, avec des techniques qui peuvent s'apparenter à du harcèlement", ajoute le chercheur. En exemple, le cas de Massi Kamari, rapporté par 20 Minutes. Réfugiée en France depuis 2018, l'Iranienne a reçu en janvier des appels lui demandant de se rendre dans un bureau de renseignement iranien. Sans réponse de sa part, les services de sécurité iraniens ont fait pression sur ses parents, restés au pays, en les menaçant de prison si elle ne s'exécutait pas.

"Les capacités d'ingérence de l'Iran, avec notamment des réseaux d'informateurs, sont plus grandes dans les pays limitrophes, comme la Turquie", détaille Clément Therme. L'Iran cherche aussi à intimider les puissances étrangères, notamment avec l'arrestation, voire l'exécution de ressortissants étrangers ou binationaux, comme le Britannico-Iranien Alireza Akbari, un ancien haut responsable au ministère de la Défense iranien, pendu en janvier. "L'Iran fait aussi peur aux Iraniens qu'aux gouvernements des pays libres et démocratiques", résume Mahnaz Shirali.

Une société toujours en colère

Résultat, la force déployée par le régime iranien a fini par étouffer les manifestations. "Les Iraniens et Iraniennes sont arrivés à la conclusion que leur coût était trop élevé et que ça ne servait à rien de tenir le bras de fer sur ce plan-là", souligne Chowra Makaremi. Mais la colère n'est pas pour autant retombée. "Contrairement aux mobilisations de 2009, on ne voit pas une espèce de repli ou de silence sur les réseaux sociaux, l'intérêt reste très vif", poursuit la chercheuse. Sur le terrain, la protestation prend d'autres formes, comme avec des pétitions, la prise à partie de mollahs ou le refus de femmes de porter le voile. "Quand le Parlement européen a voté une résolution demandant de désigner comme terroristes des Gardiens de la Révolution, on a entendu beaucoup de gens klaxonner à Téhéran", raconte Mahnaz Shirali. Un signe, selon la spécialiste, "du niveau de rejet du régime par la société iranienne".

Cette colère est renforcée par la crise économique, liée notamment à des pénuries de gaz. L'inflation a atteint 48,5% sur un an en décembre, selon des chiffres de l'agence statistique du pays rapportés par VOA News (lien en anglais). Pourtant essoré par les sanctions occidentales, l'Iran a augmenté de près de 38% le budget des Gardiens de la Révolution, une organisation paramilitaire chargée de défendre la république islamique.

"Le moment de bascule n'est pas encore arrivé"

"La fuite en avant sécuritaire a également un impact économique alors que le pays a moins de ressources", souligne Clément Therme. Un cocktail qui pourrait se révéler explosif pour le guide suprême du pays, Ali Khamenei. D'autant que si le régime iranien, qui a fêté ses 44 ans le 1er février, "n'a pas perdu son pouvoir militaire, il a perdu sa légitimité et son pouvoir de propagande", estime Mahnaz Shirali. "On a quand même un Etat qui est en train d'avouer à sa société qu'il a fait le choix de déstructurer le tissu économique plutôt que de répondre à la crise, confirme Chowra Makaremi. J'attends de voir la manière dont il va chercher à retricoter un discours de justification idéologique." L'anthropologue redoute que cette justification ne passe par "une escalade du conflit d'un point de vue militaire".

"Historiquement, dans les moments de crise, l'appareil d'Etat iranien cherche à aller vers des conflits armés, soit dans la région, soit à l'intérieur du pays, en poussant des groupes en périphérie à prendre les armes."

Chowra Makaremi, anthropologue spécialiste de l'Iran

à franceinfo

Les manifestations pourraient-elles faire leur retour en Iran ? Difficile à dire pour l'instant. "La question qui n'est pas réglée, c'est celle de l'élargissement de la base des contestataires prêts à aller dans la rue, affirme Chowra Makaremi. Pour l'instant, avec un mélange de répression et de paiement d'arriérés de salaires aux fonctionnaires, l'Etat a réussi à contenir l'ampleur des grèves."

Jusqu'à quand ? Clément Therme estime que "le moment de bascule pour que ce mouvement se transforme en révolution" n'est pas encore arrivé et qu'il requerra "la faillite du régime". Il sera de toute façon impossible, selon Mahnaz Shirali, de "faire taire une société aussi en colère que la société iranienne". "Si on pouvait gouverner un pays uniquement en tapant sur la tête des habitants, alors on n'aurait pas inventé la démocratie", estime la chercheuse.

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