Carte Plus d'un litre d'eau potable sur deux est perdu dans 198 territoires en France

L'association Intercommunalités de France dresse un constat alarmant dans les communes montagneuses ou peu peuplées, et plaide pour le transfert des compétences en matière d'eau vers les communautés de communes, qui doit devenir obligatoire en 2026. Mais certains acteurs émettent des réserves.
Article rédigé par Paolo Philippe, Léa Prati
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Temps de lecture : 4 min
Un homme remplit sa bouteille d'eau dans une fontaine à Moustiers-Sainte-Marie (Alpes-de-Haute-Provence), le 2 juillet 2023. (MICHEL CAVALIER / AFP)

Plus de 50% de la production d'eau potable est perdue dans 198 territoires en France : c'est le constat dressé par l'association Intercommunalités de France, qui regroupe près de 1 000 communautés de communes. Dans son rapport publié mercredi 20 mars, elle fournit une cartographie de près de 200 "points noirs", dont de nombreux avaient déjà été ciblés par le gouvernement. Ces territoires "affichent au moins un service d'eau avec un taux de rendement* inférieur à 50%" et "plus de la moitié de l'eau potable de ce réseau est perdue dans la nature".

En 2022, le taux moyen de fuites dans les réseaux de distribution d'eau était évalué à 20% par l'Observatoire national des services d'eau. C'est-à-dire qu'un litre d'eau potable sur cinq n'arrivait pas à destination. Le rapport d'Intercommunalités de France, qui s'appuie sur les données de l'Observatoire national des services d'eau, dresse un constat "alarmant" dans certains endroits, souvent des zones montagneuses ou des aires peu peuplées où l'installation et l'entretien des réseaux peuvent être rendus difficiles et coûtent cher.

Les Pyrénées-Orientales, touchées par la sécheresse, les Hautes-Alpes, les Vosges ou encore la Haute-Corse figurent parmi les départements les plus concernés. En Ardèche, deux communes – Astet (9%) et Lafarre (10,6%) – présentent un taux de rendement très faible : pour dix litres d'eau mis en distribution, un seul seulement arrive chez l'habitant dans ces deux villages d'à peine 40 habitants. Interrogé par franceinfo, le maire (sans étiquette) de Lafarre, Stéphane Roche, s'étonne de ces "chiffres erronés" qu'il justifie par l'absence de compteur d'eau jusqu'à une date récente.

Sur les 198 réseaux recensés par Intercommunalités de France, 151 sont gérés par des communes, comme Astet et Lafarre, alors que 25 correspondent à des syndicats et 22 à des intercommunalités. Cette cartographie est un moyen pour l'association de soutenir le transfert des compétences en matière d'eau vers les intercommunalités, qui doit devenir obligatoire en 2026, alors que près de 5 700 communes exercent encore seules la gestion de l'eau. Pour Intercommunalités de France, ces données montrent une corrélation entre le gaspillage et les territoires isolés.

La gestion des petites communes pointée du doigt

"Dans 75% des cas de la cartographie, ce sont des communes isolées qui gèrent la problématique de l'eau. On ne peut plus se permettre de gaspiller de l'eau, au moment où elle se raréfie", explique Régis Banquet, vice-président d'Intercommunalités de France. Pour celui qui est aussi président de Carcassonne Agglo, "certains élus ont l'impression que l'eau leur appartient, car ils ont une source sur leur commune". Il affirme que "c'est avec une gestion collective qu'on arrivera à juguler ces fuites d'eau".

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Michel Frison ne partage pas cet avis. Le maire (sans étiquette) de La Roche-de-Rame (Hautes-Alpes), une commune montagnarde de 1 000 habitants qui affiche un taux de rendement de 32,7%, doute qu'une gestion intercommunale puisse régler tous les problèmes des territoires de montagne. "Il faut mettre ces chiffres en cohérence avec la réalité du terrain. Nous avons des hameaux éloignés, certains se situent à 2,5 km de notre centre. La détection et la réparation de ces fuites ne sont pas aisées et les réseaux sont anciens", explique cet édile, qui balaie les accusations de gaspillage, "l'eau des fuites retournant dans le milieu naturel, dans les rivières". Il reconnaît, néanmoins, que la gestion de l'eau a évolué depuis son premier mandat, en 2001, "où l'eau coulait à volonté".

Pour Julie Trottier, directrice de recherche au CNRS et enseignante à Sciences Po Paris, il faut analyser ces fuites d'eau au cas par cas, selon les territoires. "Moins vous avez d'habitants au kilomètre carré, plus vous aurez de pertes, peu importe qui gère la distribution de l'eau", expose la chercheuse, qui explique qu'il est impossible de comparer la situation d'une commune rurale avec une grande agglomération. Au-delà des questions techniques, la gestion de l'eau est aussi un enjeu financier majeur.

"Beaucoup d'acteurs se méfient d'un transfert aux intercommunalités, car il y a un risque que la gestion de l'eau soit transférée à une société privée comme Veolia."

Julie Trottier, directrice de recherche au CNRS et enseignante à Sciences Po Paris

à franceinfo

Tous les acteurs interrogés par franceinfo s'accordent sur un point : des travaux et un entretien régulier des réseaux sont nécessaires pour éviter les fuites d'eau. "Les réseaux sont vieillissants et méritent d'être renouvelés", affirme ainsi Michel Frison, le maire de La-Roche-sur-Rame. Pour son collègue de Lafarre, Stéphane Roche, cela passera par une gestion intercommunale, car les "travaux coûtent cher", d'autant plus pour une petite commune de moins de 100 habitants.

Intercommunalités de France estime qu'il faudrait investir entre 4 et 5 milliards d'euros par an, pendant plusieurs années, pour lutter contre ces fuites. En mars 2023, le président de la République, Emmanuel Macron, avait annoncé un plan de 180 millions d'euros par an pour les résorber.

*Le taux de rendement est le rapport entre le volume d’eau consommé par les usagers et le volume d’eau potable introduit dans le réseau de distribution.

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