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Mais pourquoi parle-t-on encore et toujours de ce satané Brexit ?

Le 31 janvier 2020, les Britanniques ont officiellement quitté l'Union européenne. Pourtant, des négociations de la dernière chance sont toujours en cours pour éviter le scénario catastrophe du "no deal". Le Brexit n'est-il donc pas terminé ? Quatre ans après le référendum, comment est-ce possible ?

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Une manifestante pro-Union européenne devant le Parlement britannique, à Londres, le 14 décembre 2020.  (KIKI STREITBERGER / NURPHOTO / AFP)

Le montage photo montre un jeune enfant sur les genoux du père Noël :

- "Que veux-tu pour Noël ?" demande l’homme à la barbe blanche.

- "Une Porsche 911 !" répond le petit garçon, ses yeux innocents rivés sur le vieux monsieur, qui le raisonne : "Voyons, sois réaliste."

- "Que le Brexit soit terminé ?" suggère alors l’enfant.

- "De quelle couleur la Porsche ?" réplique le père Noël.

Le dessin humoristique, partagé mi-décembre sur Twitter par Anand Menon, professeur de politique européenne et des affaires étrangères au King's College de Londres et directeur du groupe de réflexion universitaire sur le Brexit UK in an changing Europe (lien en anglais), résume bien la situation : décidé par le peuple britannique par référendum en juin 2016, le divorce entre le Royaume-Uni et l'UE n'est pas la rupture promise à l'époque. C'est un long processus. Potentiellement interminable. Alors que les négociateurs britanniques et européens espèrent encore mettre un accord commercial sous le sapin et échapper au scénario redouté du "no deal" (pas d'accord) au 1er janvier, Anand Menon, qualifié de "sphinx du Brexit", voire de "rock star" en raison des analyses claires et pertinentes qu'il tire du chaos diplomatique, prévient : "Même s'il y a un accord entre le Royaume-Uni et l'UE cette semaine ou la semaine prochaine, ce n'est pas la fin de cette histoire. Ce n'est que le début." 

A vous qui vouliez passer à autre chose. A vous qui pensiez que le Brexit appartenait au passé. A vous qui espériez ne plus jamais entendre parler de "négociations de la dernière chance" : joyeux Noël.  En cadeau, on vous explique pourquoi vous avez plus de chance de vous faire offrir une voiture de sport que de voir arriver rapidement la fin de ce chapitre politico-économique.  

"Deal ou no deal", la question qui tue

Vous n'aviez pas rêvé. Le 31 janvier 2020, le Royaume-Uni a officiellement quitté l'Union européenne. Pour marquer le coup, un compte à rebours a été projeté sur la façade de la résidence du Premier ministre, le 10 Downing street, à Londres. We are the Champions, du groupe Queen, a retenti aux abords de Westminster... Alors, pourquoi donc reparlons-nous, onze mois plus tard, de ce fameux "deal", censé empêcher une sortie chaotique de l'UE ?  "Ce que les Européens avaient négocié avec le Royaume-Uni et signé au mois d'octobre 2019, c'était l'accord de retrait, l'accord de divorce", rappelle Elvire Fabry, chercheuse à l'Institut Jacques-Delors et spécialiste du Brexit.

Après pas loin de quatre ans de négociations, cet accord réglait "les questions les plus pressantes", telles que "le statut des citoyens européens au Royaume-Uni et celui des Britanniques dans l'UE ; la question de la frontière irlandaise ou encore la question des engagements financiers du Royaume-Uni lié à son appartenance à l'UE", liste-t-elle, entre autres. Cette fois, il est question d'un autre type de "deal" : un accord commercial. 

Un Brexit rapide était irréaliste

Le 13 décembre 2019, soit quelques semaines à peine avant la date officielle du Brexit, le Premier ministre britannique Boris Johnson était triomphalement réélu, promettant de "finir le Brexit" – "get Brexit done" –, surfant déjà sur la lassitude des Britanniques face à la lenteur des au revoir. Or, la promesse politique de Boris Johnson paraît aujourd'hui un brin trompeuse et déconnectée de la réalité du fonctionnement de l'Union européenne. Et pour cause, la cohérence du projet européen réside en partie dans l'appartenance des différents Etats qui compose l'UE à l'union douanière, ainsi qu'au marché commun

Ainsi, pour Elvire Fabry, la promesse irréaliste d'un Brexit rapide et sans douleur relève, dès le départ, d'un malentendu, voire d'un mensonge. "Beaucoup des politiques britanniques qui militaient en faveur du Brexit n'avaient pas le début d'une idée de ce qu'était la réalité de l'UE et donc de ce qu'il vendait à leurs électeurs. lls ont vendu du rêve en promettant le retour du Royaume-Uni à la grande époque du Commonwealth. Mais encore aujourd'hui, on a du mal à voir quelle est leur stratégie post-Brexit" sur le plan des échanges commerciaux, s'interroge la chercheuse. Aussi, c'est au fil des négociations que "l'on a pris conscience de la densité du muscle qui est créé entre les Etats membres et de la complexité de cette coopération". Et de la difficulté de la détricoter sans pénaliser les deux parties. 

