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Présidentielle en Autriche : pourquoi il faut s’inquiéter malgré la défaite de l’extrême droite

Le candidat écologiste et celui du FPÖ étaient au coude-à-coude à l'issue du second tour de l'élection présidentielle. Ce sont finalement les votes par correspondance qui les ont départagés, lundi.

Article rédigé par Vincent Matalon, Carole Bélingard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Des supporters du parti d'extrême droite FPÖ lors du second tour de l'élection présidentielle à Vienne (Autriche), le 22 mai 2016. (JOE KLAMAR / AFP)

Le suspense aura duré jusqu'à la dernière minute. Alexander Van der Bellen, le candidat écologiste, a remporté l'élection présidentielle en Autriche, lundi 23 mai. La veille, il était au coude-à-coude avec le candidat populiste Norbert Hofer, et il a fallu attendre la fin du dépouillement des quelque 900 000 votes par correspondance pour les départager. 

Malgré la victoire sur le fil du candidat écologiste, le très bon score réalisé par le candidat du FPÖ reste préoccupant. Francetv info vous explique pourquoi.

Parce que c'est quand même un succès pour l'extrême droite

“Nous avons gagné, de toute façon.” Alors même que les résultats définitifs étaient inconnus, Norbert Hofer ne masquait pas sa joie devant ses partisans réunis dans le parc du Prater, à Vienne, dimanche. Car, pour le FPÖ, un échec à la présidentielle n’est en réalité qu’une demi-défaite.

A la différence de la France, l’élection présidentielle autrichienne n’est en effet pas un scrutin majeur, qui détermine l’orientation des politiques publiques pendant la durée du mandat du vainqueur. Même s’il dispose du pouvoir de destituer le gouvernement sans avoir à justifier sa décision, comme l’explique le juriste Manfried Welan au Monde, le rôle du président est surtout protocolaire, contrairement à celui du chancelier. L’Autriche étant un régime parlementaire, les différents partis devraient lancer toutes leurs forces dans la bataille des prochaines élections législatives, prévues en 2018.

C’est en cela que la défaite de Norbert Hofer s’apparente davantage à un contretemps qu’à un réel camouflet. Pendant la campagne, le candidat d’extrême droite avait en effet laissé entendre qu’en cas d’élection, il se tiendrait prêt à dissoudre le Parlement – une mesure jamais utilisée depuis 1930 – afin d’organiser des législatives anticipées. Mais, comme le rapporte Le Figaro, l’ingénieur de 45 ans a déjà envisagé la suite après sa défaite : une nouvelle candidature dans six ans, et un soutien appuyé au chef de son parti, Heinz-Christian Strache, lors des prochaines législatives. Malgré cette déconvenue, le FPÖ compte bien capitaliser sur la dynamique créée pendant la campagne présidentielle pour l’emporter lors de ce scrutin.

Parce que le score de l'extrême droite peut créer une dynamique en Europe

L’Europe a suivi de près le scrutin en Autriche. Et pour cause : l’arrivée de l’extrême droite à la présidence d’un pays de l’Union européenne aurait été une première depuis la seconde guerre mondiale. Même si l’Autriche a peu d’influence sur les institutions européennes, un effet boule de neige était redouté par Bruxelles. "Il ne faut pas sous-estimer la dimension symbolique [du vote] car elle peut fournir un puissant ‘momentum’ pour d'autres partis populistes, par exemple en France ou en Allemagne", explique au Figaro (article payant) Martial Foucault, directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof). En clair, les autres partis d’extrême droite peuvent se référer au bon score de Norbert Hofer. C’est "la concrétisation d'une réalité plus que jamais objective", poursuit Martial Foucault. Une réalité qui offre "les éléments d'une rhétorique fonctionnelle consistant à répéter 'ce qui s'est produit en Autriche peut devenir réalité dans d'autres pays'".

