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Guerre en Ukraine : une enquête de journalistes européens dévoile l'importance des passeports dans la "russification" des territoires occupés

Le réseau UER sur le journalisme d'investigation, qui regroupe des médias publics européens, a publié une longue enquête sur la vie dans les territoires ukrainiens occupés, à partir de témoignages et d'entretiens.
Article rédigé par franceinfo
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Une membre de commission électorale examine un passeport dans un bureau de vote mobile, le 6 septembre 2023, lors d'une soi-disant élection organisée par les autorités prorusses de Donetsk (Ukraine). (STRINGER / AFP)

Que se passe-t-il dans les territoires ukrainiens occupés par la Russie ? Le réseau UER sur le journalisme d'investigation, qui regroupe des médias publics européens, dont France Télévisions, a enquêté pendant des mois (*) sur le devenir de ces régions désormais sous la coupe de Moscou. Les témoignages recueillis mettent au jour un vaste mouvement de "russification" des populations concernées, à travers notamment l'obligation d'acquérir la nationalité russe.

Une loi signée par Vladimir Poutine prévoit en effet que, à partir de juillet 2024, ceux qui n'auront pas obtenu la nationalité russe seront considérés comme des étrangers ou apatrides et risqueront l'expulsion ou l'emprisonnement. Leurs enfants, le cas échéant, seront confiés aux orphelinats.

Mais en attendant, le passeport russe conditionne désormais déjà l'accès à l'aide sociale et médicale apportée aux habitants. "Ils ont dit [à une amie diabétique] que la prochaine fois qu'elle viendrait chercher de l'insuline, elle n'en obtiendrait pas sans passeport", témoigne Larysa Borova, qui avait fui la ville de Kherson occupée pour s'installer à Odessa. "Quand on va à l'hôpital, il faut avoir un passeport russe, confirme une autre femme, évoquant une autre ville : "Si vous ne l'avez pas, ils ne vous soigneront pas." Les pensions sont également réservées aux possesseurs d'un passeport russe.

L'enquête a aussi permis de recueillir des témoignages faisant état d'arrestations arbitraires et de tortures. "Les marchés étaient gardés par des agents et des soldats du FSB. Ils arrêtaient et contrôlaient les gens quand ils le voulaient, témoigne Artem Petrik, qui a vécu sous occupation russe à Kherson, avant d'être emprisonné quatre mois puis de rejoindre Odessa. Il raconte avoir été victime d'un simulacre de noyade, le tee-shirt relevé sur la tête, "comme un masque'', tandis qu'un bidon d'eau était versé sur son visage.

Un document indispensable au quotidien

En septembre, lors de soi-disant élections locales, des hommes en armes ont déambulé dans les rues pour inciter les habitants à voter. "Des femmes munies de bulletins de vote ont sonné aux portes des appartements, raconte Halyna, une femme qui raconte une année sous l'occupation. On a dit aux retraités que leurs pensions seraient annulées s'ils ne votaient pas. Le vote a eu lieu dans des appartements." Un passeport russe est également réclamé aux parents pour inscrire leurs enfants à l'école. Halyna a finalement cédé. En octobre, l'école de son fils a célébré l'anniversaire de l'annexion illégale par la Russie des quatre régions d'Ukraine.

L'éducation, en effet, est un autre volet essentiel de cette "russification" menée à marche forcée dans ces territoires. Comme en Russie, quelque 1 250 écoles des territoires occupés ont inauguré un nouveau manuel d'histoire, qui livre un récit officiel de la Seconde Guerre mondiale, des années soviétiques et de l'annexion de la Crimée. Le conflit en cours, évoqué dans le dernier chapitre, y est illustré par des propos de Vladimir Poutine justifiant l'invasion par "une question de vie ou de mort", engageant "l'avenir historique [de la Russie] en tant que peuple". Les élèves âgés de 16 ans, eux, doivent suivre une formation militaire de base, et les parents doivent envoyer leurs enfants dans des mouvements de cadets.

Seuls les citoyens russes, enfin, ont accès à la propriété. Réfugiée à Kiev, Natalia Rudych a suivi en direct l'arrivée d'intrus dans son appartement de Melitopol, sur le flux vidéo des caméras installées dans son immeuble. "Tout ce qui pouvait être pris a été pris", relate-t-elle.

Le dilemme des Ukrainiens sous occupation

Les Ukrainiens interrogés dans l'enquête ne parlent plus ukrainien en public. Ils évitent même de le faire devant leurs voisins, dans un climat de suspicion généralisée. A Melitopol, les autorités d'occupation ont relancé la publication du journal local, dans une version russifiée, et diffusé la Komsomolskaïa Pravda, un quotidien pro-Kremlin. Alors que l'Ukraine fait tomber une à une les statues évoquant le passé tsariste et soviétique, les occupants réhabilitent les symboles soviétiques. C'est d'ailleurs une bannière de cette époque, ornée d'une faucille et d'un marteau, qui a été hissée dans le centre de la ville, pour les célébrations organisées au début du mois de mai 2022.

De nouveaux décrets, à l'inverse, ont été introduits pour retirer la citoyenneté russe à ceux qui critiquent "l'opération militaire spéciale", selon le vocable en vigueur au Kremlin. Mais les personnes vivant sous l'occupation sont confrontées à un autre dilemme, soulignent les auteurs de l'enquête, car elles risquent également d'être considérées comme des traîtres par la partie ukrainienne. "Tout le monde sera considéré comme un collaborateur", se lamente un agriculteur, arrêté l'été dernier par les forces ukrainiennes à un checkpoint. Pour éviter une trop longue détention, il a plaidé coupable et écopé d'une amende et de la confiscation de ses biens. "Aujourd'hui je suis un ennemi pour mon pays, déclare-t-il. Tous ceux qui sont restés seront considérés comme des coupables, des collaborateurs et s'entendront dire : 'Pourquoi es-tu resté ? Pourquoi n'es-tu pas parti ?'."

(*) Enquête réalisée avec la participation des journalistes Emiliano Bos (RSI), Christoph Bendas (ORF), Derek Bowler (EBU), Louise Jensen (DR), Belen López Garrido (EBU), Indrė Makaraitytė (LRT), Pilar Requena (RTVE), Lili Rutai (EBU) and Alla Sadovnyk (UA:PBC).

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