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Visite de Yoon Suk Yeol à Kiev : "Ce qui se joue pour la Corée du Sud, c'est d'apparaître comme un partenaire de sécurité aux yeux des Européens", estime le chercheur Antoine Bondaz

Le président sud-coréen s'est rendu ce samedi en Ukraine où il a rencontré son homologue, Volodymyr Zelensky. "L'objectif est de démontrer que le sort de l'Ukraine concerne l'ensemble du monde et pas simplement les pays européens", estime Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la Recherche Stratégique.
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Le président ukrainien Volodymyr Zelensky et son homologue sud-coréen Yoon Suk Yeol à Kiev le 15 juillet 2023. (SERGEI SUPINSKY / AFP)

"Ce qui se joue pour la Corée du Sud, c'est d'apparaître comme un partenaire de sécurité aux yeux des Européens", estime samedi 15 juillet sur franceinfo Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS), enseignant à Sciences-Po Paris et grand spécialiste de l’Asie. Et ce alors que le président sud-coréen Yoon Suk Yeol a promis samedi 15 juillet d'"augmenter l'ampleur" de son aide humanitaire et de son assistance militaire non létale à l'Ukraine, après un sommet avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky à Kiev.

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franceinfo : Pourquoi la Corée du Sud se refuse-t-elle pour l'instant à envoyer des armes en Ukraine ?

Antoine Bondaz : Ce n'est pas l'habitude de la Corée du Sud de le faire. Sur le plan politique, le pays se refuse à livrer des armements à un pays en guerre, un peu comme l'Allemagne jusqu'à la guerre en Ukraine, avec une différence majeure entre Berlin et Séoul : Berlin, depuis, a changé sa politique, alors que Séoul, officiellement, ne change pas sa politique. On est donc dans une forme d'ambiguïté en Corée du Sud, même s'il y a de fait des livraisons d'armes, qui se font à travers des pays tiers, notamment la Pologne, mais aussi les Etats-Unis. Il y a des débats réguliers en Corée du Sud, mais il y a des contraintes à Séoul, notamment la relation avec la Russie, qui peut avoir une influence négative dans la péninsule coréenne, à travers la Corée du Nord. Pour la Corée du Sud, ce qui se joue aux yeux des Européens, notamment, c'est d'apparaître comme un partenaire de sécurité, y compris militaire, de premier plan, à un moment où l'industrie de défense coréenne s'internationalise à un rythme extrêmement important. Dans les années 2010, la Corée du Sud c'était environ 2,5 milliards de contrats d'armement chaque année, l'année dernière, c'était 17 milliards d'euros et de dollars de contrats. On a un acteur désormais majeur de l'industrie de défense, et qui sur le continent européen, est un acteur désormais majeur.

Que livrent les Sud-Coréens à l'Ukraine ?

Il s'agit notamment de munitions d'artillerie, du 155mm, qui est compatible avec ce qui est utilisé en Ukraine. La défense sud-coréenne est avant tout une défense terrestre, pour faire face à la menace nord-coréenne, donc on a des équipements militaires développés en Corée du Sud qui sont parfaitement adaptés aux besoins de l'Ukraine, et qui sont pour une partie d'entre eux compatibles. La Corée du Sud est un pays où l'industrie est capable de monter en cadence, de produire massivement. On est de fait, depuis des décennies, dans une économie de guerre en Corée du Sud, ce qui n'est pas le cas en Europe.

La Corée du Sud est à la fois un allié historique des Etats-Unis et a des intérêts économiques en Russie : y a-t-il une sorte de jeu d'équilibre ?

Il y a des intérêts économiques en Russie, on pense par exemple aux importations de gaz et aux exportations de méthaniers, pour les grands chantiers navals de la Corée du Sud, mais les intérêts prioritaires de Séoul sont avant tout du côté de Washington et de Bruxelles. On a donc une évolution progressive de la position sud-coréenne.

"Il existe aussi une offensive ukrainienne pour réussir à convaincre l'opinion publique sud-coréenne"

Antoine Bondaz, chercheur

à franceinfo 

On a eu la visite de la Première dame ukrainienne à Séoul, désormais la visite du président sud-coréen avec son épouse sur le territoire ukrainien. C'est aussi le symbole qu'aujourd'hui plus que jamais, la sécurité et la prospérité du théâtre euro-atlantique est liée à la sécurité et à la prospérité du théâtre indo-pacifique. D'où cette convergence d'intérêts, illustrée par la présence du président sud-coréen mais également des Premiers ministres japonais, australien et néo-zélandais au sommet de l'OTAN à Vilnius il y a quelques jours. On a toujours eu une volonté sud-coréenne d'avoir une position d'équilibriste entre Pékin et Wahsington, notamment parce que l'opinion publique en Corée du Sud est extrêmement critique de la Chine, qui multiplie les pressions, y compris à travers de la coercition économique. La Corée du Sud se réaligne, se rapproche encore un peu plus des Etats-Unis, du Japon aussi de manière relativement nouvelle. Il y a un renforcement des coopérations entre Séoul et les pays européens. La visite du président sud-coréen en Pologne, qui vient de se terminer, était extrêmement importante.

Pourquoi la visite du président sud-coréen en Ukraine est-elle importante ?

Elle est importante pour montrer que cette guerre en Ukraine ne concerne pas que les Européens. La Corée du Sud est membre du G20, c'est la 10ème puissance mondiale : l'objectif est de démontrer que le sort de l'Ukraine concerne l'ensemble du monde et pas simplement les pays européens. Il y a également cet enjeu de livraisons soit de munitions, soit de systèmes d'armes, et la nécessité pour l'Ukraine de trouver des fournisseurs quand les Américains et les Européens ont parfois du mal, soit à tenir leurs promesses, soit à monter en cadence en production chez eux.

>> Guerre en Ukraine : la contre-offensive "n'avance pas si vite", admet la présidence ukrainienne

La livraison d'armes par la Corée du Sud à l'Ukraine dans un futur plus ou moins proche est-elle totalement exclue ?

Ce n'est pas exclu, il va y avoir de plus en plus de pressions au fur et à mesure que les livraisons d'armements occidentales ralentissent, ou se font attendre, et que les besoins de l'Ukraine pour mener la contre-offensive seront importants. Il y a une évolution du débat en Corée du Sud, la nécessité pour l'opinion publique de se socialiser à ces questions-là. Ce qui n'était pas possible il y a quelques mois pourrait le devenir dans quelques semaines.

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