Italie : "Ce n'est pas encore la fin de Berlusconi"
Sa volte-face lors du vote de confiance des sénateurs a sauvé le gouvernement d'Enrico Letta. Un suicide politique ? Plutôt une manière de sauver sa peau, selon Pierre Musso, spécialiste de Silvio Berlusconi.
Le Cavaliere est tombé de cheval. Voyant sa domination à droite menacée par l'aile modérée de son propre parti, Silvio Berlusconi a été obligé d'accorder son vote de confiance au gouvernement d'Enrico Letta, au Sénat, mercredi 2 octobre. Ainsi piégé, il a sauvé le gouvernement qu'il tentait de faire vaciller en demandant aux ministres du Peuple de la liberté (PDL) de démissionner.
Omniprésent dans la vie politique italienne depuis une vingtaine d'années, l'ancien président du Conseil et leader du centre-droit a déjà chuté par le passé, pour mieux se relever. Qu'en est-il cette fois ? L'éclairage de Pierre Musso, professeur à l'université de Rennes II et auteur de Berlusconi : le nouveau prince (2003, Editions de l'Aube).
Francetv info : Pourquoi Berlusconi a-t-il retourné sa veste et accordé son vote au gouvernement Letta ?
Pierre Musso : Il y a une raison immédiate à cela. Silvio Berlusconi voulait éviter l'éclatement du Peuple de la liberté. C'est l'origine de sa force, un parti créé et dirigé comme une entreprise, dont les premiers élus étaient d'ailleurs des salariés. Il n'y a jamais eu de dissensions internes au PDL. C'est la première fois. Il aurait pris un bien plus grand risque politique pour lui-même s'il avait laissé les "colombes" [l'aile modérée du PDL] claquer la porte. Il aurait laissé l'espace au modéré Angelino Alfano, le secrétaire général du PDL, pour créer une force alternative au centre-droit. Il ne pouvait pas se permettre de perdre son monopole.
D'après vous, ce n'est donc pas encore la fin du "système Berlusconi"…
Non, ce n'est pas encore la fin, pas du tout ! Il demeure incontournable grâce à ce grand parti de centre-droit. La politique est ainsi faite à Rome, elle s'appuie sur deux grands partis : le centre-gauche et le centre-droit. En gardant la tête de ce dernier, il reste une référence de la vie politique italienne. Il a été plusieurs fois chef du gouvernement. En plus de son pouvoir politique, il dispose d'une force médiatique et économique. Un véritable conflit d'intérêts contre lequel la gauche n'a jamais su lutter.
Lui, pourtant, se pose en victime d'un complot, lorsqu'il dit : "Je ne mourrai pas, même s'ils m'assassinent"…
C'est tout le paradoxe : l'homme le plus puissant du pays joue la victime, insiste sur la figure christique, qui marche très bien en Italie. C'est la démocratie de soap-opéra, comme disent les anglophones. Le spectacle permanent. Ses moindres faits et gestes, ses ennuis judiciaires, sa vie privée sont scrutés, et il y tient. C'est ce qui lui permet de crier au "complot des juges communistes".
Le Peuple de la liberté est-il un parti uni ou s'agit-il d'une façade ?
J'ignore ce qui s'est dit précisément lors des échanges entre Silvio Berlusconi et Angelino Alfano, qui ont duré une bonne partie de la nuit. On peut supposer que c'est la garantie de l'unité du parti qui a convaincu Berlusconi de voter la confiance au gouvernement. Mais tout s'est véritablement joué entre midi et 14 heures, mercredi, avant le vote. A cette heure-là, des "colombes" menaçaient encore de partir. [En fin d'après-midi, une liste de 25 élus, prêts à quitter le parti, circulait toujours, selon le Guardian (en anglais)].
Après avoir plié pour garder les "colombes" dans son giron, Berlusconi reste-t-il aussi fort ?
Il est certain que c'est un moment majeur dans la partie d'échecs qui se joue depuis sa condamnation définitive et la menace de sa destitution [une commission se prononce vendredi sur son exclusion du Sénat]. Pourtant, la partie continue. Le jeu change, mais les enjeux demeurent. Son objectif est de rétablir son image. C'est tout ce qui l'intéresse. Il ne voudrait pas finir comme Giulio Andreotti, mort avec son image exécrable, ou pire, comme Bettino Craxi, parti se réfugier en Tunisie pour échapper à la justice.
Berlusconi peut-il encore menacer la stabilité politique offerte par ce vote de confiance ?
Il est capable de refaire la même chose dans six mois, au printemps. Cette fois-ci, il a demandé à ses ministres de démissionner, mais il pourrait trouver un autre coup à faire. Le gouvernement Letta a intérêt à profiter de ces six mois pour mener les réformes indispensables au pays. D'abord, la loi de stabilité financière, qu'attend la Commission européenne. Et la réforme de la loi électorale. Celle-ci, votée sous Berlusconi, est surnommée la "porcherie" (porcata). C'est elle qui a rendu le Sénat ingouvernable, en empêchant une vraie majorité de s'installer. Aujourd'hui, le Sénat est à peu près partagé en trois tiers, c'est ingérable. Si le gouvernement était tombé et que des législatives anticipées avaient été organisées, le désastre aurait été le même qu'aux dernières élections.
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