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Les chiites d'Arabie Saoudite refusent d'être instrumentalisés par l'Iran

L’exécution du cheikh chiite saoudien, Nimr Baqer al-Nimr, avec 46 autres personnes condamnées pour terrorisme, avait pour but de montrer la détermination de Ryad à faire barrage à l’exportation de la révolution iranienne en terre arabe. Elle a eu pour effet indésirable de mettre en ébullition la minorité chiite du royaume, qui n’est pourtant pas la plus turbulente du monde arabo-musulman.
Article rédigé par Alain Chémali
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Des femmes chiites de Qatif manifestent après l'exécution de l'opposant Cheikh Nimr Baqer al-Nimr par les autorités saoudiennes, le 2 janvier 2016. (AFP PHOTO / STR)

Sitôt connue dans le royaume, l’exécution, le 2 janvier 2015, du haut dignitaire chiite et opposant saoudien, Nimr Baqer al-Nimr, a entraîné des manifestations de colère, sur trois jours, de plusieurs centaines de personnes dans la ville de Qatif.
 
La minorité chiite du pays a vu dans ce message à l’attention de Téhéran une profonde injustice. D’autant que Cheikh Nimr, bien que formé en Iran dans les années 80, n’avait jamais fait allégeance au régime Khomeyniste.
 
Il avait même traité de dictateur le président syrien, Bachar al-Assad, pourtant allié stratégique de l’Iran et défendu par le mouvement chiite libanais du Hezbollah.

Ryad prend le risque d'attiser la colère de sa minorité chiite 
Par ces exécutions de masse, Ryad a donc pris le risque d’exacerber les tensions déjà fortes dans la région entre sunnites et chiites, mais aussi d'attiser le mécontentement dans sa propre minorité de partisans de l’imam Ali.  
 
En l’absence de statistiques précises sur le nombre de chiites en Arabie Saoudite, les membres de cette communauté sont généralement évalués à 10% d’une population de près de 30 millions.
 
Toutefois, le chercheur et politologue Tawfiq al-Saïf les estimait en 2010 entre 17 et 20%, localisés pour les deux tiers dans la province d’al-Ahsa à l’est du royaume, notamment dans les villes de Qatif, Dammam et Khobar. Une région connue pour abriter la plus grande réserve pétrolière du monde : 22% des réserves mondiales et produisant 98% du pétrole saoudien.

Les chiites soumis à une politique de discrimination confessionnelle 
Soumis à une politique de discrimination confessionnelle de la part du régime Wahhabite qui a pour principe «la purification de la religion de toute croyance populaire et phénomènes contraires à la vraie religion», ils ont toujours été maintenus à l’écart des postes dans la fonction publique.
 
Interdits également de postes de responsabilité dans l’éducation, les institutions semi-gouvernementales et les grandes entreprises nationales, à l’exception de quelques postes dans la compagnie pétrolière Saudi Aramco.
 
Mobilisés depuis la création du royaume en 1932 pour faire respecter leurs droits élémentaires de croyance et de culte, d’expression et de publication ainsi que d’autres droits civils, ils ont toujours souffert du dénigrement et de la méfiance du pouvoir sunnite.
 
Une méfiance qui s’est accrue après l’instauration d’une République islamique en Iran en 1979 par l’ayatollah Khomeiny, avec pour principe actif l’exportation de la révolution.

Malgré une ouverture du roi Fahd sur leur communauté dans les années 90 – libération de dizaines de prisonniers politiques, restitution de passeports confisqués, dialogue accru avec les dirigeants de la communauté –, les chiites n’ont pas connu de réelle amélioration de leurs droits.

Les chiites saoudiens ne cèdent pas au chant des sirènes de Téhéran 
Ils n’ont pas cédé pour autant au chant des sirènes de Téhéran, même si certains groupes ont manifesté quelque sympathie pour la révolution iranienne. Bien au contraire, attachés à leur identité saoudienne, ils se montrent réfractaires à toute tutelle iranienne.
 
Selon un opposant interrogé par Le Monde sur Skipe, les récentes diatribes des responsables iraniens contre Ryad sont faites «pour irriter les dirigeants saoudiens»«C’est de la politique, estime-t-il, en réalité, l’Iran ne cherche pas à nous soutenir. Et d’ailleurs, nous ne voulons pas de son soutien. Nous ne lui faisons pas confiance. Ce que nous voulons, c’est le soutien de notre propre gouvernement.»
 
En effet, selon Tawfiq al-Saïf, «jusqu’aux années 1990, la principale revendication chiite était la liberté religieuse. Mais ces dernières années, elle est passée au quatrième plan derrière les revendications telles l’égalité, la liberté d’expression et la participation politique».
 
Des revendications qui ne sont pas de nature à rassurer un pouvoir wahhabite inquiet de la montée en puissance du chiisme en Irak, au Liban, et le soutien apporté à la rébellion des Houthistes, issus du chiisme, au Yémen.

Coincés entre Ryad et Téhéran 
«Coincés entre Ryad et Téhéran», selon la formule de l’opposant déjà cité, les partisans de l'imam Ali en Arabie Saoudite marchent sur des œufs. Ils refusent d’être enrôlés par l’Iran mais craignent également pour la vie de plusieurs des leurs condamnés à mort et en attente d’être exécutés eux aussi.
 
C’est le cas d’Ali al-Nimr, neveu du cheikh du même nom dont l’exécution a mis le feu aux poudres, arrêté en 2012 alors qu’il n’avait que dix-sept ans et condamné à mort pour activité terroriste.
 
Son père, Mohammed al-Nimr, favorable à une contestation pacifique, a posté sur son compte twitter un message sans ambiguïté. «Nous apprécions les sentiments d'émotion exprimés pour le martyr (son frère), écrit-il, mais nous refusons et nous condamnons l'attaque contre des ambassades et des consulats du royaume en Iran ou ailleurs. Nous aimons notre pays.»

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