Guerre en Ukraine : à quoi servent les échanges téléphoniques entre Emmanuel Macron et Vladimir Poutine ?
Les deux chefs d'Etat se sont entretenus à de nombreuses reprises ces dernières semaines avant et après le début de la guerre en Ukraine. Si ces échanges téléphoniques n'ont pas été suivis d'effets concrets, ils n'en ont pas moins une certaine utilité.
Il est l'un des interlocuteurs privilégiés du maître du Kremlin. Depuis le début de la guerre en Ukraine, Emmanuel Macron échange régulièrement avec Vladimir Poutine lors de longues conversations téléphoniques, souvent d'une heure trente. Les deux chefs d'Etat se sont entretenus à quatre reprises depuis le 24 février, date de l'invasion russe en Ukraine. Le président français avait auparavant tenté de désamorcer le conflit en se rendant à Moscou le 7 février et en poursuivant ses échanges téléphoniques avec son homologue russe.
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Depuis décembre 2021, Vladimir Poutine et Emmanuel Macron se sont parlé quatorze fois. Soit à la demande du locataire de l'Elysée, soit à celle de l'autocrate russe, ou encore à celle du président ukrainien. Vladimir Poutine refusant catégoriquement de parler avec Volodymyr Zelensky, Emmanuel Macron sert alors d'intermédiaire.
Les résultats de cette intense diplomatie téléphonique apparaissent toutefois bien légers. La guerre fait rage en Ukraine, les tentatives d'instaurer des couloirs humanitaires sont pour le moment vaines et le seuil de deux millions de réfugiés est désormais franchi. "Oui, cela paraît maigre, cependant le succès en diplomatie ne se juge pas sur une journée mais sur la longue durée", nuance Sylvie Bermann, ambassadrice de France en Russie de 2017 à 2019. "Cela serait encore pire et plus dangereux si personne n'était en mesure de parler à Vladimir Poutine", ajoute-t-elle, rappelant que d'autres leaders, comme le Premier ministre israélien, Naftali Bennett, ou le chancelier allemand, Olaf Scholz, échangent avec le dirigeant russe.
Maintenir un canal de discussion
"Ne pas parler à Vladimir Poutine ne permet pas de trouver des solutions diplomatiques", assure à franceinfo l'entourage d'Emmanuel Macron. "Nous avons besoin d'avoir un contact avec lui pour lui faire passer le message d'un cessez-le-feu et du respect du droit humanitaire", appuie-t-on encore.
"Nous espérons toujours que le coût de la guerre et la résistance héroïque du peuple ukrainien puissent, à un moment donné, faire dire à Poutine que ce coût est trop important et qu'il faut négocier. C'est un fil, très fin, mais si jamais il existe, ce serait dommage de ne pas le saisir."
L'entourage d'Emmanuel Macronà franceinfo
L'idée est claire : maintenir un canal de discussion ouvert au cas où Vladimir Poutine se déciderait à négocier. Pour le moment, le président russe est déterminé à atteindre ses objectifs, que ce soit "par la négociation ou par la guerre", a-t-il rappelé à Emmanuel Macron le 6 mars. Des objectifs – démilitarisation et "dénazification" de l'Ukraine, renoncement de cette dernière à l'Otan, reconnaissance de l'annexion de la Crimée et garantie d'un "statut neutre" pour l'Ukraine – inacceptables pour le pouvoir ukranien. En attendant, Vladimir Poutine n'hésite pas à instrumentaliser ces coups de fil. L'Elysée a, par exemple, été forcé de démentir que l'évacuation des civils en Ukraine vers la Russie et la Biélorussie était une demande d'Emmanuel Macron. "Le président a réagi de manière immédiate en condamnant le cynisme de Vladimir Poutine, l'opinion publique occidentale n'est pas dupe", tranche Sylvie Bermann.
