Brexit : Boris Johnson va-t-il vraiment s'asseoir sur la loi "anti-no deal" (et risquer la prison) ?
Le Premier ministre britannique répète tous les deux jours qu'il refuse de demander un nouveau report du Brexit, comme la loi l'y oblige désormais. Mais ce n'est pas vraiment une option.
"Je ne demanderai pas de nouveau report." Boris Johnson le martèle depuis que les parlementaires britanniques ont voté une loi dite "anti-no deal". En vertu de ce texte, le Premier ministre du Royaume-Uni devra, s'il n'obtient pas d'accord avec l'Union européenne d'ici au 19 octobre, demander un nouveau report du Brexit. "Plutôt mourir", a même tonné "BoJo", qui s'entête à réclamer la tenue d'élections anticipées, que le Parlement lui refuse. Peut-il vraiment échapper à cette loi, entrée en vigueur lundi 9 septembre ? On vous explique.
Que dit cette loi "anti-no deal" ?
Le texte prévoit un report du Brexit jusqu'au 31 janvier 2020 si le gouvernement de Boris Johnson ne parvient pas à un accord de divorce avec l'Union européenne d'ici au 19 octobre. Une "capitulation" aux yeux du Premier ministre. Cette échéance ne sort pas du chapeau, elle survient juste après le sommet européen des 17 et 18 octobre à Bruxelles et avant la date du 31 octobre fixée pour le Brexit.
Cette demande de report ne serait évitée que si les députés votaient en faveur d'une sortie sans accord du Royaume-Uni avant le 19 octobre, ce qui est hautement improbable. Les six derniers votes à la Chambre des communes ont été défavorables à Boris Johnson, qui n'a plus de majorité. Et le Parlement est prorogé (le terme dans la loi anglaise pour désigner la suspension) jusqu'au 14 octobre.
Le texte de loi comprend même une copie de la lettre que le Premier ministre devrait écrire à Donald Tusk, le président du Conseil européen, pour solliciter officiellement un nouveau report.
Un accord avec l'UE est-il encore possible ?
Un gros point de blocage demeure entre Londres et l'Union européenne, qui ne parviennent pas à s'entendre sur la manière de maintenir ouverte la frontière irlandaise après le Brexit. C'est ce qu'on appelle le "filet de sécurité" ou "backstop", une disposition de l'accord négocié par Theresa May, que Boris Johnson veut éliminer.
En empêchant le retour d'une frontière physique entre la République d'Irlande (Etat membre de l'UE) et l'Irlande du Nord voisine (province britannique), ce "backstop" vise à préserver les accords de paix de 1998, qui ont mis fin à trois décennies de violences, mais aussi à préserver l'intégrité du marché unique européen. Concrètement, ce mécanisme consiste à créer un "territoire douanier unique", englobant l'UE et le Royaume-Uni, ce qui risquerait de limiter la capacité de Londres à négocier des traités commerciaux avec des pays tiers. Inimaginable pour les partisans d'un divorce sans concession avec Bruxelles.
Boris Johnson soutient que le "backstop" n'est pas nécessaire. Selon lui, son gouvernement ne mettrait "jamais" de contrôles physiques entre les deux Irlande, même en cas de Brexit sans accord et donc même sans le "filet de sécurité" irlandais.
Le Premier ministre a encore assuré, lundi, vouloir un accord. "Un terrain d'entente a été trouvé dans certains domaines mais des divergences significatives demeurent", selon un communiqué commun publié à l'issue d'une rencontre de Boris Johnson avec le Premier ministre irlandais, Leo Varadkar, à Dublin. D'après les informations de la BBC (en anglais), qui cite des conservateurs proches de Boris Johnson, le Premier ministre envisage de proposer un "backstop" amendé. "Il veut obtenir un accord en insistant sur les risques d'une sortie sans accord", poursuit la radio. Mais l'UE n'a toujours pas reçu de proposition alternative "réaliste", selon Leo Varadkar.
Boris Johnson peut-il ignorer la loi ?
