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Que signifie la fin de l'autonomie du Cachemire décidée par le gouvernement indien ?

Le gouvernement nationaliste hindou a mis fin lundi au statut spécial qui régissait cette région également revendiquée par le Pakistan.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Un rassemblement à Bangalore (Inde), le 5 août 2019, après la décision de l'Inde de révoquer l'autonomie du Cachemire. (MANJUNATH KIRAN / AFP)

Une décision inattendue. Le gouvernement indien a mis fin à l'autonomie du Cachemire indien, lundi 5 août. Le statut spécial de l'Etat du Jammu-et-Cachemire, qui était garanti par la Constitution indienne, a été aboli par décret présidentiel. Cette région rebelle est aussi revendiquée par le frère ennemi de l'Inde : le Pakistan. 

Le Cachemire est touché depuis la fin de l'empire des Indes britannique, en 1947, par une vague ininterrompue de violences imputables notamment aux revendications territoriales du Pakistan et à l'insurrection de séparatistes musulmans. La décision du gouvernement indien pourrait provoquer une flambée de violence dans cette province où une insurrection séparatiste avait coûté la vie à 70 000 personnes en 1989. 

Où se trouve la région du Cachemire ? 

La région du Cachemire se situe au nord du sous-continent indien, dans les montagnes de l'Himalaya. Elle est divisée en deux parties, entre l'Inde et le Pakistan, depuis la partition de l'empire colonial britannique des Indes. Une partition survenue en 1947 et qui a vu le maharajah de Jammu-et-Cachemire décider de rejoindre l'Union indienne à condition de conserver une très large autonomie, explique Libération. Il s'agit du seul Etat à majorité musulmane au sein de la fédération indienne.

La région du Cachemire fait l'objet de conflits entre le Pakistan et l'Inde depuis la partition de l'empire colonial.  (CAPTURE ECRAN GOOGLE MAPS)

La partie indienne du Cachemire, l'Etat du Jammu-et-Cachemire, s'étend sur plus de 200 000 km2, soit un peu plus que la Grande-Bretagne, et compte 12,5 millions d'habitants. Elle est composée au nord de la vallée de Srinagar, à dominante musulmane, et du désert de Ladakh à l'est, à majorité bouddhiste et peu peuplée. La partie pakistanaise du Cachemire s'étend, elle, sur plus de 86 000 km2, avec 6,4 millions d'habitants. 

Le Cachemire jouit d'une autonomie au titre de l'article 370 de la Constitution indienne. Cela donne au Jammu-et-Cachemire une consitution distincte et un drapeau. Surtout, le gouvernement fédéral indien doit déléguer à l'exécutif local et à l'Assemblée législative la gestion des affaires intérieures. Autrement dit, les lois votées par New Delhi ne sont pas appliquées au Cachemire, à l'exception des domaines de la défense, des affaires étrangères, des finances et des communications. 

Qu'est-ce que la décision du gouvernement signifie concrètement ? 

Le décret présidentiel devra être définitivement voté par le Parlement. Ensuite, la Cour suprême sera saisie. Cette juridiction est indépendante en Inde, malgré les pressions, comme le souligne sur France Culture Christophe Jeffrelot, chercheur au Centre de recherches internationales (Ceri). "C'est la seule institution qui résiste à l'autoritarisme et on vera jusqu'où elle le fait", ajoute-t-il. 

Si la fin de l'autonomie est acceptée, il y aura deux grands changements au niveau institutionnel et social. D'abord, le Jammu-et-Cachemire ne sera plus un Etat de l'Union mais un territoire, et "les territoires de l'Union ne sont pas aussi démocratiques", explique Christophe Jaffrelot. Ils sont gouvernés par New Delhi, notamment en ce qui concerne les forces de police. 

Ensuite, cela changerait l'accès à la propriété et aux hauts postes de la fonction publique. "Le statut d'autonomie rendait difficile l'acquisition de biens immobiliers par des non-Cachemiris", ce qui ne sera plus le cas, précise Christophe Jaffrelot, faisant référence à l'article 35A de la Consitution. Les Indiens considèrent que le Cachemire leur appartient et ne doit pas être abandonné aux musulmans ni au Pakistan, explique Libération. Les Cachemiris craignent ainsi que le gouvernement nationaliste ne souhaite faire évoluer la démographie de leur région. 

