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Reportage Guerre en Ukraine : "L’espoir meurt en dernier", confient ces habitants de Bakhmout qui quittent la ville après plusieurs semaines cachés dans des caves

Article rédigé par Agathe Mahuet - avec Laurent Macchietti, Yashar Fazylov
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Une peinture murale à l’entrée ouest de Bakhmout, ville ukrainienne pilonnée par l’armée russe depuis août 2022. (AGATHE MAHUET / RADIO FRANCE)
Une conférence de soutien à l'Ukraine s’ouvre mardi à Paris pour aider le pays à passer l’hiver et à entamer sa reconstruction. Coupures de courant et bombardements font toujours le quotidien des habitants de Bakhmout, près du front de l’Est, dans le Donbass.

Rares sont les immeubles qui ont encore des fenêtres à Bakhmout. C’est d'ailleurs la première chose que l’on remarque quand on entre dans cette ville du Donbass, pilonnée par les Russes depuis des mois. Des destructions partout et des explosions qui résonnent, parfois toutes les minutes, parfois toutes les dix secondes.

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Deux femmes se dépêchent de rentrer chez elles, chargées de gros bidons d’eau et d’aide humanitaire. Lena et Yelena font partie des cinq derniers médecins pour les civils de Bakhmout. À la question : est-ce possible de travailler dans ces conditions-là, Yelena répond : "Que faire ? On ne va pas abandonner nos patients ! Certains sont très âgés, handicapés, qui va s’occuper d’eux ?". 

Car sous son allure de ville-fantôme, Bakhmout n’est pas désertée. Plusieurs milliers de personnes vivent encore ici, le plus souvent, dans les caves. Les deux collègues médecins partagent elles-mêmes un sous-sol avec une douzaine de personnes depuis le mois d’août. Un poêle réchauffe la pièce,  éclairée grâce au générateur. Et derrière le rideau du dortoir, surgit une petite tête. Dans son pyjama rose, Alina, 13 ans, vient se blottir contre Léna, sa mère. "Ça va, ce n’est pas triste, assure-t-elle. On s’habitue avec le temps. Ça fait plus de trois mois qu’on a plus d’eau et plus de courant. Mais on survit à tout". Yelena, elle, craque un peu : "Psychologiquement, c’est dur, très dur".

Alina, 13 ans, vit dans cette cave de Bakhmout avec sa mère Léna, l’une des cinq médecins civils restés dans la ville sous les bombes. (AGATHE MAHUET / RADIO FRANCE)

"Nous sommes tous sous antidépresseurs. J'espère que ça va finir un jour, ça fait six mois que je n’ai pas vu ma fille."

Yelena, une des cinq derniers médecins civils de Bakhmout

à franceinfo

La voix de Yelena se brise, puis elle s’excuse aussitôt pour ce "moment de faiblesse". D’habitude, c’est elle qui réconforte les patients. 

Un poêle apporté par des volontaires permet de chauffer le sous-sol habité par Yelena et douze autres personnes. Il est éclairé, ce jour-là, grâce à un générateur. Mais encore faut-il se procurer de l’essence. (AGATHE MAHUET / RADIO FRANCE)

Une vie de misère

Dans Bakhmout en ruines, Oleh, un vieil homme de 81 ans, chapka sur la tête, ne sait plus si l’on est le soir ou le matin. Il scie du bois pour se chauffer, des bouts de planches qu’il a ramassés chez ses anciens voisins, dans les immeubles détruits. "Regardez là et là !, montre-t-il du doigt. Les fenêtres… Tout est brisé. C’est quoi cette guerre ?"

"Ce n’est pas une guerre. Ce sont les gens qu’on extermine."

Oleh, 81 ans

à franceinfo

"Moi je suis né en 41, poursuit-il. J’étais un enfant pendant la Seconde Guerre mondiale. J’ai connu la faim. Et maintenant ça recommence..."

Oleh, 81 ans, scie du bois pour alimenter son poêle, des planches ramassées chez ses anciens voisins, dans les immeubles détruits de Bakhmut, en Ukraine. (AGATHE MAHUET / RADIO FRANCE)

Natalya vient d’oser une sortie pour piquer une cigarette à des militaires. "Il n’y a plus rien à Bakhmout, plus un magasin", décrit-elle. Elle vit encore dans son appartement. Pourtant, l'immeuble juste à côté du sien devrait l’en dissuader. Il a été pulvérisé par un missile, il y a quelques semaines. On aperçoit dans un placard, au deuxième étage éventré, les vêtements toujours sur le cintre.

Natalya vit encore dans son appartement à Bakhmut, sans courant, ni eau, ni chauffage. L’immeuble voisin du sien a été pulvérisé par un missile, il y a quelques semaines, faisant sept morts. (AGATHE MAHUET / RADIO FRANCE)

"Bakhmout, avant la guerre, était une petite ville agréable", raconte Nazar, un soldat chargé de ravitailler les troupes. "Là, vous voyez, ce carrefour ? La ligne de front est au bout de la rue. Les Russes sont à moins de deux kilomètres", lâche-t-il. L’armée ukrainienne construit en ce moment de nouveaux barrages, à l’entrée de la ville.

Des volontaires, comme Yaroslav, tentent, eux, quotidiennement de convaincre les habitants de partir. Pour les militaires, ce n’est pas pratique de combattre en sachant qu’il y a des civils. Mais beaucoup de gens se sont habitués aux explosions. "Ce matin, une grand-mère a refusé de nous suivre", raconte-t-il. Son association parvient à évacuer dix personnes par jour. C’est sous un petit tunnel, le lieu le plus sûr de Bakhmout selon Yaroslav, que la camionnette attend les derniers candidats au départ.

Léonid et Iryna, 68 et 60 ans, ont enfin accepté d’évacuer vers Kramatorsk. "C’est très difficile de quitter notre ville, mais nous sommes à bout de forces". (AGATHE MAHUET / RADIO FRANCE)

Leonid et Irina, la soixantaine, viennent de grimper à bord. "C’est vraiment difficile pour nous de quitter notre ville, confie Leonid. Mais là, on est à bout de force, ça n’est plus possible." Les bombardements sont devenus trop forts. Alors ils s’en vont chez leur fils. Contre eux, ils serrent quelques affaires. "Que Bakhmut nous attende !, lance Leonid. L’espoir meurt en dernier. Dès que la guerre sera finie, on reviendra, et on reconstruira".

"Bakhmout, les civils sous les bombes" - Reportage d’Agathe Mahuet et Laurent Macchietti.

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