"On passe d'un excès à l'autre" : des agriculteurs face aux dégâts d'un été trop pluvieux, après des années de sécheresse

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
De nombreux agriculteurs ont dû faire face à un été 2024 pluvieux en France, ce qui complique les travaux dans les champs et met en péril une partie des récoltes. (HELOISE KROB / FRANCEINFO)
Les viticulteurs et les céréaliers subissent cette année de mauvaises récoltes, mais ils ne sont pas les seuls à avoir souffert d'un excès de pluie ces derniers mois.

Où sont passées les années "normales" ? Après avoir lutté contre la sécheresse en 2022 et 2023, les agriculteurs français ont dû s'adapter à des conditions particulièrement pluvieuses au printemps mais aussi, pour la moitié nord de l'Hexagone, cet été. Alors que les vendanges ont démarré pour les viticulteurs, que les fruits et légumes d'été vivent leurs derniers instants sur les étals et que les céréaliers préparent les semis d'automne, le secteur dresse le bilan d'une année compliquée.

Les moissons du début de l'été ont ravivé chez les céréaliers les mauvais souvenirs de la dernière crise rencontrée par le secteur, en 2016. "A l'époque, tout le monde était inquiet", se souvient Eric Thirouin, président de l’Association générale des producteurs de blé (AGPB) et président de la Chambre d'agriculture d'Eure-et-Loir."Cette année, mes collègues ne me disent pas qu'ils sont inquiets. Ils me disent : 'On a envie de jeter l'éponge'". Les pluies excessives du printemps et les semis tardifs se sont soldés par un rendement à l'hectare "en baisse de 17% sur le blé tendre par rapport à l'année précédente, explique-t-il, et pas loin du double pour l'agriculture biologique" dont les rendements sont plus faibles. "Sur le blé, l'orge et le colza, j'ai fait moitié moins de rendement", constatait début août Jean-Bernard Lozier, céréalier en agriculture biologique dans l'Eure.

Car ce temps humide a favorisé les herbes indésirables qui poussent au milieu des céréales. "En juin, même en TGV, on voyait les mauvaises herbes qui dépassaient les champs de blé", rappelle Eric Thirouin. Face à cette conséquence directe de "l'aléa climatique", il déplore "la disparition, petit à petit ces dix dernières années, des moyens de protection des cultures" en vertu de la lutte contre les produits phytosanitaires, impliqués dans le déclin de certains écosystèmes.

A l'inverse, son confrère de la Confédération paysanne assurait qu'avoir limité "au maximum" les intrants avait permis de limiter les coûts et donc la casse dans la trésorerie. "J'ai des collègues en agriculture conventionnelle qui ont mis plus de produits phytosanitaires pour protéger leurs cultures, parce que la météo était mauvaise, qui disent déjà que ce sera une année blanche pour eux", notait ainsi Jean-Bernard Lozier. 

Trouver "une fenêtre météo" pour travailler dans les champs

Excès d'eau sur la période de récolte, problème d'accès aux champs... "Il y a eu des périodes où les tracteurs ne pouvaient même pas rentrer dans les champs au risque de rester embourbé ou enlisé, ce qui a pu retarder des périodes d'intervention", ajoute Eric Thirouin. Pour l'agroclimatologue Serge Zaka, la situation n'est pas homogène. "C'est une année noire pour le blé et l'orge, mais il y a des différences entre les régions et des nuances à apporter selon les cultures, souligne-t-il. Le maïs, le tournesol et le sorgho par exemple se portent plutôt bien. Les dégâts sur la production agricole globale sont moindres qu'au moment de la sécheresse généralisée qu'on a pu connaître ces dernières années", poursuit l'expert.

Les champs et les prairies carbonisés en 2022 ont, par endroits, connu des problèmes d'une tout autre nature. "Ça a aussi été compliqué pour le pâturage", abonde Jean-Christophe Richard, président de la Confédération paysanne de Loire-Atlantique et éleveur laitier. "Il fallait rentrer les animaux pour ne pas abîmer les prés. A un moment où, normalement, on ferme les silos à grain pour que les vaches passent à l'herbe, il a fallu les rouvrir", poursuit-il, ajoutant que le manque d'ensoleillement a affecté la qualité de cette herbe, qui fournit aux vaches les sucres dont elles ont besoin, avec des conséquences sur leur production de lait. L'éleveur s'attend donc à une baisse de 20% de sa production.

"Il a aussi fallu trouver la fenêtre météo pour faire les foins, pour les moissons, etc. On a rentré des bottes pas complètement sèches. Tout a été compliqué", résume-t-il, assuré de devoir acheter de la paille pour compenser la perte de fourrage.

