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Enquête franceinfo #AlertePollution : plages souillées, oiseaux empoisonnés... Comment les conteneurs tombés à l'eau deviennent un vrai mal de mer

Article rédigé par Carole Bélingard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Un bateau remorque, le 8 janvier 2019, dans le port de Lauwersoog (Pays-Bas), des conteneurs tombés du porte-conteneurs "MSC Zoe". (REMKO DE WAAL / ANP / AFP)

Chaque année entre 1 500 et 15 000 conteneurs sont perdus par les navires de transport de marchandises, laissant s'échapper leur cargaison.

#AlertePollution

Rivières ou sols contaminés, déchets industriels abandonnés… Vous vivez à proximité d’un site pollué ?

Un vent glacial balaie la plage de Schiermonnikoog, sur les îles Wadden, en mer du Nord. Tenues de camouflage et gants en plastique, les militaires néerlandais ramassent, vendredi 4 janvier, les innombrables déchets issus des conteneurs perdus par le MSC Zoe quelques jours plus tôt. Le navire d'une capacité de 19 000 conteneurs est l'un des plus gros du monde. Parti du Portugal et à destination de Bremerhaven en Allemagne, le bateau a laissé échapper au moins 270 conteneurs au large des Pays-Bas après avoir été pris dans une tempête. Jouets en plastique, écrans plats, piles au lithium, mais aussi des matières dangereuses ont dérivé en mer, avant d'atterrir sur les côtes au gré des courants.

Des militaires néérlandais nettoient la plage à Schiermonnikoog (Pays-Bas),le 4 janvier 2019. (REMKO DE WAAL / ANP / AFP)

Ces images impressionnantes sont loin d'être inédites. Dans le cadre de notre enquête participative #AlertePollution, vous nous avez signalé le cas de téléphones Garfield retrouvés sur des plages bretonnes. Les jouets continuent de s'échouer à chaque tempête, depuis 30 ans. "Les anciens ont souvenir d'un échouement de conteneur (...) au début des années 1980, sans pouvoir le dater précisément", explique la présidente de l'association environnementale Viltansoù. Ainsi, les conteneurs perdus en mer peuvent être à l'origine de longues et importantes pollutions des fonds marins et des littoraux. 

Un phénomène compliqué à évaluer

Difficile de mesurer l'ampleur du phénomène : quantifier le nombre de conteneurs perdus chaque année – à cause du surpoids des marchandises, des conditions de chargement ou encore des conditions météo – s'avère une entreprise délicate. Le World Shipping Council (WSC), qui représente les compagnies de transport industriel, affirme dans un rapport (en anglais) publié en 2017 que 1 582 conteneurs en moyenne ont disparu en mer chaque année entre 2006 et 2016. Mais ces données sont basées uniquement sur les déclarations des armateurs membres du WSC, qui représentent selon elle 80% du secteur.

D'autres estimations décrivent un phénomène bien plus impressionnant : le Centre de ressources sur les pollutions accidentelles en mer agréé par l'Etat français (Cedre) fait état de 10 000 à 15 000 conteneurs perdus chaque année en mer, quand l'association de protection de l'environnement Robin des bois avance carrément que "plusieurs dizaines de milliers de conteneurs tombent à la mer chaque année". Pour le porte-parole de Robin des bois, Jacky Bonnemains, s'il est aujourd'hui impossible d'établir un état des lieux précis, c'est que "le marché du porte-conteneurs est beaucoup trop opaque".

Les armateurs ne déclarent pas toujours les pertes, surtout quand elles sont en pleine mer. Ils les déclarent quand c'est près du littoral.

Jacky Bonnemains

à franceinfo

Contacté par franceinfo, l'armateur français CMA-CGM, un des leaders du marché, assure signaler systématiquement les pertes de conteneurs, "y compris vides". "Ces données sont également communiquées annuellement dans notre rapport", précise la compagnie. Mais toutes les compagnies de transport ne jouent pas le jeu. "Si un navire perd des conteneurs en plein milieu de l'océan Atlantique, personne n'ira les chercher", reconnaît d'ailleurs Jean-Pierre Scouarnec, président de l'entreprise de manutention portuaire Euro Docks Services, dans une interview à La Croix.

Des matières dangereuses dans la nature

Résultat : les littoraux du monde entier finissent souillés. "Ce sont des kilomètres de plages qui sont aujourd'hui submergés par les déchets", se désole l'association Robin des bois. Les côtes françaises ont connu leur lot de naufrages de déchets. Parmi les derniers en date figure le cas du Cosco Nagoya. En décembre 2013, le navire a perdu 79 conteneurs, à 350 km au large de Penmarc'h (Finistère). Trois semaines plus tard, l'association de nettoyage des plages Ansel constate des bancs de sable souillés par des seringues de la marque MacKesson.

Les plages de Concarneau étaient blanches de seringues. On marchait dessus. Il y en avait des milliers échouées. On aurait dit de la grêle.

Lionel Lucas, co-fondateur de l'association Ansel

à franceinfo

Toutefois, selon Jacky Bonnemains, porte-parole de l'association Robin des bois, la pollution consiste en majorité en des "déchets en plastique dont la fragmentation en particules plus petites prend des dizaines d'années". Tous ces plastiques sont "un véritable support de pollution" : les polluants chimiques s'y fixent dans le milieu aquatique, déséquilibrant les écosystèmes. Surtout, ces micro-plastiques sont ingérés par la faune marine, avec pour conséquences des intoxications, empoisonnements ou des occlusions intestinales, note un rapport de Greenpeace.

