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#NousLesEuropéens Comment le vélo a changé de braquet grâce au Covid-19 dans les grandes villes européennes

En 2020, les métropoles du vieux continent ont installé plus de 1 000 km de pistes cyclables temporaires. Un choix motivé par la lutte contre la pandémie, qui a fait exploser le nombre de cyclistes dans les villes concernées.

Article rédigé par franceinfo, Fabien Jannic-Cherbonnel
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Le vélo a pris son envol dans les grandes villes de l'Union européenne en 2020. (ELLEN LOZON / FRANCEINFO)

Qu'est-ce qui est jaune, facilement déployable et a eu un succès fou ? Si vous avez répondu une piste cyclable temporaire, ou "coronapiste", vous avez raison. Installées rapidement à Paris pendant le premier confinement du printemps 2020, ces pistes "pop-up", comme on les appelle en anglais, ont aussi fleuri dans de nombreuses villes européennes. Résultat : un an plus tard, à Milan, Dublin, Cracovie, Bruxelles et même Rome, on assiste à une forte augmentation du nombre de cyclistes.

Retour en mars 2020. Les rues des grandes villes européennes se sont vidées. Partout, le trafic routier s'est brutalement arrêté. La faute au Covid-19 et aux confinements stricts décidés par les gouvernements nationaux. Alors que l'Europe se met à rêver "du monde d'après", Bogota, la capitale de la Colombie, décide de généraliser en semaine ces pistes cyclables temporaires, jusque-là mise en place le week-end uniquement. Le but est simple : favoriser un mode de déplacement non polluant et avec lequel on ne risque pas de se contaminer. Le succès est immédiat.

Voitures confinées et vélos déconfinés

Sur le vieux continent, l'idée, portée notamment par les associations de cyclistes, fait son chemin dans la tête des maires. En Allemagne, Berlin dégaine la première le 25 mars avec une première piste temporaire, avant d'annoncer la création de 25 km supplémentaires. Puis c'est au tour de Bruxelles, Milan, Lisbonne et Paris, à la fin avril 2020, de lui emboîter le pas. En quelques jours, dans la capitale, quelque 70 km de rues sont ainsi transformés en pistes cyclables. C'est ce que l'on appelle l'urbanisme tactique : de la peinture et des plots, et voilà la taille du réseau cyclable multipliée par deux. D'après les données de la Fédération européenne des cyclistes (ECF), les métropoles du vieux continent créent alors un peu plus de 1 200 km de pistes cyclables temporaires en 2020, le tout pour un coût dépassant le milliard d'euros.

Une piste cyclable temporaire à Berlin, sur le Kottbusser Damm, le 22 avril 2020. (JORG CARSTENSEN / DPA / AFP)

"J'ai été très impressionnée par ce qu'il s'est passé, parce que les gouvernements, locaux ou nationaux, ne sont pas connus pour être agiles et réactifs, se réjouit Meredith Glaser, chercheuse en mobilité à l'université d'Amsterdam, auprès de franceinfo. En un sens, le Covid-19 a créé les conditions parfaites pour ce phénomène, en vidant l'espace public des voitures. Mais ça n'est pas la seule explication, les gens étaient aussi prêts à ces changements."

D'après l'ECF, 42 des 94 plus grandes villes de l'Union européenne ont profité de la crise pour mettre en place des infrastructures temporaires. Mais toutes n'ont pas choisi exactement les mêmes solutions. A Milan, par exemple, la municipalité a décidé de créer 35 km de "coronapistes", depuis pérennisées et prolongées, dont une sur la Corso Buenos Aires, une artère commerçante majeure de la ville. Dans le même temps, Bruxelles annonçait la mise en place de 40 km de pistes reliant la périphérie au centre. A Cracovie, en Pologne, les autorités ont aussi fait le choix de se concentrer sur la réduction de la place de la voiture du centre-ville avec des zones piétonnes. Et à Paris, la municipalité a fait dans la dentelle, en reliant entre eux les bouts de réseaux cyclables qui étaient parfois discontinus. 