Par ailleurs, dans d’autres pays européens, une droite très conservatrice est déjà au pouvoir. En Pologne, le gouvernement du parti conservateur et eurosceptique Droit et Justice (PiS) a entrepris une série de réformes sur le contrôle des médias et de la justice qui inquiètent l’Union européenne. Des mesures similaires ont déjà été prises en Hongrie par le conservateur Viktor Orban. Les deux pays refusent également d’accueillir des migrants, tout comme la Slovaquie et la République tchèque. 

Néanmoins, si le refus des quotas migratoires fait l'unanimité chez les mouvements nationalistes européens, il existe de fortes divergences entre eux. La preuve : ces partis ne parviennent pas à former un seul groupe au Parlement européen, rappelle France CultureIl existe même quatre groupes : l'Europe des nations et des libertés, fondée en 2015 à l’initiative de Marine Le Pen, l'Europe de la liberté et de la démocratie directe, où l’on retrouve les Britanniques de l'Ukip et les Italiens de la Ligue du Nord, le groupe des conservateurs et réformistes européens, avec des partis de droite nationalistes allemands, irlandais ou encore finlandais, et enfin le groupe des "non inscrits", qui rassemble par exemple les Grecs du parti néonazi Aube dorée.

Difficile également d’établir un parallèle entre la France et l’Autriche. Le FPÖ, au contraire du Front national, est un parti gouvernemental depuis les années 1980. “L'implantation des deux partis dans le paysage politique de leurs pays respectifs n’est pas comparable”, analyse pour 20 minutes Jean-Yves Camus, politologue spécialiste de l’extrême droite. Par ailleurs, on ne peut pas vraiment comparer la présidentielle autrichienne à la présidentielle française de 2017. "Même si Norbert Hofer dit vouloir présidentialiser la fonction de président autrichien, cette dernière reste protocolaire alors que le président est la clé de voûte de la Ve République", ajoute Jean-Yves Camus.

Parce que l'élection a divisé le pays

Difficile d’imaginer que la vie politique puisse reprendre tranquillement son cours après un scrutin marqué par une défiance envers les partis traditionnels, et qui sera resté indécis jusqu’au bout. L’analyse des votes montre en effet à quel point l’élection présidentielle a divisé les Autrichiens : le candidat écologiste est arrivé nettement en tête dans les grandes villes, chez les plus diplômés et chez les électrices, tandis que le vote rural, ouvrier et masculin s’est essentiellement porté vers l’extrême droite, relève Le Monde.

En présentant un candidat jeune et plus lisse que ses anciennes figures, le FPÖ de Norbert Hofer a réussi son opération séduction dans les campagnes, où réside encore un Autrichien sur trois. En revanche, dans ces zones, "l'image des Verts, un parti de fumeurs de joints et de végétariens forcenés, peu en phase avec les sujets terre à terre, a du mal à évoluer", écrit Le Figaro.

Conscients de la polarisation extrême de l’électorat, Norbert Hofer et Alexander Van der Bellen ont tous deux tenu un discours rassembleur, dimanche, lorsque les résultats les donnaient au coude-à-coude. "Le président, quel qu’il soit, devra être le président de tous les Autrichiens", a lancé le premier, quand le second annonçait qu’en cas d’élection, il ferait de son mieux pour "combler les fossés qui se sont creusés pendant la campagne" et "rassembler les gens pendant les six prochaines années".

Malgré les divisions affichées durant la campagne au niveau national, une porosité existe à l’échelle locale entre les partis traditionnels et le FPÖ. Dans l’Etat du Burgenland, dans l'est de l’Autriche, les sociaux-démocrates du SPÖ et les populistes du FPÖ forment une coalition depuis juin 2015. A l’époque, une manifestation contre cette alliance jugée contre-nature avait rassemblé 400 personnes à Eisenstadt, la capitale du Land, rapporte Le Monde. Mais les mentalités semblent avoir évolué. Selon un jeune militant socialiste autrichien cité par le quotidien du soir, une consultation interne a révélé que 39% des adhérents du SPÖ se disent désormais prêts à travailler avec l’extrême droite.

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