Cet article date de plus de deux ans.

Guerre en Ukraine : Egypte, Liban, Soudan... Ces pays menacés par des pénuries alimentaires à cause du conflit

L'Ukraine et la Russie figurent parmi les principaux fournisseurs mondiaux de blé. Depuis le début de l'invasion décidée par Vladimir Poutine, les exportations sont perturbées, les cours des prix s'envolent et l'inquiétude grandit dans des pays dépendant fortement de leurs importations de céréales.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Des employés vendent du pain à Tripoli (Libye), le 22 mars 2022. (MAHMUD TURKIA / AFP)

Une famine "inéluctable". C'est ce que provoquera, s'il n'y a pas d'évolution, la guerre en Ukraine dans 12 à 18 mois, selon Emmanuel Macron. A l'issue des sommets de l'Otan et du G7, jeudi 24 mars, le chef de l'Etat a appelé la Russie à être "responsable", en permettant que les semis aient lieu en Ukraine. 

Avec le blocage ou la prise de ses ports par l'armée russe, le pays ne peut plus exporter ses productions de céréales. Pour Moscou, les sanctions internationales sont également de nature à perturber les exportations. Or les deux pays figurent parmi les principaux fournisseurs mondiaux de blé, de maïs, d'orge, de colza ou de tournesol. Dès lors, les cours des prix s'envolent et des pénuries alimentaires s'annoncent dans des pays très peuplés et qui dépendent fortement de leurs importations de céréales. Franceinfo fait un premier état des lieux.

L'Egypte encadre le prix du pain

L'Egypte est la plus importante destination pour les blés russe et ukrainien, rappelle l'AFP. Ainsi, 85% de ce qu'elle importe en blé vient des deux pays (62% de Russie et 23% d'Ukraine), selon les données de l'Observatoire de la complexité économique. La consommation de pain par habitant atteint 130 kg par an, bien au-dessus de la moyenne mondiale. Les plus de 102 millions d'Egyptiens, dont le tiers vit sous le seuil de pauvreté, subissent de plein fouet la flambée des prix des céréales et donc du pain.

A quelques jours du début du ramadan, période synonyme de dépenses alimentaires pour les ménages, Le Caire a décidé pour la première fois d'encadrer le prix du pain non subventionné. Le gouvernement a aussi annoncé avoir rehaussé son budget pour l'achat de blé de 865 millions d'euros, somme qui s'ajoute à des subventions de plus de cinq milliards d'euros pour les denrées de base. 

En échange, le Premier ministre a exhorté les commerçants à "ne pas exploiter la situation", tout en appelant les Egyptiens à "être raisonnables dans leur consommation pour ne pas forcer [l'Etat] à devoir se tourner vers des marchés mondiaux" où les prix flambent. L'Egypte a aussi annoncé stopper pour trois mois ses propres exportations de blé et de farine, "ce qui va frapper d'autres pays, en particulier l'Erythrée, la Somalie et le Yémen", anticipe auprès de l'AFP l'ONG européenne Transport et environnement. 

La Tunisie assure avoir trois mois de réserve de blé

En Tunisie, les prix des aliments grimpent également. Les habitants s'inquiètent. Les rayons de farine et de semoule sont pris d'assaut. La moitié du blé consommé dans le pays est importé. Il vient notamment d'Ukraine et de Russie. Le gouvernement assure cependant avoir des stocks pour trois mois.

Le pays fait face depuis des semaines à une pénurie de nombreux aliments de base, comme le riz, la semoule, le sucre et la farine. Le président tunisien Kaïs Saïed a déclaré "la guerre" aux spéculateurs. Le gouvernement subventionne largement les produits de base comme le café, le sucre, les pâtes ou la semoule. Le prix de la baguette n'a pas bougé depuis 10 ans (6 centimes d'euro). 

Au bord de l'asphyxie financière et en grave difficulté économique, le gouvernement discute depuis février avec le Fonds monétaire international. Ce dernier pourrait exiger la fin de certaines subventions, une décision qui peserait lourd sur le budget des ménages. 

L'Algérie interdit l'exportation de sa semoule

L'Algérie est l'Etat du Maghreb qui achète le plus de blé à l'étranger chaque année. La Russie et l'Ukraine font partie des pays qui l'approvisionnaient ces derniers mois. Face à l'incertitude géopolitique, le gouvernement algérien a décidé d'anticiper d'éventuelles pénuries en interdisant l'exportation de semoule, de pâtes et d'autres produits de consommation dérivés du blé, afin de préserver ses stocks.