"La perte des conteneurs du MSC Zoe est une véritable catastrophe écologique", insiste Jacky Bonnemains. Début février, plus de 20 000 guillemots ont ainsi été retrouvés morts sur les plages néerlandaises. Les scientifiques s'interrogent sur le lien entre cette hécatombe inédite et le peroxyde organique (une substance toxique sous forme de poudre) transporté dans les conteneurs du MSC Zoe.

Davantage que le plastique, la perte de conteneurs remplis de matières dangereuses préoccupe l'association Robin des bois, qui compile une longue liste de précédents dans leur Atlas de la France toxique (éd. Arthaud). Celui du Sherbro reste emblématique. En décembre 1993, le navire, qui relie Cherbourg (Manche) à Montoir (Loire-Atlantique), perd près de 88 conteneurs contenant des pesticides, du nitrocellulose (un produit utilisé comme explosif) et du soufre. Ces produits toxiques se sont échoués sur des plages bretonnes, normandes ou du Nord, obligeant certaines municipalités à en interdire l'accès.

"A chaque nettoyage, on en retrouve"

Et ces pollutions ne sont pas limitées au moment où les conteneurs s'échouent. En fonction des courants, les déchets mettent parfois du temps à parvenir sur les rivages. "C'est encore à confirmer, mais nous avons ramassé, là en janvier 2019, sur des plages du Finistère, des boîtes de lait qui proviendraient de l'échouage d'un porte-conteneurs au large de la Galice en Espagne en janvier 2018", expose Lionel Lucas. Les pollutions peuvent revenir inlassablement au fil des tempêtes qui éventrent les conteneurs et font remonter les déchets enfouis dans les fonds marins.

Ainsi, en 2014, le porte-conteneurs Svendborg Maersk a laissé échapper près de 600 conteneurs, remplis de viande congelée, de fruits et de bois, dans le golfe de Gascogne au large de Brest. Quatre ans plus tard, "on continue de ramasser les mousses blanches en polyuréthane qui servent d'isolants dans les réfrigérateurs issus des conteneurs", assure Lionel Lucas. Plus au nord, sur la côte d'Opale (Pas-de-Calais), des cartouches d'encre pour imprimante HP ressurgissent régulièrement. "A chaque nettoyage, on en retrouve. Elles sont issues d'un conteneur échoué il y a quelques années", précise Thomas Hemberger, président de l'association Nature libre.

Et même libérés de leurs marchandises, les conteneurs qui coulent au fond de l'eau représentent en eux-mêmes "une pollution de plusieurs siècles" en raison du revêtement des boîtes métalliques ou de la peinture utilisée à l'extérieur.

Des résidus de la société de consommation

Du côté des autorités, on assure que ces pertes de conteneurs sont prises très au sérieux, d'autant que certains axes sont très empruntés. "Plus de 40 000 navires par an" transitent ainsi par le rail d'Ouessant, situé au large de Brest, "tout comme 90% des biens consommés en Europe", rappelle le capitaine de frégate Riaz Akhoune, porte-parole du préfet maritime de l'Atlantique, contacté par franceinfo. "C'est un sujet de préoccupation pour nous." Des exercices de récupération des conteneurs sont régulièrement organisés par la préfecture maritime. 

Des conteneurs échoués sur une plage en Nouvelle-Zélande, après un accident sur le porte-conteneurs "Rena", le 9 janvier 2012. (MARTY MELVILLE / AFP)

En revanche, il semble plus difficile de condamner les armateurs en cas de pollution. Selon l'expert maritime Pierre Maupoint de Vandeul, interrogé par La Croix, "l'armateur peut être mis en demeure de rechercher les conteneurs, pour des raisons de sécurité". Mais l'association Robin des bois déplore que les réglementations internationales n'abordent pas "les enjeux de responsabilité en cas de pertes et de dommages environnementaux et sanitaires". Dans le meilleur des cas, les armateurs prennent en charge financièrement les nettoyages, comme dans le cas du MSC Zoe en mer du Nord.

Reste qu'en dehors de ces échouages de grande ampleur et très médiatisés, les associations de nettoyage des plages se retrouvent souvent seules face à des pollutions diffuses. Sur les littoraux, de nombreuses associations organisent une fois par mois des collectes de détritus en tout genre.

Par ramassage, on récolte jusqu'à 300 kg de déchets. C'est bien, mais c'est une partie infime de la pollution, ce n'est même pas un grain de sable. Et encore il s'agit des pollutions les plus visibles.

Thomas Hemberger

à franceinfo

Or, au vu de l'augmentation du trafic maritime, le phénomène des pertes de conteneurs n'est pas prêt de s'arrêter, estime le Marine Sanctuaries Conservation. D'autant que, pour l'association Robin des bois, les pollutions qui en sont issues questionnent aussi nos propres habitudes, lentes à changer : "Ces téléviseurs, ces jouets échoués sur les plages sont avant tout un miroir de ce que nous consommons."

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