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Sécurité alimentaire mondiale en danger : "La guerre en Ukraine, la faim en Afrique"

Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, met en garde contre le risque d'une guerre qui pourrait entraîner "un ouragan de famines" dans de nombreux pays, essentiellement en Afrique. 

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Moissonneuse-batteuse dans les champs du district de Novovodolazhsky dans la région de Kharkiv, en Ukraine, le 25 juillet 2017. (PAVLO PAKHOMENKO / NURPHOTO)

Au-delà des pertes humaines et économiques, le Fonds monétaire international (FMI) s'inquiète des retombées de la guerre en Ukraine dans le monde entier. En moins de trois semaines de conflit, les prix de l'énergie, des matières premières et agricoles ont flambé. Pour une denrée comme le blé, les effets pourraient être encore plus dramatiques, prévient l'institution de Washington. "Les perturbations de la saison agricole de printemps pourraient freiner les exportations, ainsi que la croissance et mettre en péril la sécurité alimentaire" mondiale, notent les auteurs du rapport. Car l'Ukraine, le "grenier de l'Europe", et la Russie font partie des plus grands exportateurs de blé au monde. A elles deux, elles détiennent environ un tiers du commerce mondial.

"45 pays africains et pays les moins avancés importent au moins un tiers de leur blé d'Ukraine ou de Russie – 18 de ces pays en importent au moins 50%. Cela comprend des pays comme le Burkina Faso, l'Egypte, la République démocratique du Congo, le Liban, la Libye, la Somalie, le Soudan et le Yémen."

Antonio Guterres, Secrétaire général de l'ONU

Effets immédiats 

La majeure partie du blé ukrainien est exportée en été et en automne. Plus la guerre dure, plus les exportations vont être compromises, avec un impact pour les réserves actuelles et futures. "Les perturbations des exportations en mer Noire ont des effets immédiats pour des pays comme l'Egypte, qui dépendent fortement des importations de céréales en provenance de Russie et d'Ukraine", a souligné le Programme alimentaire mondial (PAM) dans un rapport. Et au-delà des pays recevant des céréales de la mer Noire, "ceux dépendant plus largement des importations de céréales sont en première ligne", car les prix alimentaires domestiques grimpent, conséquence de la hausse des prix sur les marchés mondiaux des céréales, ajoute l'organisme d'aide alimentaire des Nations unies.

"La guerre en Ukraine signifie la faim en Afrique."

Kristalina Georgieva, la Directrice générale du FMI

sur CBS News

(Traduction : "La guerre en Ukraine a des effets sur nous tous – et des conséquences sociales. Les populations de nombreux pays le ressentiront à travers les prix des matières premières : énergie, céréales, engrais, métaux. Et cela ajoutera à l'inflation, pas facile pour les pays où elle est déjà élevée.")

Ramadan en temps de guerre

Ruée sur la farine et la semoule : depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie, fournisseurs de blé de l'Afrique du Nord, les prix de ces produits connaissent dans la région une flambée accentuée par une frénésie d'achats avant le ramadan en avril. Dans un supermarché de l'Ariana, au nord de Tunis, pas un sachet de farine ni de semoule sur les étagères, et seulement trois paquets de sucre derrière l'étiquette : "SVP pas plus de un kilo", constate l'AFP. Pour le moment, la Tunisie assure avoir des stocks pour trois mois et les produits de base (café, sucre, pâtes, semoule) sont largement subventionnés, avec un prix de la baguette inamovible depuis 10 ans à 6 centimes d'euro. Selon la presse locale, la Tunisie avait annulé une commande de blé après la flambée des cours.

Routiers en colère

Dépourvu d'hydrocarbures, le Maroc a été touché de plein fouet par la flambée des prix des carburants. Le gouvernement marocain va aider financièrement les transporteurs routiers, frappés de plein fouet par la flambée des prix à la pompe, alimentée par la guerre en Ukraine, et qui se sont mis en grève la semaine dernière. L'escalade des prix ne touche pas que les carburants mais aussi des denrées de base, ce qui a provoqué des manifestations contre la cherté de la vie, pour l'instant éparses,  à travers le pays. Aggravant la crise, après deux années de pandémie, le royaume est frappé par une sécheresse "historique" alors que son économie est très tributaire du secteur agricole et agro-alimentaire, premier contributeur au PIB, à hauteur de 14%.

Pain subventionné 

Pays pétrolier et gazier mais très dépendant de ses importations alimentaires (75% de son blé provient de Russie et d'Ukraine), la Libye a aussi vu les prix s'envoler, notamment pour la farine, le lait, l'huile, les conserves et le sucre. Le conflit ukrainien a exacerbé ces hausses avec désormais trois petits pains pour un dinar (0,22 euro) au lieu de quatre, un produit pourtant subventionné. Deuxième consommateur africain de blé derrière l'Egypte (10 millions de tonnes par an), l'Algérie "n'importe pas de blé tendre de Russie ni d'Ukraine", selon l'office des céréales OAIC. "Il n'y aura pas de pénurie, des céréaliers continuent d'acheminer d'importantes cargaisons vers le port d'Alger", dit à l'AFP Mustapha, un responsable de la capitainerie du port. 

"Emeutes de la faim"

"Les prix des céréales ont déjà dépassé ceux du début du printemps arabe et des émeutes de la faim de 2007-2008. L'indice mondial des prix des denrées alimentaires de la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, basée à Rome) est à son plus haut niveau jamais enregistré", s'inquiète Antonio Guterres, Secrétaire général de l'ONU. 

 

(Traduction : "Des millions de personnes souffrent de la faim dans la région de la Corne de l'Afrique, qui connaît l'une des pires sécheresses de son histoire récente. J'exhorte la communauté internationale à ne pas oublier cette crise humanitaire et à financer les efforts de secours vitaux.")

Pour éviter les émeutes, les gouvernements continuent de subventionner les produits de première nécessité. Des pays, comme l'Algérie, annoncent régulièrement leur intention de supprimer les subventions, à cause de leur coût exorbitant, sans aller jusqu'à leur démantèlement. Jusqu'à présent. 

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