Pas de frein au développement

Toutes les grandes métropoles européennes n'ont toutefois pas saisi l'opportunité de se mettre au vélo. "A Varsovie [en Pologne], la municipalité n'a rien fait, l'usage des transports publics a baissé de 30% tandis que celui de la voiture est resté pareil", regrette Aleksander Buczyński, chargé des questions d'infrastructure à l'ECF, auprès de franceinfo.

Des cyclistes devant la cathédrale Duomo à Milan (Italie) le 18 mai 2020. (LUCA BRUNO / AP)

Les oppositions ont parfois été féroces. En France, on accuse ainsi les pistes cyclables temporaires de créer des embouteillages et d'être hideuses. Malgré les critiques, les résultats sont quasi immédiats. Dès le déconfinement, les cyclistes affluent dans les rues des villes européennes. Une observation confirmée par une récente étude, publiée dans la revue scientifique Proceedings of the National Academy of Sciences (en anglais). Celle-ci conclut que les villes d'Europe qui ont installé de nouvelles pistes temporaires ont vu le nombre de cyclistes augmenter de 11% au minimum et 48% au maximum par rapport à 2019. Pour arriver à ces conclusions, Sebastian Kraus et Nicolas Kosh, tous deux analystes au Mercator Research Institute (en anglais), un think tank allemand, ont passé au peigne fin les données de compteurs de vélos, installés sur les réseaux vélo des villes étudiées.

"Nous avons vu une augmentation du nombre de cyclistes dans toutes les villes, mais beaucoup plus dans celles qui ont créé des pistes cyclables temporaires et sécurisées", explique Sebastian Kraus à franceinfo. 

"Cela montre que l'ajout de voies de circulation pour les vélos fait augmenter le trafic de deux-roues de façon mécanique. Cela avait été observé maintes et maintes fois pour les voitures, mais pas pour les vélos."

Sebastian Kraus, analyste au Mercator Research Institute

à franceinfo

Résultat, le nombre de cyclistes a augmenté de 14% à Berlin et de 35% à Milan. La palme étant remportée par Paris, où le nombre de personnes à vélo affiche une hausse de 66% entre 2019 et 2020, selon un comptage relayé par France Inter. Un tour de force salué par tous nos interlocuteurs européens. "Ce qui se passe à Paris est exceptionnel, la ville joue vraiment dans une autre division", s'exclame Sebastian Kraus. Mais cette poussée n'est pas forcément surprenante. "A Paris, vous avez une forte densité de l'habitat et un taux de possession de voitures très bas... Ce qu'il manquait, c'était un réseau digne de ce nom", complète l'analyste.

Des cyclistes sur la rue de Rivoli à Paris, où le traffic routier à été interdit, le 13 mai 2020. (YANN CASTANIER / HANS LUCAS / AFP)

Mais que ce soit à Dublin (Irlande), Lyon ou Budapest (Hongrie), l'extension rapide des réseaux cyclables n'est pas totalement le fruit du hasard. La plupart de ces villes s'étaient déjà dotées d'un plan vélo et se sont simplement "servies du Covid-19" pour accélérer sa mise en place. "C'est très impressionnant, les villes ont réalisé en un an ce qu'elles prévoyaient de faire en cinq à dix ans", souligne Aleksander Buczyński. Ici, comme sur tant d'autres sujets, "la volonté politique est capitale", complète Meredith Glaser.

Ces exemples positifs agissent comme un "phare" pour d'autres grandes villes en Europe. "Nous regardons ce qu'il se passe en Allemagne, où les lois encadrant les routes sont en train de changer, ainsi que ce qu'il se passe à Paris", explique Áron Halász, le vice-président du Club des cyclistes hongrois, à franceinfo. Grâce au travail de l'association, Budapest, dirigée par un maire écologiste depuis 2019, a pu installer des pistes cyclables temporaires, depuis pérennisées, "même s'il reste beaucoup de travail".

Rome ne se fera pas en un jour

Avec l'augmentation massive du nombre de cyclistes à Paris, Lisbonne et Dublin, c'est le mythe de l'exception culturelle néerlandaise et danoise, qui voudrait que faire du vélo soit une seconde nature pour ces peuples, qui prend fin. "L'excuse 'nous ne sommes pas Amsterdam' pour justifier l'absence d'investissements dans un réseau cyclable ne fonctionne plus", souligne Sebastian Kraus. Un constat qui encourage même jusqu'à Rome, ville largement auto-centrée.