Quelle est la situation au Cachemire ? 

La situation s'est tendue ces dernières semaines. Un dizaine de jours avant la décision présidentielle du 5 août, des signaux ont alarmé les habitants comme le relate le correspondant du Figaro sur place. "Fin juillet, des dizaines de milliers de soldats ont été envoyés officiellement pour le maintien de l'ordre", explique-t-il. 

Ensuite, vendredi 2 août, le gouverneur du Jammu-et-Cachemire a ordonné l'évacuation immédiate de tous les touristes et pélerins présents dans la vallée. Dimanche 4 août, les chefs des deux partis politiques locaux ont été arrêtés et assignés à résidence, les écoles et universités ont fermé. Internet et les communications ont été coupés. "Depuis minuit dimanche, je ne peux plus joindre ma famille", s'inquiétait Waqas Farooq, une étudiante de l'université Jamia de Delhi, interrogée par Le Figaro. De son côté l'agence de presse britannique Reuters n'était même pas en mesure de joindre son personnel local. Enfin, 8 000 soldats supplémentaires ont été envoyés en renfort lundi.

Pourquoi le gouvernement indien a-t-il pris cette décision maintenant ? 

Cela fait 70 ans que les nationalistes hindous souhaitent mettre fin au statut spécifique du Jammu-et-Cachemire. Le parti de la droite fondamentaliste hindou n'a jamais accepté le statut de la région. Le gouvernement nationaliste de Narendra Modi, Premier ministre au pouvoir depuis 2014 et réélu aux dernières élections en mai de cette année, promettait régulièrement d'y mettre fin. 

Sur le plan local, le Cachemire traverse une zone de turbulence ces derniers temps. Le Parlement cachemirien a été dissous en novembre 2018, après la chute de la coalition régionale au pouvoir. La région était, depuis, administrée par New Delhi en attendant de nouvelles élections, comme l'explique le correspondant local de Libération

Enfin, il s'agirait pour le gouvernement de faire diversion sur la situation du pays. Avec plus de 170 millions de pauvres en 2015 selon la Banque mondiale, l’Inde totalise près du quart de la pauvreté de la planète. Et la conjoncture n'est pas bonne sur le plan économique et social. L'économie indienne est en perte de vitesse, les investissements en berne, la consommation en dessous de la moyenne. "Il était temps que l'on trouve un thème qui permette de détourner l'attention du public, de remobiliser sur le thème ethno-nationaliste que Narendra Modi affecte par-dessus tout. Rien n'est plus facile que de mobiliser sur le thème de la nation indienne à unir et à consolider", analyse Christophe Jeffrelot, chercheur au Centre de recherches internationales (Cerl) sur France Culture

Des manifestants pakistanais brûlent un mannequin à l'effigie du Premier ministre indien Narendra Modi, le 5 août à Lahore, deuxième plus grande ville du Pakistan. (ARIF ALI / AFP)

Quelles sont les conséquences diplomatiques ?

Au niveau local d'abord, cela accentue les tensions avec le Pakistan. Le gouvernement pakistanais d'Imran Khan a condamné cette révocation de l'autonomie du Cachemire indien et indiqué qu'il "ferait tout ce qui est en son pouvoir pour contrer les mesures illégales". Au lendemain de cette annonce, le Pakistan s'attend à des manifestations à Muzaffarabad, la plus grande ville du Cachemire pakistanais. L'armée pakistanaise a déclaré "se tenir fermement" aux côtés des habitants du Cachemire.

Au niveau international, l'annonce du gouvernement indien pourrait par ailleurs compliquer la sortie d'Afghanistan des Américains, après 18 ans de guerre. Washington a en effet besoin d'Islamabad comme intermédiaire dans les pourparlers avec les rebelles talibans. Si les États-Unis ne soutiennent pas les intérêts pakistanais au Cachemire après la décision indienne, Islamabad pourrait ainsi décider de faire capoter les négociations afghanes.

Le président américain Donald Trump s'est récemment proposé comme médiateur entre l'Inde et le Pakistan sur le contentieux du Cachemire, une offre rejetée par New Delhi qui considère que la question ne relève que du domaine bilatéral.

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