"Casser le narratif russe"
L'enjeu de ces échanges téléphoniques est aussi de "casser le narratif russe", selon les mots de l'entourage d'Emmanuel Macron, le tout dans un but historique. "Cela nous permet de documenter tous les engagements qu'il ne respecte pas, c'est important pour l'Histoire. Quand il dit, par exemple, qu'il ne bombarde pas les populations civiles, cela nous permet de documenter qu'il nie s'en prendre aux civils", explique-t-on.
"Il y aura des comptes-rendus dans les livres d'histoire. Il est important de documenter ce que dit la Russie, et les historiens jugeront."
L'entourage d'Emmanuel Macronà franceinfo
L'enjeu est aussi franco-français. "Il faut faire savoir à l'opinion publique que la France met tout en œuvre pour régler la situation", analyse Gaspard Gantzer, ancien conseiller en communication de François Hollande. Et de rappeler que "nous sommes très largement spectateurs" de ce conflit puisque "ce sont les Ukrainiens qui se battent" et que "les sanctions sont prises au niveau européen". Mais, assure-t-il, "Emmanuel Macron, a fortiori en pleine campagne présidentielle, a à cœur de montrer qu'il agit".
La photographe officielle de l'Elysée, Soazig de La Moissonnière, met d'ailleurs en scène l'action présidentielle depuis le début du conflit. Sur sa page Instagram, on voit ainsi un Emmanuel Macron, dans le salon doré du palais, que l'on imagine échanger avec Vladimir Poutine.
Le président de la République est aussi portraitisé avec sa garde rapprochée qui assiste systématiquement à ces échanges avec le chef d'Etat russe. Il s'agit, énumère France Inter, d'Emmanuel Bonne, son conseiller diplomatique, d'Alice Rufo, experte en stratégie et défense, d'Isabelle Dumont, conseillère Europe continentale, et d'Anne-Sophie Bradelle, pour la communication internationale.
"Il est complètement isolé"
Ces appels permettent également au chef de l'Etat et à ses conseillers de prendre le pouls du président russe. "Cela nous permet de voir dans quel état d'esprit il est. Les dernières conversations montrent qu'il est très déterminé", glisse-t-on à l'Elysée. Ceux qui ont côtoyé Vladimir Poutine imaginent aisément à quoi peuvent ressembler ces échanges. "Ils doivent être pénibles car c'est un interlocuteur compliqué, on ne peut lui faire aucune confiance", livre Gaspard Gantzer.
"Vladimir Poutine est froid comme la glace, fort désagréable et uniquement dans le rapport de force et l'intimidation."
Gaspard Gantzer, ex-conseiller de François Hollandeà franceinfo
L'ambassadrice Sylvie Bermann a elle aussi assisté à des entretiens entre Emmanuel Macron et Vladimir Poutine lorsqu'elle était en poste en Russie. "Je ne peux pas vous dire qu'il y avait une relation de confiance, mais je pense qu'il y avait un certain respect et une volonté d'aller au fond des choses", se souvient-elle. Depuis, le surgissement de la pandémie a changé la donne, Vladimir Poutine craignant d'attraper le Covid. "Il s'est coupé du monde depuis deux ans, il est complètement isolé et très mal informé. Il s'est enfermé dans ses obsessions", constate la diplomate.
De fait, selon l'entourage d'Emmanuel Macron, la rhétorique poutinienne développée lors des échanges téléphoniques entre les deux chefs d'Etat est assez similaire à celle que le président russe livre en public : "Il se justifie sur les raisons de cette guerre, l'Ukraine serait composée de nazis, le président Zelensky serait un nazi et les Russes feraient acte charitable de débarrasser le monde d'un peuple de nazis." Face à ce discours totalement irrationnel, comment imaginer faire fléchir celui qui se voit en poste jusqu'en 2036 ? "C'est un défi, admet Sylvie Bermann, mais il n'y a pas d'autre alternative que de lui parler. Quand les armes s'arrêteront, il sera encore au pouvoir et il faudra discuter avec lui."
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