Autriche : quatre questions sur le "troisième tour" de la présidentielle
Les Autrichiens élisent dimanche leur chef de l'Etat. Ce second tour oppose le candidat d'extrême droite Norbert Hofer à l'écologiste Alexander Van der Bellen.
Rebelote. Les Autrichiens votent à nouveau, dimanche 4 décembre 2016, pour élire leur chef de l'Etat, après l'invalidation du second tour de la présidentielle de mai dernier. Victorieux au printemps, l'écologiste Alexander Van der Bellen, 72 ans, affronte Norbert Hofer, 45 ans et issu du FPÖ, le parti d'extrême droite.
Dopé par la victoire du "Brexit" au Royaume-Uni et de Donald Trump à la présidentielle américaine, son camp a réussi à imposer ses thèmes de prédilection, de l'immigration à la crainte du déclassement économique. Franceinfo vous résume les enjeux de cette élection sous tension, en répondant à quatre questions.
Pourquoi de nouvelles élections ?
Un premier scrutin a eu lieu en mai 2016. A l'époque, la présidentielle est remportée de peu par l'écologiste Alexander Van der Bellen, avec un peu moins de 31 000 voix d'avance. A la surprise générale, samedi 2 juillet, la Cour constitutionnelle de Vienne valide le recours du FPÖ, qui conteste la régularité de l'élection.
Bien qu'aucune fraude n'ait été avérée, la Cour relève, dans une décision sans précédent, que 78 000 bulletins du vote par correspondance ont été dépouillés soit en dehors des heures légales, soit sans la supervision requise. Jusque-là, la pratique était pourtant largement tolérée. Le scrutin a donc été annulé, avec l'organisation, ce dimanche 4 décembre 2016, d'un nouveau second tour.
Qui sont les candidats ?
Ils sont deux, les mêmes qu'en mai : Norbert Hofer, 45 ans, candidat du parti d'extrême-droite FPÖ, et Alexander Van der Bellen, 72 ans, candidat écologiste. Le premier cultive son côté affable. Il ne se départit ni de son sourire, ni de la canne dont il a besoin depuis qu'un accident de parapente l'a laissé handicapé, en 2003. Fils d'un élu municipal conservateur du Burgenland, une province frontalière de la Hongrie, il rejoint très tôt les rangs du "Parti de la liberté" (la traduction française de FPÖ). En 2005, il rallie l'homme fort du parti, Heinz-Christian Strache, qui dirige l'aile radicale et renverse le leader historique, Jörg Haider.
Sous son impulsion, le FPÖ lisse son discours et bannit les expressions ouvertement xénophobes ou injurieuses. Norbert Hofer se laisse aller, pendant un moment d'égarement, à traiter son rival écologiste de "fasciste vert" ? Il regrette dans la foulée cet écart de langage. Sur la même lancée, il vient d'appeler les membres de son parti à renoncer au port du bleuet à la boutonnière, qui permettait aux admirateurs d'Hitler, avant l'Anschluss de 1938, de se reconnaître entre eux. "Quand on parle de Norbert Hofer, on parle de quelqu'un fasciné par l'idéologie de la Grande Allemagne, nuance tout de même l'hebdomadaire autrichien Profil. On parle de quelqu'un qui a été sorti du chapeau par un chef de parti qui a frayé dans le milieu néonazi."
En face, l'austère septuagénaire Alexander Van der Bellen est le fils d'un aristocrate russe et d'une mère estonienne ayant fui le stalinisme. Cet "enfant de réfugiés", comme il se qualifie volontiers, a grandi aux confins de l'Autriche et de l'Italie, dans la province frontalière du Tyrol. Pendant plus de dix ans, cet universitaire à la retraite a été le visage des Verts autrichiens, qu'il a dirigés jusqu'en 2008. C'est sous sa houlette que le parti écologiste est devenu la quatrième force politique du pays, derrière le FPÖ.
L'extrême droite a-t-elle ses chances cette fois-ci ?
Après avoir obtenu l'invalidation du scrutin, l'extrême droite autrichienne se sent pousser des ailes, dans la foulée du Brexit au Royaume-Uni et de la victoire de Donald Trump à la présidentielle américaine.
Le FPÖ joue une partition connue : surfer, malgré la richesse du pays, sur la peur du déclassement économique, au moment où le chômage est en hausse, à 9% en novembre. Et surtout, marteler inlassablement un discours anti-immigrants et anti-musulmans, dans un pays de 8,7 millions d'habitants qui a vu arriver plus de 100 000 migrants depuis début 2015. Auteur d'une note sur "L'Autriche des populistes" pour le think tank libéral Fondapol, Patrick Moreau, chercheur au CNRS, explique à franceinfo que Norbert Höfer décline le message en trois points : "Un, il faut arrêter l'immigration des populations du tiers-monde, deux, il faut lutter contre le terrorisme islamique, trois, l'islam est une religion politique incompatible avec les valeurs de la démocratie."
Le message a d'autant moins de mal à passer que "80% de la population autrichienne estime que le FPÖ est un parti normal", poursuit Patrick Moreau.
Sur le plan technique, le FPÖ a réussi à se dédiaboliser. Si quelqu'un vient à l'une des réunions du parti avec le crâne rasé et des rangers, on le sort.
"Sur le plan politique, les partis démocratiques sont soumis à une pression très forte venue de l'extrême droite, poursuit-il. D'ailleurs, presque tous ont fini par rejoindre le FPÖ sur l'immigration." Même un symbole fort, comme cette vidéo virale d'une survivante de la Shoah appelant à barrer la route au FPÖ, "n'a pas eu d'impact", affirme le chercheur.
Quelles conséquences si l'extrême droite l'emporte?
Quelles seraient les conséquences d'une victoire de Norbert Höfer à la présidentielle ? Elle entraînerait, estiment les observateurs, la tenue d'élections législatives anticipées et, à terme, l'éclatement de la coalition centriste et pro-européenne qui gouverne l'Autriche depuis des décennies. D'autant que le FPÖ est en tête dans les sondages d'opinion depuis des mois et crédité de jusqu'à 35% des suffrages.
Dans sa note, Patrick Moreau n'écarte pas la possibilité d'un "coup d'Etat froid". Norbert Höfer pourrait, comme l'y autorise la Constitution, renvoyer l'actuel chancelier et nommer à sa place Heinz-Christian Strache, qui préside le FPÖ depuis plus de dix ans. Le nouveau chancelier formerait alors un gouvernement, et le parti serait en position de force pour les législatives, et pour trouver un partenaire de coalition. "Si cette dérive autoritaire n'a pas de précédent, elle reste jouable techniquement", remarque le chercheur, mais elle peut être contestée en justice. Le FPÖ peut aussi choisir de former une coalition, y compris avec les sociaux-démocrates, au terme d'un processus classique.
Et sur le plan européen ? Heinz-Christian Strache veut renforcer le Parlement européen, mais se montre très hostile à la Commission européenne. Le président du FPÖ, détaille le chercheur, estime qu'il faut "corriger le monstre froid de Bruxelles" et que l'Autriche doit reprendre "son destin en main". En cas de victoire, les prochains sommets européens pourraient donc être agités.
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