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Enquête France 2 Batteries électriques : une mine de lithium va-t-elle dévaster une vallée de 20 000 habitants en Serbie ?

Publié Mis à jour
L'oeil du 20 heures - 24 novembre 2021
L'oeil du 20 heures - 24 novembre 2021 L'oeil du 20 heures - 24 novembre 2021
Article rédigé par L'Oeil du 20 heures
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Le lithium, indispensable aux batteries des voitures électriques, devient une des matières les plus convoitées. Mais l'exploitation des gisements provoque des dégâts sur l'environnement. En Serbie, le groupe australien Rio Tinto a acheté des terres riches en minerai de lithium, mais la population ne compte pas laisser la multinationale dévaster sa vallée.

C’est l’un des principaux moyens de réduire les émissions de gaz à effet de serre : la voiture électrique. Ses ventes explosent, les politiques publiques nous incitent à rouler électrique. Mais la voiture électrique est-elle sans conséquences sur l’environnement ? D’où vient le lithium, nécessaire aux batteries ? L’œil du 20 heures met le cap sur la Serbie.

La vallée de Jadar, à l’Ouest de la Serbie : c’est le site choisi par la multinationale anglo-australienne Rio Tinto pour construire la plus grande mine de lithium en Europe. Un projet promu à la télé serbe : "les technologies vertes, les voitures électriques, l’air pur," énumère le spot publicitaire sur fond de chants d'oiseaux. "Tout cela dépend d’un des gisements les plus riches en lithium au monde, et qui se trouve juste ici, à Jadar en Serbie".

De l'arsenic autour des puits d'exploration

Un discours écolo, bien loin de la réalité de la future mine selon les habitants. "Ca ressemblera à la lune, à Mars !" se désole Nebojsa Petkovic. Ce riverain sait que la mine utilisera d’énormes quantités d’acide sulfurique, et pourrait générer notamment de l’arsenic, comme autour des premiers puits creusés par la multinationale au milieu des champs. "Ce sont deux forages d’exploration. On a trouvé de l’arsenic autour, et l’été plus rien ne pousse à moins de 10 mètres de ces puits."

Selon Nebojsa Petkovic, cette mine coincée entre deux rivières représenterait un risque de pollution pour toute la région. "Je pense que c’est la première fois dans l’histoire de l’humanité qu’on fait une telle mine dans une zone habitée. Il y a 20 000 personnes qui vivent ici. Ca va être une catastrophe."

Rio Tinto dit conduire 12 études environnementales, qu’elle publiera plus tard. Mais l’entreprise n’en est pas à sa première controverse sur l’environnement. En Papouasie-Nouvelle Guinée, elle est accusée de ne pas avoir dépollué une mine après l’avoir abandonnée il y a 30 ans. En Australie, l’entreprise a détruit l’an dernier un site aborigène sacré de 46 000 ans. Rio Tinto s’est excusée depuis.

Village fantôme

En Serbie, alors que le chantier n’a pas encore débuté, la commune de Gornje Nedeljice a déjà des allures de village fantôme. En quelques mois, la multinationale a racheté une cinquantaine de maisons à leurs habitants... En payant jusqu’à cinq fois plus cher que le prix du marché. "Ces gens ont touché en moyenne 200 000 euros par maison," détaille Nebojsa Petkovic. "C’est une somme énorme pour la Serbie."

Dans ce quartier modeste, ceux qui ont quitté leur maison sont allés jusqu’à emporter tout ce qu’ils pouvaient : les portes, les fenêtres, les toitures. Zlatko Kokanovic, éleveur et membre de l'association "Ne damo Jadar" ("Ne donnons pas le Jadar"), fait partie des derniers à refuser de vendre. "J'ai à peu près quatre hectares de champs dans la zone de la mine. Je ne leur vendrai pas. Mais les vieux, qui sont tous seuls, ils ont plus de mal résister au pressions et aux menaces d’expropriation."

"La loi serbe change selon les intérêts des investisseurs"

Rio Tinto a prévu d’investir plus de deux milliards d’euros dans cette mine, dont le lithium devrait permettre, selon elle, de fabriquer plus d’un million de voitures électriques chaque année. La multinationale doit encore obtenir des autorisations de l’Etat Serbe. Une simple formalité selon Sreten Djordjevic, avocat spécialiste des questions environnementales. Il dénonce un risque de collusion entre les autorités et Rio Tinto, et prend pour exemple une étude de terrain rendue publique dans une version étonnamment caviardée. "Les auteurs de l'étude, le directeur" : tout est noirci.

"Il y a un risque de conflit d’intérêt de la part des experts serbes qui ont fait ces études pour Rio Tinto, et qui peuvent très bien siéger dans les commissions techniques gouvernementales qui valident ces mêmes études, sans qu’on puisse le vérifier."

Sreten Djordjevic, avocat

à France 2

Rio Tinto n’a pas souhaité nous accorder d’interview, mais dit avoir noirci une partie de ce rapport “car il contenait des informations commerciales sensibles”.

"Ce n’est pas par hasard que Rio Tinto investit en Serbie," ajoute l'avocat. "Ici la loi change selon les intérêts des investisseurs."

Ce gisement de lithium serbe est loin d’être le plus important en Europe. Il y a d’autres réserves ailleurs, inexploitées, y compris en France. Pour Aleksandar Jovanovic Cuta, leader de l’opposition à la mine, les pays de l’Union européenne, dont la Serbie ne fait pas partie, refuseraient un projet d’une telle ampleur sur leur sol. "Est-ce qu’il existe de telles mines de lithium en France, en Allemagne, en République Tchèque ?" demande-t-il ironiquement.

"C’est une forme d’hypocrisie de l’Union européenne qui veut respirer de l’air pur, même si cela implique des technologies sales, qui font de la Serbie une décharge."

Aleksandar Jovanovic Cuta, activiste écologiste

à France 2

D’autres projets d’extraction de lithium, souvent plus petits, existent bien en Europe. A ce jour, l’industrie automobile Européenne dépend à près de 90 % des importations de lithium.

Parmi nos sources : 

Site web de Rio Tinto : Projet Jadar, Juukan (Australie) (en anglais)

Rio tinto’s past casts a shadow over serbia’s hopes of a lithium revolution, Daniel Boffey, The Guardian, 19 novembre 2021 (en anglais) 

Voitures électriques : une mine de lithium va dévaster une région Serbe, Louis Seiller, Reporterre, 9 novembre 2021

Australie : le géant minier Rio Tinto reconnaît avoir détruit des grottes aborigènes préhistoriques, France Info, 27 mai 2020

Bougainville : Rio Tinto dans la tourmente de l’ancienne mine de cuivre de Panguna, France Info - la 1ère, 1 octobre 2020

Réserves de Lithium en Europe, EuroGeoSurveys (en anglais)

Liste non exhaustive.

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