Inondations en Europe : "Il va falloir réfléchir à la distribution de la population sur la planète", selon François Gemenne
Le spécialiste des migrations climatiques et enseignant à l’université de Liège et à Sciences Po rappelle que "le nombre de personnes qui habitent en zone inondable continue à augmenter année après année".
"Il va falloir réfléchir à la distribution de la population sur la planète", a affirmé samedi 17 juillet sur franceinfo François Gemenne, spécialiste des migrations climatiques et enseignant à l’université de Liège et à Sciences Po, après les inondations meurtrières qui ont touché notamment la Belgique et l'Allemagne.
François Gemenne s'étonne notamment de voir que "le nombre de personnes qui habitent en zone inondable continue à augmenter année après année". Il pose la question "de l'habitabilité" et insiste pour "revoir certains plans d'aménagement du territoire". Plus globalement, le spécialiste de la géopolitique du climat alerte sur le fait que canicules et inondations "font partie d'une même normalité à laquelle nous allons devoir nous adapter".
franceinfo : Auriez-vous imaginé que votre ville, Liège, puisse être ainsi touchée ?
François Gemenne : On a toujours tendance à projeter les impacts du changement climatique dans des futurs lointains ou dans des contrées lointaines. C'est un problème qu'on a en général en Europe occidentale : imaginer que les impacts du changement climatique vont en toucher d'autres avant de nous toucher. Mais le dôme de chaleur au Canada il y a quelques semaines et ces inondations nous rappellent que nous ne sommes pas à l'abri des impacts du changement climatique. Il y a vraiment urgence à déployer davantage de moyens pour l'adaptation et pour accepter que nous ayons enclenché un changement climatique qui est irréversible. Il n'y aura pas de retour à la normale avant plusieurs dizaines d'années. Ces événements que nous considérions comme exceptionnels, il faut accepter qu'ils deviennent désormais la nouvelle normalité et voir comment nous pouvons nous y adapter.
Canicules et inondations seront-elles notre lot permanent désormais ?
A la fois la fréquence et la violence de ces phénomènes vont être exacerbées sous l'effet du changement climatique. Et donc, il faut s'attendre à davantage d'épisodes de canicules plus violentes, mais aussi à davantage d'épisodes de précipitations intenses, plus violentes. Il ne faut pas du tout prendre ces événements isolément, comme des cas exceptionnels, mais bien réaliser qu'ils font partie d'un même ensemble, qu'ils font partie d'une même normalité à laquelle nous allons devoir nous adapter.
Peut-on prévoir les canicule ou les inondations selon les régions ?
C'est un des grands défis scientifiques du moment. Aujourd'hui, nous avons des modèles climatiques capables de faire des projections à l'échelle mondiale sur ce type d'événements. Là où la science doit encore progresser, c'est pour faire des prévisions plus fines à l'échelle locale et régionale. Là, il y a un défi scientifique sur les modèles climatiques qu'on est en train d'essayer d'aborder. Les travaux du GIEC vont dans ce sens. Mais c'est là où la science doit encore progresser pour que nous puissions prévoir avec davantage de précision les endroits où ces épisodes vont se produire.
Vous êtes un spécialiste des déplacés climatiques. Que changera cette nouvelle donne dans nos comportements selon vous ?
Nous devons d'abord, dans le court terme, améliorer les questions de préparation et d'évacuation des populations. A Liège, par exemple, la population a été évacuée trop tard. Elle n'avait pas été prévenue. Donc on aurait sans doute pu éviter des drames humains s'il y avait eu des processus d'évacuation mis en place à l'avance. Et à moyen et long terme, il va falloir revoir certains plans d'aménagements du territoire. Je suis très préoccupé par le fait que le nombre de personnes qui habitent en zone inondable continue à augmenter année après année. On continue à financer des infrastructures dans ces zones. On continue à délivrer des permis de bâtir dans ces zones. Dans le long terme, il va falloir réfléchir vraiment à la distribution de la population sur la planète. Parce que ce qui est en cause, c'est la question de l'habitabilité. Quelles sont les zones demain que nous allons pouvoir habiter ? C'est vraiment une des grandes questions que nous allons devoir nous poser.
Le politique est-il à la hauteur, à votre avis, pour cet avenir qui nous fait face ?
Pour le moment, non. Moi, je suis préoccupé de voir que le débat sur le changement climatique reste encore limité à la question de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. C'est évidemment absolument nécessaire, mais ce n'est pas suffisant. Il faut vraiment mettre davantage de moyens aujourd'hui sur les questions d'adaptation. Comment allons-nous nous adapter à cette nouvelle normalité ? On est encore dans un schéma de pensée où l'on pense que cela va arriver aux autres. Nous regardons les impacts du changement climatique comme nous regardions le coronavirus lorsqu'il était encore confiné en Chine, en pensant que cela n'arriverait jamais chez nous. On a vu quelle erreur tragique cela a été.
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