Préparer les futures négociations

Pour permettre au Royaume-Uni et à l'Union européenne de trancher les conditions de ce nouveau partenariat post-Brexit, l'accord de retrait avait prévu la mise en place d'une période de transition, dont la limite expirera le 31 décembre 2020, à minuit. "Les négociations sur les relations futures ont commencé début février, se souvient Elvire Fabry. Et puis est arrivé le Covid." Pendant plusieurs mois, les discussions sur l'accord commercial à naître sont tantôt suspendues, tantôt réduites à de difficiles échanges virtuels. "Ce processus n'a recommencé vraiment sérieusement que début septembre, ce qui laisse un temps de négociation très très court, relève-t-elle. Depuis le début, on s'est demandé quel pourrait être, dans ces conditions, l'étendu d'un tel accord, sachant qu'il y avait énormément d'enjeux à discuter." 

Dimanche 13 décembre, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le Premier ministre britannique, Boris Johnson, sont ainsi convenus de négocier jusqu'à la dernière minute, dans l'espoir d'éviter que les deux parties ne se réveillent sans accord commercial le matin du 1er janvier. Car à l'approche du gong final, le bras de fer continue sur trois points cruciaux de cette future relation : la question de la pêche, les conditions de concurrence équitable – appelées outre-Manche "level playing field" – et la question de la gouvernance dudit accord. Fidèles à leurs habitudes, les deux camps continuaient jeudi 17 décembre de distiller dans la presse des informations contradictoires, les Européens promettant un accord possible d'ici la fin de la semaine, tandis que les Britanniques maintenaient la possibilité d'un échec. 

Or, "la signature d'un accord est décisive, car cela apporte un petit peu de visibilité aux entreprises et notamment aux PME qui n'ont pas eu le temps de se préparer aux futures règles comme les grandes entreprises", relève Elvire Fabry. "L'accord doit donner un socle de négociation pour tous les autres enjeux qu'il faudra ensuite discuter en détail", poursuit-elle.  Enfin, il apporte "une garantie supplémentaire sur le respect de l'accord de retrait et notamment sur la question de la frontière irlandaise"

Avec ou sans accord, de nombreux dossiers toujours sur la table

Mais là où un "no deal" pourrait durablement saper l'ambiance et la confiance entre Londres et les 27, l'obtention attendue d'un accord ne signifierait pas que la page Brexit serait tournée. "Il resterait beaucoup à faire," souligne la chercheuse"Notamment en matière de coopération judiciaire, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme notamment. C'est un énorme chantier, qui n'a pas du tout était discuté jusqu'à présent. De même pour la coopération sur les questions de migration", liste-t-elle, ou encore l'épineuse question du partage des données. "Bien sûr que le Royaume-Uni et l'Union européenne ne vont jamais cesser de discuter, nous sommes voisins !" renchérit Anand Menon. Dès le début de la période de transition, il pressentait que, si accord il y avait, ce serait donc un "thin deal", un "accord mince", excluant de nombreux dossiers cruciaux remis à plus tard. La politique étrangère, la sécurité, la défense, mais aussi les services.

Aussi, rien ni personne n'aurait pu anticiper au moment du référendum qu'autant de questions se poseraient aux négociateurs au fil des ans, relèvent les deux experts. Autant de difficultés qui n'ont cependant pas érodé les convictions des Brexiters. "Ceux qui ont voté en faveur du 'Leave' savent désormais que le Brexit aura des conséquences négatives sur l'économie. Pour autant, ils n'ont pas changé d'avis et pensent toujours que ça valait la peine", explique Anand Menon. 

"Les gens ont vu dans le Brexit une question de souveraineté, le désir d'un renouvellement national, la prise de contrôle de notre destinée, de notre politique économique, agricole, etc. Et pour le moment, ils ne regrettent rien." Or "le Brexit, c'est ce qu'il se passe après le divorce", tranche Anand Menon. "On pourra considérer que le Brexit est 'fini' quand le Royaume-Uni présentera une économie qui, pour son peuple, fonctionne bien en dehors de l'Union européenne, en dehors du marché commun et de l'union douanière. Ce n'est qu'une fois que tout cela sera réglé qu'on pourra juger le Brexit." Rendez-vous en décembre 2068 ? 

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