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Massacre de civils à Boutcha : "Cela ressemble énormément à ce qui s'est passé au Rwanda", affirme le père Patrick Desbois

Plusieurs centaines de civils morts ont été retrouvés dans les rues de Boutcha, une ville ukrainienne située en périphérie de Kiev, après le départ des troupes russes. Moscou rejette de son côté "catégoriquement toutes les accusations".

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Une maison détruite par les bombardements dans la ville de Stoyanka, à l'ouest de Kiev, le 4 mars 2022. Photo d'illustration. (ARIS MESSINIS / AFP)

Ce qui s'est passé à Boutcha "ressemble énormément à ce qui s'est passé au Rwanda", estime le père Patrick Desbois, à propos de la découverte du massacre de civils dans cette ville ukrainienne, située près de la capitale Kiev, dont s'est récemment retiré l'armée russe. La Russie qui rejette "catégoriquement toutes les accusations" et qui évoque des "falsifications vidéo" et des "fakes".

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Patrick Desbois est président de l'association internationale Yahad in-Unum, coordinateur scientifique du mémorial de Babi Yar et connu pour avoir travaillé sur la "shoah par balles", l'assassinat d'un million et demi de juifs en Ukraine entre 1941 et 1944. Selon le prêtre, les exactions commises à Boutcha, peuvent être qualifiées "bien évidemment de crimes de guerre" voire "peut-être de crimes contre l'humanité".

franceinfo : Vous avez décidé de recueillir les témoignages des crimes de guerre commis depuis plusieurs semaines dans le pays. Combien en avez-vous d'ores et déjà recueillis ?

Patrick Desbois : Nous avons pu filmer 37 personnes, majoritairement de cette région où on vient de découvrir les fosses communes, mais aussi de Marioupol. Nous travaillons avec des médiateurs puisque nous avons beaucoup de réseaux en Ukraine. Nous avons par exemple recueilli le témoignage d'une femme qui voulait sortir de son village quand elle a vu les missiles. Elle a pris sa voiture avec son mari et ses enfants et tout d'un coup, les Russes ont tiré sur la voiture. Elle m'a dit : Elle s'est retournée pour voir son adolescent. Elle a découvert qu'il était mort. Donc, elle est sortie de la voiture avec plus qu'un seul enfant. Son mari était gravement blessé et jusqu'à aujourd'hui, elle n'a pas pu récupérer les corps.

Donc, je pense qu'on aura énormément de sites de fusillades, de gens qui partaient et ont été atteints par des missiles ou bien de gens qui se cachaient dans les caves et qui, après, n'avaient plus à manger ou ont été blessés et ne pouvaient pas se soigner. Je pense que ce qu'on vient de découvrir à Boutcha n'est que le début. À Marioupol à mon avis, les découvertes seront terribles.

Les témoignages recueillis correspondent-ils à ce que l'on voit, ce que l'on entend de ce qui s'est passé à Boutcha ?

Oui, exactement. Quand j'entends ce que ce que disent les autorités russes, le déni, c'est pratiquement incroyable. Aujourd'hui, nous filmons une personne qui a repéré toutes les fosses communes de Marioupol et a mis un signe pour qu'on ne les oublie pas. Ces massacres sont faits volontairement, sans parler des viols. Quelqu'un a sauvé plus de huit filles qui étaient violées par des groupes de jeunes Russes qui les avaient pris comme trophée. L'une d'elles avait 15 ans. Ils ont tiré une balle dans le corps de sa maman, qui était blessée. Et pendant qu'elle mourait, ils l'ont l'obligée à regarder sa fille se faire violer par dix soldats. Ce sont des soldats qui n'étaient pas encore au front et qui allaient y aller. On a vraiment les témoignages d'exactions énormes contre les civils. Il s'agira bien évidemment de crimes de guerre puisque ces personnes n'ont aucun lien avec les entités militaires et peut-être de crimes contre l'humanité.

Vous avez largement documenté la shoah par balles pendant la Seconde Guerre mondiale. Quel parallèle faites-vous, s'il y en a un, entre ce crime et ce qui se passe aujourd'hui ?

La situation est très différente puisque les Allemands ne laissaient pas une seule personne vivante parmi les juifs. Par contre, cela ressemble énormément à ce qui s'est passé au Rwanda. Quand vous regardez les rues de Boutcha, vous avez l'impression de voir les rues de Kigali où l'on voyait des corps et des fosses communes. Ce que je crains, c'est que les unités de Poutine, voyant que l'on parle des fosses communes, vont peut-être se mettre à détruire au maximum les corps pour qu'on n'ait pas de traces. C'est ce qui s'est passé pendant la Deuxième Guerre mondiale. Le but en collectant ces témoignages, c'est donc d'abord de le faire savoir au grand public. Et deuxièmement, ça sera de les mettre à la disposition de la justice. Il y a des entités de la justice allemande qui veulent accuser des gens et il y a aussi la Cour internationale. Le plus compliqué sera de travailler avec d'autres entités qui identifient les militaires. Car juger Poutine ne sert à rien. Ce qu'il faut juger, c'est ceux qui ont fait le sale travail. Qui sont les gens qui ont donné des ordres sur le terrain ? Qui ont été les jeunes qui ont violé des filles publiquement devant leur famille ?

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