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Vos efforts pour économiser l'énergie chez vous servent-ils vraiment à quelque chose ?

Lutter contre le réchauffement climatique, améliorer son pouvoir d'achat, soutenir le peuple ukrainien... Les Français sont nombreux à vouloir faire d'une pierre trois coups, en réduisant leur consommation d'énergie. Mais sobriété et efficacité restent parfois difficiles à atteindre. 

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Le chauffage constitue le premier poste de consommation d'énergie dans l'habitat et les deux tiers de la facture énergétique du logement, selon l'Ademe.  (ROBERT SCHLESINGER / PICTURE ALLIANCE / AFP)

On ne vous a pas mis au courant ? L'Agence internationale de l'énergie vous a recrutés. Vous, moi, tout le monde. Mobilisés sur le front d'une crise énergétique exacerbée d'une part par l'invasion russe en Ukraine et, de l'autre, par les assauts sur l'humanité d'un climat en roue libre, voici les citoyens contraints - par les convictions, le porte-monnaie, ou les deux - à "jouer leur rôle". Notre mission, communiquée le 21 avril par l'AIE, tient en neuf gestes simples, dont le premier sonne comme une évidence : baisser le chauffage et la climatisation.

Le chauffage constitue en effet le premier poste de consommation d'énergie dans l'habitat – les deux tiers de la facture énergétique du logement. Depuis dix ans, les prix de l'électricité et du gaz n'ont cessé de grimper (respectivement +41% et +23%), alors que plus de deux tiers des Français se chauffent avec ces énergies, détaille l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Dans ce contexte, franceinfo s'est interrogé sur les changements à opérer pour remporter ce combat contre la consommation d'énergie, et sur les résistances qu'il rencontre. 

Baissez encore plus le chauffage (si vous le pouvez)

Dans la catégorie "ces efforts de guerre que vous n'aviez pas vu venir" : mettre un pull permet, dans le monde d'après, de "tarir le financement de la guerre". L'économiste Christian Gollier appelait à le faire dans une tribune parue dans Le Monde le 15 mars, au début de l'offensive russe en Ukraine. Institutions, politiques, associations et collectivités ont en effet invité les citoyens à baisser le chauffage, pour limiter notre dépendance aux énergies russes.

En 2021, les Français étaient déjà 75% à déclarer couper le chauffage et le chauffe-eau, et 70% à avoir baissé la température de leur logement, soit une hausse respective de 5 et 9 points par rapport à l'année précédente. Un geste non pas pour l'Ukraine, mais pour la planète, selon le 22e baromètre de l'Ademe sur la représentation sociale du changement climatique.

Serions-nous tous déjà de bons petits soldats de la transition énergétique ? Non, tranche Olivier Sidler, cofondateur de l'association NégaWatt et pionnier de la rénovation énergétique des bâtiments. La loi, rappelle-t-il, prévoit que la température puisse atteindre un minimum de 18 °C et n'excède pas 19 °C dans les logements collectifs. Mais à la maison, des décennies d'énergie peu chère ont imprimé de mauvaises habitudes. "La température moyenne observée dans les maisons aujourd'hui en France, c'est 21 °C. Au cours de nos évaluations, on voit des bâtiments dans lequel il fait 23 °C, relève le spécialiste. J'entends bien qu'on peut estimer faire un effort en passant de 23 à 21, mais essayons quand même de respecter les réglementations. Se chauffer à 19 °C, c'est du civisme."

"En hiver, on s'habille encore dans les bâtiments comme en été. Ce n'est plus possible. Avec un pull, les 19 °C sont très supportables."

Olivier Sidler, cofondateur de l'association NégaWatt

à franceinfo

Anodin en apparence, l'effort n'est pas à la portée de tous. En sont exclus les Français qui, dans leur logement collectif, n'ont pas la main sur le thermostat. Et pour baisser le chauffage, encore faut-il être "bien chauffé". Au cours de l'hiver 2020-2021, un ménage sur cinq a souffert du froid dans son logement pour des raisons liées à la précarité énergétique, selon l'Ademe. Les déclarations d"'inconfort thermique" ont même augmenté de plus de 40% par rapport à l'hiver précédent.

Or, "ne pas pouvoir se chauffer, contraint par des revenus faibles et un habitat qui consomme trop d'énergie, cela ne sera jamais de la sobriété", martèle Isolde Devalière, sociologue à l'Ademe. Cette spécialiste des questions de précarité énergétique rappelle ainsi que "disposer d'un logement confortable est un droit".

L'injonction "rajoutez un pull", écrite par le Crous dans un mail envoyé en novembre à des étudiants frigorifiés dans leur résidence universitaire de Bordeaux (où une équipe de France 2 a relevé 14 °C dans une chambre), illustre le double défi qui attend les Français : s'engager dans la voie de la sobriété, certes, mais aussi dans le chantier de l'efficacité énergétique. Une baisse de deux degrés du chauffage représente "16% de consommation en moins", explique Oliver Sidler. "Si vous consommez 300 kWh par m2 et par an, ça fait une économie de 48 kWh par m2 et par an, calcule-t-il. A 20 centimes le kWh si l'on se chauffe au fioul, ça représente un gain d'environ 10 euros au m2. Ce n'est pas rien."

