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Guerre en Ukraine : pourquoi l'ONU alerte sur un risque de famine dans plusieurs pays

Le secrétaire général des Nations unies a appelé lundi à un arrêt rapide des hostilités entre Moscou et Kiev, rappelant que "45 pays africains et pays les moins avancés importent au moins un tiers de leur blé d'Ukraine ou de Russie".

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Temps de lecture : 4 min
Un ouvrier manipule des graines de blé lors de son chargement pour le stockage dans un grenier à Tchernigiv (Ukraine), le 05 juillet 2019. (ANATOLII STEPANOV / FAO / AFP)

"Un ouragan de famines." C'est le sombre présage formulé lundi 14 mars par le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, au 19e jour de conflit entre Kiev et Moscou. "La guerre en Ukraine signifie la faim en Afrique", a également déploré dimanche Kristalina Georgieva, directrice générale du FMI, sur CBS News (en anglais). Franceinfo vous explique les raisons de cette inquiétude grandissante des institutions internationales. 

Parce que la situation est déjà critique

L'insécurité alimentaire mondiale n'est pas un phénomène nouveau. "Elle n'a pas cessé d'augmenter depuis 2017", rappelle auprès de franceinfo l'économiste Thierry Pouch, chef du service études et prospectives de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (Apca). La faim dans le monde s'est considérablement aggravée depuis le début de la crise sanitaire du Covid-19. Jusqu'à 811 millions de personnes étaient en situation de sous-alimentation en 2020, selon un rapport des Nations unies. "Avec le conflit ukrainien, on va progressivement se rapprocher du milliard"  de personnes qui manquent de nourriture, estime Thierry Pouch.

La multiplication des conflits mondiaux participe à la dégradation globale, et pour cause : la guerre engendre une baisse de la production alimentaire dans les pays concernés. Des terres agricoles sont détruites lors des combats, mais pas seulement. "Les lignes ferroviaires qui acheminent des wagons de céréales vers les ports peuvent être endommagées, analyse l'économiste. En cas de guerre, un exode rural peut survenir. Des agriculteurs changent alors de travail ou s'engagent dans le conflit. C'est ce qu'il s'est passé en Syrie." 

Cette destruction des infrastructures inquiète tout particulièrement l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), qui estime que les superficies plantées lors de ce printemps en Ukraine pour le maïs et le tournesol "seront réduites de 30%". "Quand bien même la guerre s'arrêterait demain, il y aura des conséquences", juge auprès de l'AFP Sébastien Abis, chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).

Parce que de très nombreux pays dépendent du blé russe et ukrainien 

En temps de paix, la Russie et l'Ukraine sont de grandes puissances agricoles, qui exportent massivement leur production, notamment de blé. "Certains pays comme l'Ukraine, qui produisent beaucoup, libèrent un surplus à l'export important : sur 110 millions de tonnes en grandes cultures, céréales ou protéagineux, l'Ukraine en met 80 sur les marchés mondiaux", expliquait mardi sur franceinfo Sébastien Abis. Les deux pays font partie des plus grands exportateurs de blé au monde. A eux deux, ils détiennent environ un tiers du commerce mondial sur cette denrée.

"La Russie représente 22% des exportations mondiales de blé. Elle est le premier exportateur mondial."

Thierry Pouch, économiste

à franceinfo

Le secrétaire général de l'ONU a rappelé lundi que "45 pays africains et pays les moins avancés importent au moins un tiers de leur blé d'Ukraine ou de Russie – 18 de ces pays en importent au moins 50%. Cela comprend des pays comme le Burkina Faso, l'Egypte, la République démocratique du Congo, le Liban, la Libye, la Somalie, le Soudan et le Yémen."

Pour se fournir en blé, l'Egypte dépend par exemple à 84% des importations venant de la Russie et de l'Ukraine, rappelle Thierry Pouch. "Le Liban, c'est 51% de dépendance au blé de l'Ukraine. Pour la Turquie, c'est 63% de dépendance au blé russe", ajoute-t-il. Cette subordination économique est ancienne. Elle renvoie à la concurrence instaurée par Vladimir Poutine dans le secteur de l'agriculture depuis plusieurs années. "C'est un véritable combat. Il existe une dizaine d'exportateurs de céréales et une multitude de demandeurs. La Russie a réussi à déloger les Etats-Unis de leur place de leader dans certains pays par des effets de concurrence", analyse l'économiste. 

"La Russie a compris depuis très longtemps que le blé était une arme comme les autres", confirme à La Dépêche Denis Beauchamp, responsable d'une coopérative céréalière et président de l'association FranceAgriTwittos. Conséquence : les pays "dépendant plus largement des importations de céréales sont en première ligne", relève le Programme alimentaire mondial (PAM). 

Parce que les exportations sont perturbées par la guerre

Depuis le début de la guerre en Ukraine, les exportations sont au plus bas. Le gouvernement ukrainien a décidé d'instaurer une licence pour limiter les exportations de certains produits agricoles, dont l'huile de tournesol. Même son de cloche du côté de Moscou, qui a décidé, dans la nuit de lundi à mardi, de freiner ses exportations de céréales vers quatre anciennes Républiques soviétiques (Kazakhstan, Biélorussie, Arménie, Kirghizstan).

La Russie a également interdit "l'exportation de sucre blanc et de sucre de canne brut vers des pays tiers", rapporte le service de presse du gouvernement russe. Ces restrictions sur les céréales devraient rester en vigueur jusqu'au 30 juin et celles sur le sucre jusqu'au 31 août. Le gouvernement russe précise que cette décision a été prise "pour protéger le marché alimentaire intérieur face aux restrictions extérieures", rapporte l'AFP. 

Parce que les prix explosent

Selon un rapport du PAM publié vendredi 11 mars (en anglais), le conflit en Ukraine a "des effets immédiats". En premier lieu, des prix en constante augmentation sur les marchés mondiaux, alors même que certains produits, comme les céréales et le sucre, avaient déjà connu une forte inflation en raison de la pandémie de Covid-19. "Les prix des céréales avaient déjà augmenté l'année dernière, mais avec le conflit, ça a pris une dimension supplémentaire, constate Thierry Pouch. Le 7 mars, on atteignait 400 euros la tonne. Les valeurs normales se situent entre 180 et 230 euros la tonne !"

Les famines risquent de frapper en premier lieu les pays les plus pauvres comme l'Afghanistan, l'Ethiopie, la Syrie ou encore le Yémen, liste le PAM. Cela pourrait "semer les germes de l'instabilité politique et de troubles dans le monde entier", a prévenu le sécrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres. En Tunisie, où les denrées ukrainiennes représentaient près de 48% des importations en blé en 2019, des manifestations ont éclaté la semaine passée face aux pénuries alimentaires et au coût de la vie. 

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