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Guerre en Ukraine : pourquoi le nom d'Odessa, menacée par les bombes russes, nous paraît familier

Port commercial, station balnéaire, cadre de cinéma… Pourquoi Odessa nous semble-t-elle si familière ? Retour sur l’histoire de cette ville jumelée depuis un quart de siècle avec Marseille, que Vladimir Poutine rêve en capitale de la Novorussia.  

Article rédigé par franceinfo - Ariane Schwab
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Temps de lecture : 8min
La statue du duc de Richelieu, maire d'Odessa en 1803 puis gouverneur-général de la ville et de la province de Nouvelle-Russie de 1805 à 1814, visible du monumental escalier Potemkine.  (SERGEI SUPINSKY / AFP)

Jamais pleinement russe, pas vraiment ukrainienne, Odessa reste une ville cosmopolite unique en son genre. Même si dès sa conception, elle a été marquée par la culture française. Et pour cause : elle a d’entrée été gouvernée par un noble français, le duc de Richelieu, arrière-petit-neveu de l’illustre cardinal. Il lui a donné ses grandes artères et un régime d’exception qui lui a permis de s’affranchir des règles. Un esprit rebelle qui perdure : Vladimir Poutine qui estime qu’elle fait historiquement partie de la Novorossia (la Nouvelle Russie) qu'il aimerait voir constituée. Un avis qui n’est pas partagé par les habitants qui se revendiquent avant tout comme Odossites. . 

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Colonisée par les Grecs sous l’Antiquité, envahie par les Mongols au XIIIe siècle, ottomane au XVIe puis conquise par les Cosaques fin XVIIIe, Odessa est aujourd’hui une cité cosmopolite ukrainienne de plus d’un million d’habitants. Elle se situe au sud-est du pays, près de la frontière avec la Moldavie

Parce qu'elle se veut une ville "à la française"

Outre son urbanisme marqué comme par exemple le Frantsuzsky boulevard (le boulevard des Français) qu'emprunte le vieux tramway N5 en direction des plages ou l’opéra bâti sur le modèle de celui de Paris avant d’être détruit en 1873 par un incendie et reconstruit sur le modèle baroque italien de l’opéra de Vienne, la langue française y est longtemps restée en vogue. Les premiers journaux sortis des presses, Le Messager d'Odessa et Les Nouvelles d'Odessa, étaient rédigés en français. Pouchkine y écrivait les premiers vers de ses poèmes dans la langue de Molière. Et aujourd'hui encore, au hasard d'une rue, on vous répondra en français.

C'est que l'Odessa moderne, bâtie sur une falaise escarpée surplombant la mer Noire, doit beaucoup à un Français. Officiellement fondée en 1794 par l'impératrice Catherine II de Russie dans le but d’ouvrir l’Empire vers l’Occident, sa gouvernance a été confiée par Alexandre 1er à l’arrière petit neveu du cardinal de Richelieu, le duc de Richelieu, un émigré français ayant fui la Révolution. Il est considéré comme l'un des fondateurs de la ville qu’il a modelé en damier en faisant appel à des architectes français et italiens qui ont voulu y incarner les valeurs des Lumières. Il a également fait construire le port et obtenu d’Alexandre 1er un régime de privilèges qui lui a permis d’en faire un carrefour commercial très attrayantIl est resté une figure emblématique de la ville. Au pied de la statue de bronze qui le représente en toge romaine depuis 1828 et domine le monumental escalier Potemkine, on peut lire : "Au duc Emmanuel de Richelieu, gouverneur de 1803 à 1814 de la Nouvelle-Russie, qui fut à la base du bien-être d'Odessa".

Par son aura culturelle internationale

Un siècle après sa création, Odessa était en effet devenue la troisième ville de l'Empire russe après Moscou et Saint-Pétersbourg, et donc l'eldorado promis par Catherine II : une cité de négoce mais aussi une brillante métropole culturelle. Elle accueille l'un des plus anciens musées d’Ukraine, le musée archéologique, et possède également un musée des beaux-arts qui contient notamment des œuvres de Vassily Kandinsky. Depuis une attaque au missile le 3 mars, la directrice a indiqué que les œuvres étaient mises à l’abri au sous-sol.

