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Tensions entre la Turquie et la Grèce : que se passe-t-il en Méditerranée orientale ?

La Turquie a déployé mardi un navire de recherche sismique dans les eaux territoriales de la Grèce, ravivant ainsi des tensions déjà fortes entre les deux pays. 

Article rédigé par franceinfo
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Le navire turc de recherche sismique "Oruç Reis", escorté par des bateaux militaires turcs en mer Méditerranée, le 10 août 2020. (TURKISH DEFENCE MINISTRY / AFP)

"La Grèce défendra sa souveraineté et ses droits. Nous appelons la Turquie à quitter sans délai le plateau continental grec." Nikos Dendias, ministre grec des Affaires étrangères, a mis en garde la Turquie mardi 11 août, alors qu'Ankara déploie de nouveau des navires de prospection, à la recherche d'hydrocarbures en Méditerranée orientale. Les bateaux n'hésitent pas à explorer les eaux territoriales chypriotes et grecques, provoquant la colère d'Athènes.

Après un apaisement relatif au début du mois d'août, la Turquie a renvoyé lundi un navire escorté par des frégates militaires au large de l'île de Karpathos. En réponse à cette "provocation", la Grèce a déployé des unités de la marine et de l'armée de l'air dans le secteur. Une escalade des tensions qui s'envenime d'autant plus que la France, soutenant la "souveraineté" grecque et voulant "faire respecter le droit international", a fermement condamné les agissements turcs et a renforcé mercredi sa présence militaire en Méditerrannée.

Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a prévenu jeudi qu'une attaque contre le navire turc cherchant des hydrocarbures se payerait au "prix fort", laissant entendre qu'un incident s'était déjà produit. Franceinfo fait le point sur la situation sur la Méditerranée orientale.

Des "violations" répétées des eaux territoriales grecques et chypriotes

Les tensions entre la Grèce et la Turquie au sujet de leurs eaux territoriales ne sont pas nouvelles. Ankara convoite une immense zone économique où se trouvent des îles grecques, et conteste la délimitation de ses eaux territoriales. Le pays n'a d'ailleurs jamais signé la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, qui définit juridiquement les différents espaces maritimes. 

La découverte de grands gisements de gaz naturel ces dernières décennies en Méditerranée orientale a ravivé les ambitions de la Turquie. Elle a envoyé des bateaux de prospection à la recherche d'hydrocarbures dans les eaux chypriotes, là où se trouvent les puits de gaz. Depuis 1974, l'armée turque occupe la partie nord de l'île. Dès lors, "la Turquie part du postulat que puisqu'il y a un Etat turc à Chypre, elle n'a pas besoin de négocier pour explorer ses eaux territoriales", explique à franceinfo Joëlle Dalègre, spécialiste de la Grèce contemporaine et de ses relations avec la Turquie.

Les manœuvres ont d'autant plus provoqué la colère de la Grèce que celle-ci "a signé un accord de protection de l'espace maritime chypriote"Sur le plan diplomatique, en novembre 2019, Ankara a conclu avec le gouvernement libyen d'union nationale un accord définissant les frontières maritimes bilatérales, et qui empiète sur les eaux territoriales grecques et chypriotes.

A cela s'ajoute la possible existence d'une réserve d'hydrocarbures qui pourrait s'étendre jusqu'en Crète. Voilà pourquoi, le 21 juillet 2020, le président turc Recep Tayyip Erdogan a annoncé son intention de procéder, jusqu'au 2 août, à des analyses sismiques, près de Kastellorizo, petite île grecque à quelques kilomètres de la Turquie. "La Grèce ne va pas tolérer de violation de ses droits souverains et va faire tout ce qui est en son pouvoir pour les défendre", a répliqué le porte-parole du gouvernement grec le 23 juillet, selon des propos rapportés par Le Monde (article payant)

Calmant le jeu, la Turquie a annoncé quelques jours plus tard la suspension de ses prospections gazières pour favoriser des négociations avec Athènes. Mais, le 6 août, la Grèce a annoncé la signature d'un accord avec l'Egypte délimitant les eaux territoriales des deux pays. Ankara y a vu une provocation. Les Turcs ont envoyé son navire d'exploration sismique le 11 août et ont annoncé qu'ils allaient accorder des permis d'exploration et de forage dans de nouvelles zones de la Méditerranée orientale d'ici la fin du mois.

