Ukraine : cinq questions sur d'éventuelles sanctions européennes
Certains membres de l'Union européenne, comme la France, l'Allemagne et la Pologne, appellent à des mesures contre les responsables de la répression à Kiev. Mais ce n'est pas si simple.
Face au nouvel embrasement de Kiev, les dirigeants européens durcissent le ton. Pour la première fois depuis le début de la crise politique en Ukraine, l'Europe brandit la menace de sanctions contre les responsables de la répression, mercredi 19 février. La veille, l'assaut des policiers anti-émeute contre les opposants au président Viktor Ianoukovitch et les affrontements dans la capitale ukrainienne ont fait 26 morts et 241 blessés dans les deux camps. Mais ces menaces de sanctions soulèvent plusieurs questions.
Quels sanctions sont évoquées ?
L'une des mesures les plus fréquentes est l'embargo sur les armes, qui interdit leur vente, leur fourniture ou leur transport dans le pays concerné, explique l'Union européenne sur son site (en anglais). Dans le cadre de troubles internes, comme en Ukraine, l'UE peut aussi interdire l'exportation de matériel utilisé à des fins de répression, essentiellement par les forces de police, comme des canons à eau et des équipements antiémeute.
Pour des sanctions plus ciblées, visant des entités (entreprises...) ou des personnes, il est possible de geler leurs avoirs, avec l'interdiction des mouvements et des cessions des fonds (comptes en banque, actions, etc.) ou des biens immobiliers qu'elles détiennent dans les pays de l'UE. Une autre mesure est d'interdire aux personnes visées d'obtenir un visa ou de voyager dans l'UE.
Cette hypothèse des sanctions visant des individus est accréditée par la prise de position du ministre des Affaires étrangères français. Pour Laurent Fabius, "il peut exister toute une échelle de sanctions, notamment des sanctions personnelles contre les éléments qui sont à l'origine de ces violences".
Confirmation également de la représentante de la diplomatie européenne. Catherine Ashton a convoqué, mercredi matin, une réunion des ambassadeurs de l'Union chargés des questions de sécurité. "Toutes les options seront étudiées, y compris des sanctions contre les responsables de la répression et des violations des droits de l'Homme."
Quand pourraient-elles êtres décidées ?
Au sein de l'Union européenne, plusieurs pays pressent le pas. François Hollande et le président du Conseil des ministres polonais, Donald Tusk, souhaitent des "sanctions européennes rapides et ciblées". Ils ont reçu le soutien de la chancelière allemande. Au cours d'une conférence commune avec le chef de l'Etat français, après un Conseil des ministres conjoint à l'Elysée, Angela Merkel a assuré que les auteurs de la répression et des "actes inqualifiables, inadmissibles, intolérables", "venant du pouvoir", seront "sanctionnés".
Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, juge également que des mesures doivent être adoptées "d'une manière urgente" par l'UE.
Une réunion extraordinaire des ministres des Affaires étrangères de l'UE est convoquée en urgence, jeudi à Bruxelles. François Hollande et Angela Merkel l'ont assuré : la question des sanctions, de "leur graduation et de leur ciblage" y sera évoquée.
Ces mesures seront-elles être vraiment prises ?
Les mesures économiques, comme les interdictions d'exportations, relèvent de la compétence de l'UE qui est chargée de leur mise en œuvre. Les sanctions de l'UE "ne s'appliquent que là où l'UE est compétente", c'est-à-dire dans les 28 pays membres, à leurs ressortissants et aux entreprises. Ce n'est pas le cas de l'Ukraine.
Quant à la question des sanctions personnelles, elle ne fait pas l'unanimité parmi les 28 Etats membres de l'UE. Or celle-ci est requise pour l'adoption de sanctions. Sans accord, les ministres des Affaires étrangères pourraient se contenter de publier une déclaration solennelle mettant en garde les dirigeants ukrainiens.
