Comment les "polluants éternels" ont envahi les aliments que nous consommons

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié
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Les députés examinent à l'Assemblée nationale, le 4 avril 2024, une proposition de loi visant à interdire la vente de produits contenant des PFAS. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO.FR)
Les écologistes présentent une proposition de loi pour bannir les PFAS des produits en contact avec de la nourriture, et ce avant leur interdiction dans les emballages dans l'Union européenne. Un tel texte ne suffirait pas à lui seul à les éliminer.

Les PFAS (prononcez "piface") sont souvent qualifiés de "polluants éternels". Plus rarement souligne-t-on qu'il s'agit également de polluants omniprésents. Issues de la chimie, ces molécules ont contaminé la vie de tous les jours en s'imposant dans la composition des objets du quotidien : plastiques, textiles, revêtements, peintures, médicaments, pesticides, etc. Profitant de la "niche parlementaire" du groupe écologiste à l'Assemblée nationale, le député girondin Nicolas Thierry présente jeudi 4 avril une proposition de loi visant à protéger des risques liés à l'exposition croissante de la population à ces substances de la famille des perfluoralkylés et des polyfluoralkylés. Le texte propose notamment de les bannir pour tout produit en contact avec les aliments, et ce dès juillet 2025.

Emballages, barquettes à poisson, papiers pour pâtisseries... Dans la confection de ces produits du quotidien, "les perfluorés sont principalement utilisés pour leurs propriétés hydrophobes", explique le chimiste et toxicologue André Cicolella, président de l'association Santé environnement.

"Parce qu'ils repoussent l'eau et les graisses, on les retrouve par exemple dans les cartons de pizza. Typiquement, il s'agit de ces cartons à l'aspect un peu glacé."

André Cicolella, toxicologue

à franceinfo

"Mais il y a en réalité plusieurs milliers de types d'utilisations possibles", poursuit le chercheur en santé environnementale. Pour cibler ce point de contamination, la proposition de loi discutée jeudi propose de prendre un peu d'avance sur le règlement européen qui a acté en mars l'interdiction d'ici 2026 d'ajouter des polyfluoroalkylés dans la composition des emballages alimentaires.

Pour André Cicolella, l'attention récente portée aux perfluorés – par le législateur comme par les médias – a fait de ces molécules l'ennemi chimique numéro 1. "Il faut bien sûr agir face à la contamination généralisée par les PFAS. Mais du point de vue chimique, ce qui est crucial, c'est d'interdire les perturbateurs endocriniens", insiste-t-il. "Or, dans cette grande famille, il y a des PFAS, mais aussi des bisphénols et des phtalates, qui eux pourront toujours être utilisés", alerte-t-il.

"Cela n'a pas de sens de séparer les PFAS des autres perturbateurs endocriniens tout aussi nocifs."

André Cicolella, chimiste

à franceinfo

Si le texte proposé à l'Assemblée ne concerne que les perfluorés, la législation européenne sur les emballages ne prévoit quant à elle pas l'interdiction du bisphénol-A, pourtant réclamée à l'origine par les eurodéputés. Or, ces bisphénols, comme les phtalates, sont des molécules plus rapidement dissoutes par l'organisme que les PFAS, dits "éternels", relève André Cicolella. "En interdisant ces perturbateurs endocriniens que l'on trouve aussi partout, on obtiendra des résultats plus rapidement qu'en agissant sur les PFAS, même s'il faut agir sur toutes les contaminations de manière complémentaire."

L'eau et la terre contaminées 

Si la loi est votée, l'élimination des PFAS de la composition des matériaux en contact avec les aliments ne signifie pas pour autant que ces molécules cesseront de contaminer les aliments. Et pour cause : fruits et légumes, céréales, viandes et produits laitiers... Tout ce que l'on ingère peut "être contaminé par de la terre ou de l'eau elles-mêmes contaminées et utilisées pour cultiver ces aliments", explique l'Autorité européenne de sécurité des aliments.

Cette contamination de l'eau, de l'air et de la terre fait aujourd'hui l'objet de toutes les attentions, mais nécessite de fixer des seuils limites, parfois difficiles à établir. "Les autorités sanitaires, les agences de l'eau, les laboratoires de recherches, les collectivités... De nombreux acteurs suivent de près la contamination de l'environnement à diverses substances et notamment aux PFAS", assure la chimiste Hélène Budzinski, spécialiste des pollutions chimiques en tous genres dans l'environnement.

Quant à l'Anses, elle travaille d'ores et déjà à élaborer "des valeurs maximales de concentration à respecter dans les milieux, notamment aquatiques", peut-on lire dans le plan d'action ministériel sur les PFAS, dévoilé en janvier 2023 par Christophe Béchu, le ministre de la Transition écologique. "Il s'agit de donner une visibilité plus forte aux activités à l'origine de rejets significatifs (sites industriels, stations d'épuration urbaines)", poursuit le document. Dans le viseur : les cas de pollutions industrielles de grande ampleur, comme dans le Rhône, où la métropole de Lyon a assigné en justice les usines de chimie Arkema et Daikin.

Un arrêté ministériel pris le 20 juin 2023 oblige 5 000 installations classées protection de l'environnement à surveiller ces PFAS dans leurs rejets aqueux. Chargé par le gouvernement d'une mission sur ces substances, le député centriste Cyrille Isaac-Sibille a appelé à "faire cesser urgemment les rejets industriels" contenant des "polluants éternels", "sans attendre de restriction européenne".

Présents aussi dans les pesticides 

Les "polluants éternels" peuvent aussi prendre un autre chemin pour finir dans nos assiettes. Fin février, Pesticide Action Network Europe et Générations futures ont alerté sur une contamination des produits alimentaires aux PFAS par le biais de pesticides contenant ces molécules, sur la base des relevés transmis à l'UE par les Vingt-Sept. "Le nombre de fruits et légumes européens dans lesquels des résidus de pesticides PFAS ont été détectés a presque triplé entre 2011 et 2021, avec un taux de croissance de 220% pour les fruits et de 247% pour les légumes", ont révélé les deux ONG dans un rapport (PDF).

En novembre, ces mêmes ONG relevaient que "12% de toutes les substances synthétiques approuvées en Europe" pour un usage agricole sont des PFAS. Ainsi, elles déplorent que ces dernières soient exclues des textes européens en préparation sur le durcissement des règles qui encadren les perfluorés, au motif qu'elles relèvent d'une autre réglementation : celle sur les pesticides. "Bien qu'elles entrent dans la famille des composés PFAS, elles ne sont pas du tout de la même famille que les surfactants utilisés dans le téflon, la mousse à incendie, etc.", nuance Hélène Budzinski, assurant que ces molécules sont soumises à des contrôles stricts de la part des autorités sanitaires.

"On ne trouvera jamais une molécule miracle qui protégera les plantes et ne sera pas toxique pour l'environnement."

Hélène Budzinski, chimiste

à franceinfo

Et la chercheuse de plaider : "D'où la nécessité de réintroduire une biodiversité qui permette de stabiliser les attaques de ravageurs, de restaurer les prédateurs naturels, à travers des pratiques agroécologiques notamment." Sans quoi, la pollution chimique ne disparaîtra pas avec les PFAS.

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