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Reportage À Loutsk, les Ukrainiens enterrent leurs soldats : "Nos fils ne laisseront pas un bout de notre terre à l’ennemi"

Des bombardements sur une base militaire ont tué quatre soldats à Loutsk, à l'ouest de l'Ukraine. Parmi eux, Ivan et Vadim, "tués dans leur propre ville", et enterrés samedi.

Article rédigé par franceinfo - Sandrine Etoa-Andegue et Fabien Gosset
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Les obsèques d'Ivan et Vadim, soldats tués lors de bombardements, à Loutsk, dans l'ouest de l'Ukraine, le 12 mars 2022.  (SANDRINE ETOA-ANDEGUE / RADIO FRANCE)

La cire des bougies et les larmes coulent en même temps sous la nef de l’église, située sur la place centrale de Loutsk. Ivan et Vadim, nés respectivement en 1987 et 1994, seront désormais pour les habitants de cette ville de l'ouest de l'Ukraine, partagée entre peur et révolte, les visages de la guerre. Ils font partie des quatre militaires tués la veille, vendredi 11 mars, lors de frappes aériennes russes sur l'aéroport militaire de Loutsk. 

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Dans leurs cercueils ouverts, alors que la musique s'élève dans l'église, les deux militaires ont l’air paisibles malgré leurs visages tuméfiés par la violence des explosions. Ces bombardements ont été un choc pour la population, alors que cette partie de l'Ukraine a été jusque-là relativement épargnée par les bombes. À gauche des cercueils, des femmes, fichus sur la tête, pleurent en tremblant. À droite, des soldats, immobiles, fixent Ivan et Vadim, leurs camarades allongés. "Nous avons sacrifié nos meilleurs fils. C’est le symbole de notre amour pour notre patrie. C’est le prix de la liberté", dit le pope, qui interroge : "Quel est le sens de tout ça ? Pourquoi un voisin attaque un autre voisin ?"

Les obsèques d'Ivan et Vadim, soldats tués lors de bombardements, à Loutsk, dans l'ouest de l'Ukraine, le 12 mars 2022.  (SANDRINE ETOA-ANDEGUE / RADIO FRANCE)

À la sortie de la messe, sur le parvis, c’est comme si toute la ville était venue dire au revoir à ses deux soldats. Olena était la voisine d’Ivan, elle éclate en sanglot. "Cet enfant a survécu au pire pendant la guerre dans le Donbass en 2014, il est rentré sain et sauf. Et là, il se fait tuer dans sa propre ville, raconte-t-elle. Tout ce que je veux c’est qu’ils laissent nos fils tranquilles ! Le mien est près de Marioupol en ce moment. Sa femme et leur bébé ne sont pas loin. Je vous laisse imaginer. Quel malheur !"

"Avec ces morts, la guerre frappe à nos portes, souffle cette habitante de Loutsk, les bras chargés d’un énorme bouquet de roses. Ce petit, c’était vraiment quelqu’un de bien, de pur, toujours souriant, d’une grande gentillesse. C’était un homme avec un grand H. J’ai peur, oui. Mais c’est chez nous ici."

"Si je dois prendre ma pelle et leur dévisser la tête, je le ferai sans hésiter"

"Ce n’est pas la première fois dans cette église qu’on enterre des militaires originaires de Loutsk, mais ça a toujours été des soldats tués par les Russes sur un front lointain. Alors que ces deux-là ont été tués ici, dans leur ville natale", raconte le maire de la ville, Ihor Polichtchouk. L’aérodrome militaire avait été attaqué une première fois, le premier jour de la guerre. Cette deuxième attaque a surpris les habitants. "Le degré d’inquiétude est monté d’un cran depuis vendredi matin, confie le maire. Notre niveau de préparation aussi. Mais il n’y a pas de panique générale. Nous voulons rendre les coups. Que ceux qui ont lancé cette guerre, qui ont ordonné ces frappes, qui nous ont envahis avec des armes, soient punis !"

Les obsèques d'Ivan et Vadim, soldats tués lors de bombardements, à Loutsk, dans l'ouest de l'Ukraine, le 12 mars 2022.  (SANDRINE ETOA-ANDEGUE / RADIO FRANCE)

Un désir de vengeance que l’on retrouve chez Tatiana. Cette responsable d’une ONG locale ne mâche pas ces mots quand elle parle des Russes : "Ça peut paraître violent dit comme ça, mais on va les enterrer ici. Nos fils sont fiers, courageux, insoumis. Ils ne laisseront pas un bout de notre terre à l’ennemi. Moi, je n’ai pas peur, j’ai 65 ans. Je suis mariée à un officier." Elle ajoute geste à l’appui : "Si je dois prendre ma pelle là et leur dévisser la tête, je le ferai sans hésiter". Tatiana a aussi un message à adresser à Emmanuel Macron. "Il faut arrêter de négocier pendant des heures au téléphone avec Poutine. Il est indigne. Il ouvre un corridor humanitaire pour les civils et les bombarde en même temps. C’est quoi ça ?"

La fougue de Tatiana contraste avec l’abattement qui règne dans le carré militaire du cimetière, à quelques kilomètres de là. Devant la terre béante, il ne reste que la famille proche. Deux hommes s’attardent devant les grilles. "C’est mon fils qui est enterré ici", dit l’un. "Et moi, c’est mon neveu", ajoute l’autre. "Il faudrait fermer le ciel, pour que nos garçons ne meurent pas. Juste fermer le ciel. Car si ça avait été le cas, murmure le père, peut-être que mon fils serait encore en vie."

À Loutsk, les Ukrainiens enterrent leurs soldats - le reportage de Sandrine Etoa-Andegue et Fabien Gosset

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