Certes, la capitale italienne n'a pour l'instant installé qu'une vingtaine de kilomètres de pistes cyclables "transitoires", sur un objectif de 150 km. "En un an, nous sommes passés de 1 à 3% de déplacements quotidiens réalisés à vélo, s'enthousiasme Francesco Iacorossi, en charge des questions cyclables au service de la mobilité de la mairie de Rome. C'est un énorme changement culturel pour nous. Nous voulons montrer que même les villes difficiles peuvent changer." 

La ville fait d'ailleurs partie du programme Handshake Cycling, financé par l'UE, qui orchestre un mentorat entre trois "capitales cyclables" (Amsterdam, Copenhague et Munich) et d'autres qui veulent progresser. Rome y est jumelée avec la capitale néerlandaise. L'occasion d'échanger sur les bonnes pratiques, mais aussi "de ne pas prendre 40 ans, pour arriver au niveau d'Amsterdam", souligne Francesco Iacorossi. 

"Nous avons une communication quotidienne avec eux et nous apprenons beaucoup de choses. Le rôle de l'Union européenne est fondamental dans le développement de la bonne stratégie, c'est un allié précieux qui nous permet de mettre en place la meilleure infrastructure du monde."

Francesco Iacorossi, service de la mobilité de la mairie de Rome

à franceinfo

Les équipes chargées des mobilités des grandes villes européennes discutent fréquemment entre elles et ne cachent pas observer ce qu'il se fait de mieux ailleurs. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard que le département de la Seine-Saint-Denis ait inauguré plusieurs "carrefours hollandais" sur l'ancienne départementale qui traverse Pantin. Une façon de ne pas perdre de temps, alors que l'on connaît déjà les recettes qui fonctionnent.

Le vélo ne connaît pas la crise ?

Reste la question du financement, nerf de la guerre de la création d'un réseau cyclable digne de ce nom. Certaines villes ont d'ores et déjà décidé d'augmenter largement leur budget dédié au vélo. A Paris, la ville prévoit d'investir 30 millions d'euros pour son réseau cyclable, tandis que la région Ile-de-France compte mettre dix fois plus sur la table.

Mais la crise économique pourrait faire des dégâts. A Budapest, les associations s'inquiètent de voir certains fonds disparaître, et des projets remisés au placard.  "Les fonds européens sont très importants pour les pays de l'Est, dans lequel il y a peu d'investissement sur cette question", souligne Áron Halász. Certains pays, comme l'Italie, la Slovaquie ou la Belgique, ont d'ailleurs décidé d'octroyer une partie de leur part du plan de relance européen à la petite reine.

Une femme sur une piste cyclable temporaire à Bruxelles (Belgique) le 28 octobre 2020. (MARTIN BERTRAND / HANS LUCAS / AFP)

Un an après le début de la pandémie de Covid-19, la place du vélo dans les rues européennes est-elle une affaire qui roule ? Pas forcément. Parfois, une forte opposition des automobilistes force les villes à revoir leurs plans, comme à Bruxelles ou à Berlin (en anglais) . En France, notamment à Marseille ou en banlieue parisienne, certaines pistes temporaires ont disparu après quelques mois, voire quelques semaines. Peu importe, estime Aleksander Buczyński, pour qui "l'intérêt de faire des pistes temporaires, c'est de tester" et donc d'enlever facilement si l'infrastructure ne fonctionne pas.

"Nous savons que quand les gens expérimentent une nouvelle façon de se déplacer, et qu'elle leur plaît, ils s'y tiennent", estime Sebastian Kraus, qui n'imagine pas voir les choses régresser. De toute façon, "c'est vraiment une question de volonté politique", résume Meredith Glaser. A condition, ajoute-t-elle, "de bien se concerter avec les habitants" et surtout de créer "un réseau cyclable, continu, et sûr". Une fois que la tâche sera accomplie, il sera peut-être possible de renommer Paris en Amsterdam-sur-Seine et Budapest en Copenhague de l'Est.

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