Agriculteur condamné dans la Meuse : les désobéissants "sortent du cadre de la loi pour la rendre plus juste et plus humaine"
Pour le sociologue à l’EHESS, Manuel Cervera-Marzal, il y a de "plus en plus d'exemples de désobéissance civile pour une raison simple : on a un État de plus en plus répressif, de plus en plus sécuritaire."
Deux mois de prison avec sursis, c'est la peine infligée à Jean-Pierre Simon, agriculteur de 57 ans, par le tribunal correctionnel de Bar-le-Duc mardi 24 octobre 2017. La justice reprochait à ce Meusien d'avoir prêté du matériel agricole à des militants antinucléaires, opposés au projet de centre d'enfouissement de déchets nucléaires de Bure dans la Meuse.
Invité de franceinfo, mardi, Manuel Cervera-Marzal, sociologue à l’EHESS, auteur de Les nouveaux désobéissants : citoyens ou hors-la-loi ?, a estimé que l'action de cet agriculteur peut être considérée comme une désobéissance civile parce qu'il l'a "menée publiquement", et qu'il "assume entièrement ses actes". C'est pour le sociologue une "action qui a pour but de défendre l'intérêt général, le bien commun".
franceinfo : Dans l'affaire de l'agriculteur Jean-Pierre Simon s'inscrit-on dans le cadre de la désobéissance civile ?
Manuel Cervera-Marzal : La désobéissance civile, c'est mener une action, tout seul ou à plusieurs, qui sort du cadre de la loi. C'est une action qui est menée publiquement. Là, Jean-Pierre Simon, cet agriculteur, tout le monde le connaît. Il fait ça à visage découvert, il assume entièrement ses actes et c'est une action qui a pour but de défendre l'intérêt général, le bien commun. C'est ce qui l'amène à s'opposer à ce projet. Ce n'est pas pour un petit confort personnel mais parce qu'il juge que c'est un enjeu de société. Que le nucléaire, l'enfouissement de tous ces déchets fait peser des risques environnementaux, sanitaires graves pour tout le monde. C'est une motivation citoyenne.
Il y a eu aussi Cédric Herrou, lui aussi avait invoqué la désobéissance civile. C'est aujourd'hui par ce genre d'actions que passe le militantisme ?
Il y a de plus en plus d'exemples de désobéissance civile comme Cédric Herrou, pour une raison simple : on un État de plus en plus répressif, de plus en plus sécuritaire. On interdit les manifestations en solidarité avec la Palestine, lors de la COP 21, des manifestations contre la loi Travail. Un mode d'action : manifester, qui était encore considéré hier encore par nos gouvernants comme une liberté fondamentale et aujourd'hui, il est en train d'être considéré par ces mêmes gouvernants comme quelque chose d'illégal. De facto, cette forme de criminalisation des mouvements sociaux produit de plus en plus de désobéissants. Les désobéissants, ce sont des citoyens, exemplaires, vertueux, beaucoup plus que des hors-la-loi.
Quelles sont les limites de la désobéissance civile, car elle peut être invoquée pour justifier un délit ?
Toute forme d'action illégale n'est pas de la désobéissance civile. Il y a des critères importants : non-violence, intérêt général, être responsable de ses actions. A chaque fois que vous avez des situations avec de graves injustices, comme aux États-Unis où les Américains noirs n'ont pas les mêmes droits que les Blancs, on voit des gens qui se rebellent, qui s'insurgent et qui entrent dans l'illégalité, mais pas parce qu'ils sont contre la loi ou l'Etat de droit. Au contraire, parce qu'ils veulent améliorer la loi. Parce qu'ils veulent un vrai Etat de droit, une vraie démocratie. On présente ces gens comme des hors-la-loi, or, ils sortent momentanément du cadre de la loi pour la rendre plus juste et plus humaine. La démocratie, ce n'est pas quelque chose de figé. La démocratie, c'est toujours une dynamique vers plus d'égalité, plus de liberté. Et qu'est-ce que le moteur de la démocratie, c'est justement des actions qui sortent du cadre de la loi. C'est le souffle, la respiration de la démocratie, la désobéissance civile.
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