Opérez une rénovation complète (si vous avez l'argent ou si vous n'avez pas peur des démarches)

Les passoires thermiques sont partout. Selon l'Ademe, 40% des ménages se plaignent d'une mauvaise isolation de leur logement. Grâce à de récents dispositifs comme Ma prime rénov', ouvert à tous les ménages en janvier 2021 ainsi qu'aux copropriétés, les propriétaires sont de plus en plus nombreux à engager des travaux nécessaires. L'an dernier, 644 073 aides ont été accordées dans le cadre de ce dispositif, soit 4,5 fois plus qu'en 2020, selon les chiffres de l'Agence nationale de l'habitat (Anah).

Sauf qu'"il nous reste moins de 30 ans pour rénover un peu plus de 20 millions de logements, soit un peu plus de 700 000 par an", nuance Oliver Sidler. "Est-ce que cela signifie changer 700 000 chaudières par an, ou faire 700 000 rénovations complètes ?", se demande l'expert, soulignant que "ce n'est pas la même chose". Changer une chaudière ancestrale permettra "des petites économies d'énergie car le rendement sera meilleur". "Mais fondamentalement, si l'enveloppe de la maison est toujours la même, cela ne change rien", poursuit-il. 

"Deux fenêtres une année, deux autres l'année suivante, etc. Les mesures gouvernementales incitent à procéder par petits gestes, alors que seule une rénovation performante et complète permet de répondre à nos objectifs."

Olivier Sidler, cofondateur de l'association NégaWatt

à franceinfo

Toiture, murs, plancher bas, menuiserie extérieure, système de ventilation, chaudière, radiateurs... La rénovation complète d'une habitation peut diviser "par quatre et jusqu'à huit les besoins du logement" en électricité, souligne Olivier Sidler. Or ces travaux d'envergure effraient les propriétaires, refroidis par les coûts et les difficultés liées au manque d'artisans habilités à réaliser de tels chantiers. 

En 2017, une rénovation complète et efficiente coûtait 406 euros par mètre carré pour une maison individuelle, selon le bureau d'étude fondé par Olivier Sidler, Enertech. C'est autour de 500 euros aujourd'hui, avec l'inflation, précise-t-il. Dans les maisons rénovées étudiées, les travaux s'élevaient à "62 200 euros TTC pour une surface moyenne qui tournait autour de 100 à 120 m2". Qui peut se permettre un tel investissement ? "Cela va vous surprendre, mais c'est accessible aux ménages modestes", assure Oliver Sidler.

Mais pour beaucoup, le parcours du combattant est insurmontable, comme le pointe l'Ademe : "Les ménages sont confrontés à une multiplicité des dispositifs d'aides nationales et locales et à une méconnaissance des parcours d'accompagnement". "On sait désormais qu'il ne suffit pas que le dispositif existe. Il faut un accompagnement de la première visite à domicile jusqu'aux travaux, en passant par le suivi et le contrôle du chantier", estime la sociologue Isolde Devalière.

En moyenne, un ménage français consomme entre 200 et 300 kWh par m2 et par an. "Dans les passoires thermiques, ça monte à plus de 300 kWh", note Olivier Sidler. Or, dans une maison complètement rénovée, à l'efficacité énergétique maximum, "on a mesuré une consommation de 47 kWh par m2 et par an, pour une température moyenne de 20 °C." Soit 39 kWh par m2 et par an, si l'on chauffe à 19 °C, évalue l'expert. Le gain financier est considérable. "Si vous avez gagné 200 kWh par m2, à 20 centimes le kWh, ça fait 40 euros d'économie au mètre carré. Sur un logement de 100 m2, ça représente 4 000 euros par an. Au prix de l'énergie désormais, c'est très rentable, insiste-t-il. Vous gagnez de l'argent dès la première année, car vous remboursez moins que ce que vous économisez à la suite des travaux."

N'oubliez pas les petits gestes efficaces du quotidien

Il existe par ailleurs d'autres leviers que le chauffage. Et pour cause, "depuis plusieurs années, la part du budget consacrée au chauffage diminue mais la consommation d'électricité ne cesse d'augmenter (+40% depuis 1990)", écrit l'Ademe. Son guide pointe des ménages "de plus en plus équipés en appareils électriques et électroniques". En moyenne, on en compte "près d'une centaine" par foyer. 

Ces pratiques économes, déjà mises en œuvre par les ménages modestes mais souvent limitées "au bricolage" (notamment chez les locataires, qui ne peuvent pas réaliser de travaux), doivent être valorisées, souligne Isolde Devalière. Les Français ne s'y trompent pas : en 2021, 62% d'entre eux assuraient déjà éteindre les appareils électriques (en hausse de 7 points par rapport à l'année précédente). 

Sur une année, une box internet allumée 24 heures sur 24 consomme autant qu'un réfrigérateur, observe l'Ademe. Couvrir les casseroles pendant la cuisson permet d'utiliser quatre fois moins d'électricité ou de gaz. Laver son linge à 30 °C requiert trois fois moins d'énergie qu'une lessive à 90 °C. L'Ademe calcule également que "quinze à cinquante équipements par foyer restent en veille inutilement, ce qui représente un coût de 80 euros par an". Les éteindre permet 10% d'économies sur la facture, selon l'agence.

"Les petits gestes cumulés, ça peut être spectaculaire sur la facture. A condition d'aller au bout des choses."

Olivier Sidler, confondateur de l'association NégaWatt

à franceinfo

D'autant plus que ces "petits gestes" individuels se révèlent déterminants à l'échelle nationale. Selon NégaWatt, RTE estime que le report d'un quart des cycles de lave-linge, sèche-linge et lave-vaisselle des heures de pointe à un autre moment de la journée ou de la nuit peut engendrer un gain d'environ 0,5 GW de puissance pour la France entière. Soit un peu moins que la consommation d'électricité d'une ville comme Toulouse.

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