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Train : la Suisse montre la voie

Pollution, embouteillages, camions…Tout le monde est d’accord, le ferroviaire est la bonne solution pour les transports. Toutefois, malgré les promesses et les discours, le train a du mal à s’imposer. Un pays pourtant, grâce à une volonté politique forte, a montré que c’était possible : la Suisse.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Derrière la carte postale, la Suisse offre un réseau ferré ultramoderne. (AFP)

«Je préfère le train», tel était le slogan des Chemins de fer suisses fédéraux (CFF) dans les années 50. Aujourd’hui, après une série de décisions politiques, de référendums, une fiscalité nouvelle et des investissements massifs, la Suisse affiche des taux de fréquentation record dans ses trains.

Les CFF (société anonyme à capitaux publics qui gère le traffic et les infrascructures) assurent le transport de plus de 306 millions de personnes par an sur 3.000 km de voies ferrées. «La part du rail s'envole : +27% en cinq ans, note une enquête de l’Office fédéral du développement territorial. «Indice de nouveaux comportements, le pourcentage de jeunes passant le permis de conduire faiblit», indiquait l'Hebdo en mai 2012.

L'horloge des CFF (AFP/JOHN MACDOUGALL)

La Suisse est le N°1 du rail en Europe
Chaque citoyen helvétique parcourt en moyenne 2.310 km (51 trajets) chaque année avec ce moyen de transport. Au niveau mondial, seuls les Japonais font mieux avec 1.897 km (69 trajets). «Les Suisses utilisent le train plus fréquemment que partout ailleurs. La Suisse demeure ainsi en tête du peloton européen en matière de déplacements en train; au niveau mondial, elle n’est dépassée que par le Japon quant au nombre de déplacements, mais elle caracole en tête s’agissant de la distance parcourue», précise le site suisse d'information sur les transports publics.

Derrière, largement distancés, suivent le Danemark (39 trajets), le Luxembourg (37 trajets), l’Autriche (26 trajets) et l’Allemagne (24 trajets). En queue de peloton, se trouvent la Suède, la Roumanie, la Lituanie et la Grèce, où chaque habitant emprunte le chemin de fer au maximum trois fois par an en moyenne.

Train "intercity" en Suisse. (CFF)


Les Nouvelles liaisons ferroviaires alpines
Mais pour arriver à ce résultat, la Suisse a dû décider d’inverser la tendance. Comme dans tous les pays, le transport routier gagnait des parts de marché au détriment du train qui voyait ses capacités de financement reculer et fermait des lignes. C’est à la fin des années 80 que le pays a lancé le projet de modernisation de l’infrastructure ferroviaire, afin d’endiguer le recul du chemin de fer.

Un investissement d’environ 30 milliards de francs suisses, approuvé par référendum, a permis de réaliser sur 20 ans la première étape de RAIL 2000 (nom du plan), le réseau NLFA (Nouvelles liaisons ferroviaires alpines) avec deux nouveaux tunnels, par le Saint-Gothard et le Lötschberg et le raccordement de la Suisse orientale et occidentale au réseau ferroviaire européen à grande vitesse. Des investissements cités en exemple en Europe, rappelle, pas peu fière, la presse helvétique.

Une série de décisions techniques et politiques ont rendu l’accès au train plus facile et plus populaire auprès de la population, comme le cadencement (départ au même horaire, toutes les heures, exemple qui commence à se faire en France), les changements des matériels roulants (les trains à deux étages), les investissements sur les lignes (pour accélerer les trajets) et sur la technologie (augmenter la vitesse).

Résultat, la Suisse doit être un des rares pays européens qui a vu son nombre de kilomètres de ligne augmenter (5.134 km en 2010 contre 5.041 en 1995). Le trafic passager, qui ne cessait de décliner depuis 1950, a commencé à remonter au début des années 2000, celui de la voiture – toujours largement dominant cependant – reculant.

Percement du tunnel du Gothard en Suisse (CFF)

Les transports de marchandises
Après l'augmentation du trafic passager par train, le deuxième axe de la politique des transports en Suisse est de favoriser le transport de marchandises sur rail. Carrefour européen, le pays a toujours servi de voie de passage entre le nord et le sud de l’Europe, via les Alpes. Pour éviter de voir ses routes envahies par des camions, la Suisse a, là aussi, lancé un vaste chantier.

Depuis l’adoption de l’Initiative des Alpes par le peuple et les cantons (février 1994), la protection de la zone alpine contre les effets négatifs du trafic de transit est même ancrée dans la Constitution fédérale.

Taxation des camions
Sous la pression de l’Europe, la Suisse a été obligée d’autoriser progressivement les camions de 40 tonnes, mais le pays (avec bien sûr une votation) a institué un péage (la redevance sur le trafic des poids lourds liée aux prestations – RPLP) pour les camions suisses et étrangers de plus de 3,5 tonnes qui prend en compte le poids et la distance parcourue. Ainsi, pour un camion de la catégorie d’émission Euro 4 qui parcourt à pleine charge le trajet Bâle-Chiasso, la RPLP s’élève par exemple à 271.20 francs suisses (240 euros environ). En France, cette taxe n’est toujours pas mise en œuvre.

Outre cette taxation, la Suisse a investi massivement dans le développement du ferroutage pour franchir les Alpes avec, notamment, le percement de nouveaux  tunnels ceux du Gothard (le plus long tunnel ferroviaire au monde, avec ses 57 km) et du Lötschberg.

En 2007, 64% du fret a passé les Alpes suisses sur des trains, un chiffre impressionnant comparé à la France ou, plus nettement encore, à l'Autriche, deux pays où la très grande majorité des marchandises a emprunté la route. La «chaussée roulante» est un prolongement de cette politique. Elle se déploie entre Freiburg, au sud de l'Allemagne, et Novara, au nord de l'italie. Les camions qui l'utilisent n'empruntent jamais les routes suisses, mais traversent le pays par train. A travers les Alpes, la Suisse est le seul pays à faire passer plus de marchandises via le rail que via la route.

Investissements dans le ferroutage
En 2000, 1,4 million de camions ont traversé les Alpes, dont plus de la moitié en transit. En 2011, ce nombre a fléchi à 1,258 million.

File de camion grimpant vers l'entrée du tunnel du Mont Blanc en France (2005) (JEAN-PIERRE CLATOT / AFP)
 

Bruxelles est théoriquement sur la même voie. La Commission européenne a proposé en 2011 un objectif de transfert explicite dans son Livre blanc : 30% du fret routier acheminé sur plus de 300 km doit être transféré d'ici à 2030 sur le rail ou les voies navigables ; ce chiffre devrait passer à 50% d'ici à 2050. Reste à mettre en œuvre ces intentions, comme celles définies lors du Grenelle de l’environnement.

Trafic routier marchandises à travers les Alpes, par passage alpin, en 2010 (Litra)


La Suisse, petit pays au relief tourmenté, plus connue pour ses trains à crémaillères, comme le plus haut d’Europe ou celui de Zermatt, a mis en œuvre un vrai volontarisme politique en faveur du rail, avec le soutien de sa population. «Une telle position ne relève pas du hasard. Continuons à investir dans les transports publics et conservons cet atout pour tirer notre épingle du jeu», souligne le président du service d'information sur les transports suisses, Peter Bieri. Reste à l’Europe d’afficher le même volontarisme, ce qui ne semble pas être l'avis de tout le monde.

L'histoire du tunnel du Gothard

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