Car "plusieurs pays voisins de l'Ukraine ne souhaitent pas s'avancer dans la voie des sanctions", a expliqué le chef de la diplomatie belge, personnellement favorable à des sanctions. La Roumanie a ainsi une posture ambigue. Mercredi soir, le président roumain Traian Basescu a fait savoir que Bucarest "donnera son accord à des sanctions individuelles visant ceux responsables du recours excessif à la force". Cependant il estime qu'il n'est "pas opportun à ce stade d'infliger des sanctions économiques à l'Ukraine, qui est déjà dans une situation économique extrêmement difficile".
Le président de la Commission européenne veut cependant croire à une position commune des Européens. José Manuel Barroso a dit espérer que les Etats membres se mettent d'accord "dans l'urgence sur des mesures ciblées contre les responsables de la violence". Sans garantie.
Quelles pourraient être les conséquences politiques ?
L'adoption de sanctions marquerait un tournant pour l'Union européenne. Faute de consensus sur l'attitude à adopter, elle s'est montrée discrète depuis le début de la crise, et s'est contentée d'exprimer mi-janvier "sa profonde inquiétude".
Certains diplomates européens ont cependant exprimé des doutes sur le bien-fondé de l'adoption de sanctions. Elles risqueraient, selon eux, de fermer définitivement la porte au dialogue. "On ne veut pas couper les ponts, il faut laisser les canaux de négociations ouverts", a expliqué un diplomate européen s'exprimant sous couvert de l'anonymat. Les pays voisins de l'Ukraine opposés aux sanctions avancent un autre argument : "c'est un risque que l'on prend, un risque de voir le régime durcir encore le ton à l'égard de l'opposition", expose le chef de la diplomatie belge.
Afin de ménager Kiev, plusieurs sources diplomatiques à Bruxelles ont indiqué que le président Ianoukovitch ne devrait pas être concerné par d'éventuelles sanctions. La ministre italienne des Affaires étrangères, Emma Bonino, a aussi suggéré de sanctionner également "les provocations des groupes extrémistes et violents" de l'opposition.
Quelle pourrait être la réaction de la Russie ?
Dans le passé, les sanctions prises contre le régime du Belarus ont conduit à un renforcement de la répression et à un rapprochement de ce pays avec Moscou, notent des diplomates. Un durcissement de la position européenne pourrait ainsi pousser un peu plus le président ukrainien pro-russe dans les bras du Kremlin. D'autant qu'il surviendrait alors que Kiev attend de Moscou le versement d'une nouvelle tranche d'aide de 2 milliards de dollars (1,46 milliard d'euros) à l'Ukraine, qui devrait intervenir cette semaine.
La Russie a convaincu Viktor Ianoukovitch de renoncer à signer un accord d'association avec l'Union européenne, renoncement à l'origine de la crise. Et le Kremlin continue de se dresser entre le pouvoir en place et les Occidentaux. La Russie a ainsi mis en cause la responsabilité des pays occidentaux dans les derniers événements. Selon Moscou, les violences sont la "conséquence directe de la connivence de responsables politiques occidentaux et des structures européennes qui ont fermé les yeux (...) sur les actions agressives de forces radicales".
La Russie ne reste pas non plus inactive, alors que les chefs de la diplomatie française, allemande et polonaise sont attendus jeudi à Kiev. Le porte-parole du Kremlin a indiqué que Vladimir Poutine et Viktor Ianoukovitch s'étaient parlé au téléphone, dans la nuit de mardi à mercredi. Il a cependant pris soin de préciser que le chef d'Etat russe ne donnait pas de conseils à son homologue ukrainien.
Mercredi soir, Vladimir Poutine s'est engagé à coopérer avec l'Allemagne afin de "tout faire" pour éviter "l'escalade de la violence", a déclaré mercredi Angela Merkel après une conversation téléphonique avec le président russe. Mais dans le même temps, l'ambassadeur de Russie auprès de l'UE Vladimir Chijov a jugé qu'évoquer la possibilité de sanctions est "au moins déplacé et en tout cas inopportun".
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