"C'est de l'abus de pouvoir" : à Calais, les bénévoles en colère face aux pressions policières
Les associations d'aide aux migrants dénoncent les distributions d'eau et de nourriture interrompues, les gazages, les PV et les violences dont ils font de plus en plus l'objet.
Ils sont là pour aider des hommes, des femmes et des enfants à survivre. Mais à Calais (Pas-de-Calais), les bénévoles qui distribuent de l’eau, de la nourriture et des vêtements aux migrants se sentent entravés par la police. Face aux intimidations, aux interruptions de distribution et aux contraventions distribuées à tour de bras, les associations voient leur tâche devenir de plus en plus compliquée. "A Calais, la police s'en donne à cœur joie", dénonce Yann Manzi, le fondateur d'Utopia 56. Découragées, les associations se sentent abandonnées par le gouvernement et le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb, qui les a d'ailleurs invitées à aller "déployer leurs savoir-faire ailleurs" lors de son déplacement à Calais le 22 juin. Franceinfo a recueilli leurs témoignages.
Des gazages et des violences physiques
Fin mai, dans une lettre envoyée à Emmanuel Macron, les associations avaient déjà dénoncé "une chasse à l’homme", "des violences policières illégitimes" et le "harcèlement des réfugiés". Mais depuis début juillet, la situation s'est encore dégradée et les bénévoles s’inquiètent désormais d'une escalade de la brutalité policière. "On a passé un cap la semaine dernière, dans la nuit du 13 au 14 juillet", raconte Lucie, bénévole et chargée de communication de l’association Utopia 56 à Calais. Gaël, le responsable de cette antenne locale, "s’est pris un coup de matraque sur le haut du crâne, alors qu’il essayait de calmer les exilés pendant une intervention policière".
Dans une vidéo, que franceinfo a pu visionner, on voit le bénévole se faire pousser violemment par un policier qui brandit sa matraque. Les images de la GoPro, qu’il porte sur son ventre, ne permettent pas de voir le coup, mais Gaël demande immédiatement au policier de se calmer. "Quoi 'calmez-vous ?' Ça veut dire quoi ?" vocifère le policier en retour. "J’ai reçu un coup. Peut-être pas volontaire, mais il me l’a mis", explique alors Gaël à un autre policier, qui s’empresse de démentir.
"Vers minuit, le même jour, un CRS a aussi gazé l’intérieur d’un camion avec des vêtements et de la nourriture. On pensait que c’était un incident isolé, mais la même chose s’est reproduit le lendemain, en plein jour", assure Lucie à franceinfo.
Ils ont gazé l’intérieur d’un camion, alors qu’il y avait des bénévoles à l’intérieur.
Lucieà franceinfo
C’est aussi ce qui est arrivé à Alan, un bénévole britannique de l’Auberge des migrants, pendant une distribution d’eau le 16 juillet. "Un des policiers (...) a utilisé sa bombe lacrymogène, il a commencé par asperger les réfugiés afin de les faire partir. Ensuite, il m’a aspergé de lacrymogène en plein visage", explique-t-il dans sa déposition, que franceinfo a pu consulter. Le bénévole a décidé de porter plainte.
Des distributions interrompues
Outre les violences physiques, les associations contactées par franceinfo dénoncent le fait que les policiers se montrent verbalement menaçants. "Ils nous disent n’importe quoi, que ce qu’on fait est interdit, qu’on n’a pas le droit d’être là et nous donnent l’ordre de nous disperser", raconte Vincent de Coninck, chargé de mission du Secours catholique à Calais. "On est obligé de faire de la pédagogie, de leur expliquer dans quel cadre légal on opère."
Les distributions de nourriture ou d’eau potable sont aussi régulièrement interrompues. "C'est de l'abus de pouvoir, de l'entrave à la distribution", selon Yann Manzi de Utopia 56. Claire Millot, de l’association Salam, qui se charge de distribuer les petits-déjeuners aux migrants, en a fait les frais dimanche.
D’un revers de la main, ils ont renversé toute la nourriture. De l’autre main, ils tenaient leurs bombes lacrymogènes. Ensuite, ils ont écrasé le pain avec leurs chaussures. On n’a rien pu faire.
Claire Millotà franceinfo
"Les policiers n'ont rien, aucun papier à nous montrer", déplore cette bénévole, en dénonçant des actions arbitraires. Contactée par franceinfo, la préfecture du Pas-de-Calais botte en touche et admet qu’"aucun arrêté [interdit de] distribuer de telle à telle heure ou dans tel ou tel lieu". Reste qu'elle préfère que les distributions soient toujours "encadrées par la police".
Des contraventions répétées et abusives
Les associations se sentent aussi étranglées par des contraventions très fréquentes, qu’elles jugent abusives. "Les contrôles sur nos véhicules peuvent durer jusqu’à 40-50 minutes", rapporte François Guennoc, porte-parole de l’Auberge des migrants. "Ils s’arrêtent quand ils trouvent quelque chose qui n’est pas en règle. Parfois, on ne peut même pas contester les amendes qu’ils nous donnent, parce qu’on est effectivement en infraction, reconnaît-il. Mais on est vraiment dans la recherche de la pénalisation."
On a eu des amendes parce que sur un véhicule, les deux pneus avant n’étaient pas de la même marque par exemple, ou encore parce qu’il n’y avait plus assez de liquide lave-glace.
François Guennocà franceinfo
Le 18 juillet sur Facebook, l’association a d'ailleurs posté sur sa page le PV reçu pour "circulation de véhicule à moteur non muni de pneumatiques". "L’officier qui a donné cette contravention a simplement dû oublier des mots, mais elle illustre bien l’absurdité des motifs pour lesquels on est pénalisés", ironise le porte-parole.
Durant les deux derniers mois, l’Auberge des migrants affirme avoir écopé de 1 500 euros de contraventions. Pour cette association qui ne roule pas sur l'or, c’est de l’argent qui aurait dû plutôt servir à des biens de première nécessité. L'Auberge des migrants a donc lancé une collecte de dons afin de pouvoir régler les amendes.
En réponse, la préfecture du Pas-de-Calais se contente de rappeler que les associations peuvent contester ces contraventions. "C'est vraiment un gaspillage d'énergie pour nous", regrette Loan Torondel, l’un des coordinateurs de l’Auberge des migrants. "On ne fait que donner des repas et de l'eau, on ne fait rien d'illégal. Ce n'est pas en les empêchant de manger et de boire qu'on va rendre la situation plus régulière."
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