Une année "éprouvante" pour les viticulteurs

Sur l'ensemble de l'Hexagone, la production viticole est attendue cette année en recul de 18% sur un an, et inférieure de 11% à la moyenne 2019-2023, selon le ministère de l'Agriculture. Là encore, l'aléa climatique est désigné coupable. Dans les vignobles du Jura, la production s'est effondrée de 71% en un an. "C'est un millésime avec une production extrêmement faible, comme on en a rarement connu", déplore Gaël Delorme, conseiller viticole à la société de viticulture du Jura et à la Chambre d'agriculture. Après qu'une nuit de gel a scellé le sort d'une grande partie du vignoble, dans la nuit du 22 avril, "on a eu beaucoup de pluie jusqu'au mois de juillet, ce qui a entraîné des maladies, notamment le mildiou, et a rendu très difficile la gestion des vignes", explique-t-il.

Le mildiou, c'est "deux fois plus d'heures de travail, deux fois plus de traitements, deux fois plus de coûts, avec des équipes appelées la nuit et les week-ends", détaillait début août à l'AFP Stéphane Gabard, le président de l'ODG Bordeaux rouge, principale appellation du vignoble bordelais. 

En ce début de vendanges, Gaël Delorme salue donc "le travail et l'abnégation des vignerons qui n'ont pas baissé les bras dans des conditions éprouvantes." Car les années se suivent et ne se ressemblent pas. "Les problématiques sont toujours différentes, ce qui pose des défis énormes en termes d'adaptation face au changement climatique", ajoute-t-il.

Ainsi, à plusieurs centaines de kilomètres de là, dans le Gard, Nicolas Richarme s'étonne aussi "des volumes d'eau qui sont tombés, de la fréquence des averses... On n'était pas habitué à cela. Ce sont des conditions plutôt attendues vers les Pays de la Loire ou dans le Bordelais, note le vigneron, président de l'interprofession SudVinBio, qui couvre l'ensemble de l'Occitanie. Mais eux aussi ont connu des conditions dont ils n'avaient pas l'habitude." 

"Tous les ans, on fait face à quelque chose de nouveau. Un excès, dans un sens ou dans l'autre. Une sécheresse ou trop d'eau. On parlait avant d'une année compliquée pour cinq années 'normales'. Aujourd'hui, c'est presque l'inverse."

Nicolas Richarme, vigneron dans le Gard

à franceinfo

 A elle seule, l'Occitanie a vécu les deux extrêmes : "La sécheresse qui continue dans le Roussillon et l'Aude, où les collègues n'ont pas vu une goutte d'eau. Et nous dans le Gard, l'excès d'eau a affecté la récolte. Ces calamités apportées par le changement climatique ne sont pas prises en compte par les assurances au même titre que la grêle ou le gel, alors qu'elles nous pénalisent", déplore-t-il. 

Une production "plus difficile à anticiper"

"Les agriculteurs font d'énormes efforts pour faire face aux aléas climatiques. Mais il est difficile de s'adapter à la fois pour la sécheresse et pour le trop-plein d'eau", signale l'agroclimatologue Serge Zaka. Si des solutions techniques existent – "telle que l'irrigation pour le déficit d'eau, et le drainage quand il y a de l'eau en excès" –, une partie de l'adaptation à ces aléas se joue dans les sols. "Des sols vivants, avec des couverts végétaux, un sol qui se tient... C'est le seul moyen dont on dispose pour répondre aux excès et déficits d'eau. Cela peut permettre de gagner deux semaines", rapporte le spécialiste. "Ce n'est pas magique, notamment quand il pleut vraiment trop, mais ça peut faire la différence", complète Serge Zaka, alors que des agriculteurs ont passé des semaines les bottes dans plusieurs centimètres d'eau, comme dans la Manche, décrit France Bleu Cotentin.

Pour Vincent Levavasseur, maraîcher sur sol vivant non loin de là, dans l'Orne, le fait de ne pas être dépendant d'opérations de travail du sol a permis de ne pas prendre de retard au moment critique de la mise en culture, en mai, quand la région recevait "le double des précipitations habituelles". "Le sol qui retient bien l'eau est plus portant, donc on peut marcher sans être dans la gadoue", résume-t-il. Cependant, dans cette région où les légumes d'été se cultivent surtout en serre, "on a eu davantage de difficulté à démarrer la saison et à sortir les tomates, concombres, melons… Les légumes d'été ont eu du mal à arriver", concède-t-il, pointant entre autres le manque d'ensoleillement, les problèmes de pollinisation et bien sûr, les maladies. "La production agricole devient de moins en moins sereine et de plus en plus difficile à anticiper", conclut Serge Zaka.

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