L'Etat algérien a cependant un atout dans sa manche : il exporte du pétrole et profite de la flambée des cours mondiaux. Par conséquent, Alger se trouve "en capacité d'acheter du blé même avec la hausse des prix", soutient Sébastien Abis, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques, auprès de France 24.

Le Maroc craint une révolte populaire  

Le Maroc a importé plus de 4,5 millions de tonnes de blé en 2021, selon l'agrégateur de statistiques IndexMundi (contenu en anglais), qui se base sur les chiffres du ministère américain de l'Agriculture. La Russie et l'Ukraine figurent là encore parmi les fournisseurs. Le Maroc dispose de stocks de blé suffisants pour couvrir cinq mois de consommation, après avoir reçu la plupart de ses commandes de l'Ukraine avant le début du conflit, assure le chef de la fédération nationale de la minoterie, interrogé par le média marocain Le Reporter

Le gouvernement se dit toutefois prêt à importer des céréales de l'Union européenne ou de n'importe quelle autre région du monde, a rapporté la Société nationale de radiodiffusion et de télévision. Le pays fait face à une importante sécheresse, son économie est tributaire du secteur agricole, et il n'est pas à l'abri d'une révolte populaire. "Toutes les conditions sont réunies pour l'émergence d'un véritable mécontentement populaire qui représenterait alors une réelle menace pour la stabilité sociale"affirmait le quotidien Akhbar Al Youm (article en arabe), le 2 mars.

Le Soudan face à un risque de catastrophe alimentaire

Dans l'un des pays les plus pauvres du monde, les conséquences de la guerre en Ukraine pourraient précipiter la population dans une crise alimentaire aiguë. D'ici la fin de l'année, "20 millions de personnes seront en insécurité alimentaire" sur 45 millions de Soudanais, assure à l'AFP David Wright, de l'ONG Save the Children. 

D'une part, parce que "86 à 87% du blé du pays proviennent de Russie et d'Ukraine". De l'autre, car l'invasion de l'Ukraine par Moscou a fait flamber les prix mondiaux au-delà des records de 2008, qui avaient déjà conduit à des émeutes de la faim, explique David Wright.

Le prix du pain a déjà été multiplié par dix depuis le coup d'Etat militaire d'octobre, qui a privé le pays de tout soutien politique ou économique international. Washington, qui avait envoyé 300 00 tonnes de blé en 2021, n'acheminera pas les 400 000 tonnes promises en 2022. Selon l'ONU, un Soudanais sur trois a besoin d'aide humanitaire.

Les prix s'envolent en Libye

Les importations alimentaires sont vitales pour la Libye : 75% de son blé provient ainsi de Russie et d'Ukraine. Depuis le début de la guerre en Ukraine, les prix de la farine, du lait, de l'huile, des conserves et du sucre se sont envolés.

Le ministre de l'Economie et du Commerce libyen a assuré fin février que les réserves de blé devraient être suffisantes pendant plus d'un an, selon une récente note de Bercy. Les autorités ont là aussi sévi contre les vendeurs qui avaient augmenté le prix de la farine.

"Pas de pénurie" au Liban, mais...

"Le Liban dépend à 50% pour son alimentation du blé russe et ukrainien", souligne Christiane Lambert, présidente de la première organisation représentant les agriculteurs en Europe, la Copa-Cogeca, à l'AFP. Le ministre libanais de l'Economie a assuré début mars qu'"il n'y [avait] pas de pénurie" et que les quantités stockées étaient "suffisantes" pour une période"entre un mois et demi ou deux", a rapporté L'Orient-Le Jour.

Le quotidien libanais a également rappelé les mesures d'urgence prises par le gouvernement, dont un encadrement des livraisons de farine.

En Turquie, le prix du pain flambe

Selon Murat Kapikiran, le président de la Chambre des ingénieurs agricoles d'Istanbul, la production turque en blé "couvre à peine 80% des besoins" du pays, contre "107% il y a encore quatre ans". "Nous sommes devenus dépendants de la Russie et de l’Ukraine. Et maintenant, la crise va s’aggraver", prédit-il.

Le prix du pain inquiète déjà les Turcs depuis plusieurs mois, avant même la guerre en Ukraine. Selon un syndicat des boulangers, la farine a augmenté de 85% entre avril et novembre 2021, poussant nombre de boulangeries à augmenter leurs prix. Par ailleurs, l'inflation a bondi à plus de 48% en Turquie, en janvier, soit son plus haut niveau depuis 2002

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.