La Turquie veut asseoir son influence

Le gaz est la première ressource énergétique consommée en Turquie, rappelle Le Figaro (article payant). Or, le pays importe 99% du gaz utilisé. Avoir sa propre exploitation représenterait donc une aubaine inestimable. Toutefois, "développer des gisements de gaz offshore, ça coûte cher. Si la Turquie veut en avoir, elle peut s'en procurer à bas prix ailleurs", tempère Jean Marcou, directeur des relations internationales de Sciences Po Grenoble, à franceinfo.

Pour ce spécialiste des mutations stratégiques en Méditerranée et au Moyen-Orient, il faut en réalité voir au-delà du simple besoin en hydrocarbures : il est surtout question de stratégie"La Turquie a toujours été tenue en dehors de ce grand jeu gazier, explique Jean Marcou. C'est à la fois l'un des pays avec le plus grand littoral, mais aussi celui qui a le plus de mal à accéder au contrôle des espaces maritimes, notamment à cause de Chypre et des îles grecques."

De plus, les autres pays riverains de l'est de la Méditerranée essaient eux aussi de s'approprier des espaces maritimes, attirés par de potentielles découvertes de gisements. Face à l'alliance entre la Grèce, Chypre, Israël et l'Egypte, "la Turquie se sent exclue", soulève Jean Marcou. "Elle veut montrer qu'on ne pourra pas se passer d'elle dans la zone."

Cette situation transcende la simple question des hydrocarbures : elle rejoint la montée en puissance diplomatique et militaire de l'Etat turc.

Jean Marcou

franceinfo

L'intervention en Libye, les offensives en Syrie, et donc l'exploration gazière : Ankara veut asseoir sa puissance et devenir incontournable en Méditerranée orientale. Les excursions turques dans les eaux grecques sont d'autant plus symboliques que les navires portent chacun le surnom de grands sultans ottomans, note Jean Marcou.

La communauté internationale préoccupée

A la suite du déploiement par la Turquie du navire de recherche sismique dans les eaux de l'île de Karpathos, la Grèce a affirmé le 11 août qu'elle allait demander un sommet d'urgence de l'Union européenne. Le lendemain, Emmanuel Macron, dont les relations avec Recep Tayyip Erdogan sont difficiles, a annoncé un renforcement de la présence militaire française dans le secteur en déployant deux chasseurs Rafale et deux navires de guerre. 

Le ton monte depuis une semaine entre les deux dirigeants. Tandis que Paris a condamné une frappe aérienne turque en Irak et a accusé la Turquie d'avoir "une responsabilité criminelle" dans le conflit libyen, Recep Tayyip Erdogan voit des visées "coloniales" dans l'intervention française au Liban, reprochant au président français de "faire le spectacle devant les caméras".

La Commission européenne a évoqué une situation "extrêmement préoccupante", tout en faisant part de sa solidarité totale avec la Grèce et Chypre. Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l'Otan, souhaite pour sa part que ce problème soit "réglé dans un esprit de solidarité entre alliés et en accord avec les lois internationales". Mais la Turquie ne semble pas être disposée à dialoguer.

De son côté, le Pentagone s'est dit "bien évidemment préoccupé par les incidents qui se produisent en Méditerranée orientale". La France et la Turquie sont "toutes deux des alliés extrêmement importants au sein de l'Otan et nous voudrions voir les tensions diminuer", a réagi jeudi un porte-parole du ministère américain de la Défense.

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