Il a beau répéter son refus de reporter le Brexit, Boris Johnson risque gros s'il ignore la loi votée par son Parlement et entrée en vigueur. "En plus de la tempête politique et constitutionnelle qu'il déclencherait, Johnson s'exposerait à des poursuites judiciaires, voire de la prison", selon le Guardian (en anglais). Certains partisans du Brexit s'en délectent. L'ancien leader conservateur Iain Duncan Smith encourage le Premier ministre à devenir un "martyr" de la cause.
Le ministre des Affaires étrangères, Dominic Raab, assure que le gouvernement est prêt à "tester les limites de cette loi". Cela ne serait pas la première fois. "Nous avons dû aller en justice deux fois la semaine dernière et, à chaque fois, nous avons gagné", poursuit-il dans le Guardian. La Haute Cour de justice a notamment rejeté l'annulation de la prorogation du Parlement, demandée par Gina Miller, femme d'affaires et militante anti-Brexit, et soutenue par l'ex-Premier ministre conservateur John Major.
Mais soyons réalistes. A Londres, personne ne croit réellement à un sacrifice de Boris Johnson pour la cause du Brexit. Ses proches sont surtout en train de décortiquer le texte et ses formulations pour y trouver des failles.
Pourrait-il vraiment contourner ce texte ?
Les conservateurs partisans du Brexit ont déjà dressé une liste de solutions pour contourner la loi "anti-no deal". Certaines sont un peu loufoques. Par exemple, "attacher un deuxième courrier" à la lettre que le Premier ministre doit écrire à Donald Tusk pour solliciter un nouveau report. Une autre lettre qui dirait : "Ignorez cette demande, on n'en veut pas." On doute que cela soit très bien reçu à Bruxelles, où 27 chefs d'Etat et de gouvernement commencent sérieusement à s'impatienter. Sans compter que cela serait contraire à l'esprit de la loi et donc très certainement illégal quand même, selon le Guardian, qui a interrogé des professionnels du droit. Les juges de la Cour suprême n'aiment pas ce genre d'entourloupes.
Ils ont aussi imaginé amender le Fixed-term Parliaments Act (FTPA), qui impose le soutien de deux tiers des parlementaires pour pouvoir organiser une élection anticipée. A deux reprises, ces derniers jours, Boris Johnson a échoué à atteindre ce palier. Les Brexiters envisagent donc d'ajouter une ligne (dont la formulation n'a pas été communiquée) au FTPA, qui vaudrait uniquement pour la situation actuelle, afin de permettre à Boris Johnson d'organiser des élections anticipées avant le 31 octobre, comme il le souhaite. Pour passer cet amendement, il suffirait d'une majorité simple à la Chambre des communes. Mais en ce moment, "même une majorité simple n'est pas acquise", selon le Guardian, et l'opposition pourrait ajouter son propre amendement, fixant une élection après le 31 octobre.
Le Brexiter Daniel Kawczynski avait de son côté tenté d'approcher la Pologne, son pays de naissance, pour qu'il bloque une demande de report du Brexit. Cela n'avait pas fonctionné. Est-il bien raisonnable de demander à un membre de l'UE de faire barrage, seul, à un report, si les 26 autres membres le valident ? "Ce serait un peu trop demander, même à un électron libre comme la Hongrie, d'abîmer ses relations avec les 26, dont l'Irlande, en forçant ainsi une sortie sans accord", résume le Guardian.
Plus sérieusement, que peut-il se passer ?
Et si Boris Johnson démissionnait, plutôt que de demander lui-même un report ? Le Premier ministre semble l'exclure pour le moment. Mais s'il venait à changer d'avis, il obligerait son successeur, probablement le travailliste Jeremy Corbyn, à demander un report du Brexit à sa place. Une démission de "BoJo" ouvrirait la voie à "une élection dans laquelle les travaillistes pourraient être blâmés pour l'échec du Brexit", analyse le Guardian.
C'est l'option la plus probable, pour certains analystes, comme l'économiste de la banque JP Morgan Malcolm Barr. Dans une note envoyée à ses clients, citée par Reuters, il résume : "Le seul scénario qui nous semble viable, c'est que le Premier ministre présente un deal à la Chambre des communes, s'assure de leur accord et démissionne pour laisser quelqu'un d'autre demander un report."
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