: Reportage Crise en Ukraine : "Il y a eu 32 morts ici", le douloureux souvenir des bombardements à Marioupol
Hautement stratégique, cette ville de 500 000 habitants est encerclée par le Donbass séparatiste, la Russie et la Crimée annexée par Moscou en 2014. La population a été durement touchée par des attaques meurtrières en 2015.
La diplomatie suffira-t-elle pour éviter une guerre entre la Russie et l'Ukraine ? Si un conflit éclate, une partie des regards se tourneront vers Marioupol, la grande ville portuaire du Sud-Est de l'Ukraine. Hautement stratégique, la ville de 500 000 habitants, située au bord de la Mer d'Azov, est encerclée par le Donbass séparatiste, la Russie et à la Crimée annexée par Moscou en 2014. La cité a été durement touchée par des attaques meurtrières en 2015. Et la tension actuelle aux frontières réveille les traumatismes.
Anatoli, 70 ans, nous a emmené dans ce quartier ouvrier, dans l'est de la ville. Il tenait à nous montrer l'endroit où il partage un douloureux souvenir avec les autres habitants de Marioupol : le 24 janvier 2015. "Nous arrivons au marché bombardé... Si je me souviens bien, dit Anatoli, c'était vers 11 heures du matin. Il y avait beaucoup de monde sur le marché. Selon les chiffres officiels, il y a eu 32 morts."
"Des roquettes passaient au-dessus des têtes"
Les autorités ukrainiennes ont tout de suite accusé les séparatistes pro-russes. Affirmation démentie par les rebelles de Donetsk. Une chose est sûre : les roquettes sont tombées et Sevtlana, 82 ans, était là. "Des roquettes passaient au-dessus des têtes, les gens se cachaient sous les étals... Dans les légumes, il y avait des éclats d'obus partout. J'ai vu de mes propres yeux, les corps étendus au sol, dans la rue. C'était un cauchemar."
Selon Svetlana, "Volodymyr Zelensky est un sale fourbe ! Notre président n'a pas de volonté. Il nous a promis la paix en une semaine... Où est la paix ? Où sont nos frères ? Je ne peux pas voir mon frère, ma sœur malade, ils sont à Donetsk ! La Russie ne veut pas la guerre, elle a sa propre terre. Elle n'a besoin de rien, elle a déjà tout en abondance !"
Cette marchande nous fait remarquer : "Regardez les traces d'obus sur cette porte en fer". Ce sont les stigmates de l'attaque. Sveta, 59 ans, raconte, très émue qu'"ici, il y avait les mamans, les papas, les enfants, les papis, les mamies... Cette rue d'un bout à l'autre était couverte du sang des victimes".
Elle ne croit pas à un nouveau conflit : "Qu'est-ce qu'on peut dire ? La paix, oui, la paix ! Le peuple n'est coupable de rien. Nous sommes frères et sœurs. Les Russes, les Ukrainiens, les Biélorusses, les Moldaves, les Tchèques... Avant, nous étions tous unis."
Un peu plus loin, un homme fait la manche : le 24 janvier 2015, les roquettes ont pris une jambe à Serguei, 33 ans aujourd'hui. Et les tensions à la frontière réveillent son traumatisme : "J'ai peur de la guerre, j'ai peur de ne pas le supporter. J'ai une peur bleue de tout cela", confie ce papa de trois enfants.
"Mon corps porte déjà les traces de la guerre. J'ai un pressentiment, il va se passer quelque chose."
Sergueià franceinfo
"Nous avons peur de ne pas nous réveiller demain matin. Vous savez, on dit que l'armée ukrainienne est forte, mais allez-y ! Montrez-moi cette armée !" L'armée est pourtant bien présente : au bout de la rue, il y a un poste de contrôle. Plus loin, à une vingtaine de kilomètres de Marioupol, c'est déjà la ligne de front, figée depuis huit ans.
Cette ligne de front est sous étroite surveillance militaire. "Cachés derrière les arbres, il y a des blindés ukrainiens", nous montre notre chauffeur. Près de là, des panneaux rouges sont installés. "Terrain miné", indiquent-ils. Sur la route, des véhicules militaires, un checkpoint, des blockhaus, des soldats armés et des herses.
Le calme qui règne à quelques kilomètres, est précaire. Dans le village de Gnutove, les habitants sont isolés et cernés par les champs de mines et les checkpoints. Le village a été bombardé en 2014 et 2015, comme le raconte Ludmila, 60 ans. "C'était presque chaque soir, parfois le matin. Aujourd'hui, il n'y a plus de bombardement mais des drones ukrainiens volent au-dessus de nos têtes." Ici, environ 10% des maisons ont été détruites. "La plupart des maisons ont été touchées : des toits arrachés, des murs qui commencent à s'effondrer."
"Je n'ai pas peur de la guerre. C'est devenu une habitude."
Ludmila, 60 ans, habitante de Gnutoveà franceinfo
Si l'on poursuit encore sur quelques kilomètres, on arrive à Pavlopol. "Aucune photo", demandent Galina, 69 ans. Cette agricultrice à la retraite vit dans une toute petite maison. "Des obus sont tombés ici", décrit-elle. "La maison des voisins a été détruite" en 2015, raconte Galina. "Il y a eu des blessés et des morts. Ceux qui ont survécu sont partis." Elle désigne ensuite son mur, "qui s'est effondré" la même année. "J'en ai assez !"
La retraité a perdu son mari, mort en 2019. "C'est à cause des bombardements, ça l'a usé et son cœur a lâché." Elle nous guide dans la cave qui lui sert d'abri. "Nous avons passé tout notre temps ici ! C'est là que nous avons dormi. Même la cave a commencé à s'effondrer à cause des bombardements." Elle montre du doigt les fenêtres, détruites. "Aujourd'hui, il ne reste que moi dans cette maison. Je ne sais pas ce qui m'attends, je ne dors pas la nuit et j'ai peur." Elle est épuisée. "J'ai une petite retraite, mon frigo est vide."
Galina est en colère contre les politiques. "On a tué le peuple et on veut encore le tuer ? Quand les dirigeants seront-ils rassasiés ? Quand ?", interroge-t-telle. Elle désire une chose : "La paix. Travaillons ensemble, labourons la terre, aimons-nous, que les enfants naissent... Que nos enfants et petits-enfants apprennent à vivre ensemble et il n'y aura plus de conflit."
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