"Durant toute son histoire, la ville s’est bâtie en absorbant des cultures diverses, et pas uniquement occidentales ou slaves, expliquait en 2009 à Courrier international Valentin Doubovenko, un conseiller municipal d'Odessa. On y trouve actuellement 137 nationalités. C’est une ville cosmopolite. Nous avons réellement une mentalité à part. Ce qui est ukrainien ne nous convient pas, et nous ne convenons pas à l’Ukraine. Nous ne sommes pas russes non plus. Nous sommes Odessites."

"L'ancre-coeur d'Odessa", installée devant la mairie de Marseille, le 1er mars 2022. (GEORGES  ROBERT / MAXPPP)

Ville méridionale, point de rencontre des mondes russe et méditerranéen, Odessa est souvent surnommée la "Marseille slave". L’écrivain Isaac Babel décrivait sa ville natale ainsi en 1930 : "Odessa, c’est notre Marseille à nous !" Ces deux cités portuaires sont jumelées depuis un quart de siècle. Par solidarité, la mairie de Marseille a installé devant l’hôtel de ville, peu après le début de l'offensive russe, une œuvre appelée L'ancre-cœur d'Odessa, offerte en 2017 par le maire d'Odessa et rappelant les armes de la ville ukrainienne.

Parce qu'elle a inspiré écrivains et cinéastes

C'est à Odessa que Gogol écrivit une partie de son roman Les Âmes mortes ou que Pouchkine commença Eugène Onéguine en 1821 : "J’étais à Odessa la belle. Le ciel là-bas est longtemps clair. Le commerce hisse ses voiles : il est actif et opulent. Là-bas tout a un air d’Europe. On sent qu’on est dans le Midi. On voit briller mille couleurs. On entend sonner dans les rues la belle langue d’Italie ; on voit passer des Slaves fiers, des Français, des Grecs, des Moldaves, des Arméniens, des Espagnols, et Maure-Ali, vieil Égyptien, corsaire aujourd’hui retiré."

Balzac, lui, fantasmait Odessa depuis qu’il en avait reçu une lettre de Mme Hanska, sa future maîtresse. Il ira jusqu’à faire rêver le Père Goriot, sur son lit de mort, d’aller y fabriquer des pâtes pour assurer la fortune de ses filles.

Et en 1925, le cinéaste soviétique Sergueï Eisenstein immortalisait à jamais la ville en s’en servant de cadre pour son film Le Cuirassé Potemkine. Entièrement tourné en décors naturels à bord d'un véritable navire de guerre, le film, commandé par le pouvoir soviétique, relatait un épisode célèbre de la Révolution russe de 1905 : une mutinerie à bord du cuirassé Potemkine, prémices à la contagion révolutionnaire qui avait gagné la ville et qui s’en est suivie d’une répression féroce par le pouvoir impérial avec cette scène devenue culte, même si elle n'a jamais existé, le massacre de civils sur les marches de l’escalier du Primorsky. Cette scène de six minutes a pourtant marqué les esprits avec l’image d’un bébé en poussette qui dévale les marches.

Le message politique envoyé était déjà plus que clair à l'époque : pas question pour l'Ukraine d'espérer sortir du giron de l'URSS. Un message à la sinistre résurgence.

On notera enfin qu’Odessa a également laissé son empreinte sur un quartier new-yorkais, Brighton Beach, situé à l’extrême sud de l’arrondissement de Brooklyn, le long de la péninsule de Coney Island. Surnommé "Little Odessa", le quartier rassemble une importante communauté de juifs qui ont fui les pogroms russes et les persécutions nazies au début du XXe siècle. Des membres du crime organisé ont profité de ces vagues migratoires pour s’installer aux États-Unis. Même s’il se défend d’avoir voulu faire un film sur la mafia russe juive en tant que telle, c’est de ce que contexte que s’est inspiré en 1994 le réalisateur James Gray pour son premier long métrage, intitulé Little Odessa.   

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