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#AlertePollution "Elles ne sont jamais enlevées" : dans la Seine, le Rhône ou la Méditerranée, des dizaines de trottinettes électriques jetées à l'eau

Article rédigé par Camille Adaoust
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Un Lyonnais photographie, le 4 septembre 2019, une trottinette électrique au fond du Rhône. (ALERTEPOLLUTION)

A Paris, Lyon ou Marseille, des internautes nous ont signalé la présence de ces engins immergés parfois depuis plusieurs mois. Les composants de leurs batteries, lorsqu'ils sont relâchés dans l'eau, peuvent pourtant poser problème.

#AlertePollution

Rivières ou sols contaminés, déchets industriels abandonnés… Vous vivez à proximité d’un site pollué ?

"Quand on se balade en famille sur les berges, on en voit énormément. C'est désolant !" Jean-Gérard, 33 ans, habite en plein centre de Lyon. Depuis quelques mois, en longeant le Rhône pour rentrer chez lui, il constate "tous les cent mètres" la présence de trottinettes électriques immergées. "Certaines sont récentes, d'autres toutes vertes, recouvertes d'algues." Inquiet de "leur impact écologique" dans le fleuve, il a contacté #AlertePollution. Il n'est pas le seul. Des habitants de Paris et de Marseille ont également signalé la présence de ces trottinettes, qui depuis leur arrivée en France posent de nombreux problèmes sur les trottoirs ou la route, mais aussi dans les cours d'eau ou la mer.

"C'est une forme d'écocide"

A Paris, Mathieu, 26 ans, décrit un décor similaire. "Quand on se promène sur les quais de Seine, on peut en voir énormément. Et quand la pente est douce, c'est des dizaines d'un coup", dénonce cet étudiant aujourd'hui engagé dans l'association Surfrider, qui "combat pour la protection de l'océan". A Marseille aussi, Amandine dénonce "les trottinettes jetées à la mer"

"Balancer une batterie au lithium dans un cours d'eau, c'est une forme d'écocide" (un acte de destruction ou d'endommagement grave d'un écosystème), sanctionne Elodie, bénévole chez Sea Shepherd France. L'ONG a déjà participé à des repêchages, notamment dans le Saône, à Lyon, où une opération a permis de ramasser 22 trottinettes en mai dernier.

"Aujourd'hui, les fleuves et les rivières sont soumis à de nombreuses agressions. Et maintenant, une nouvelle pollution vient s'ajouter !" déplore-t-elle.

C'est indéniable, il y a un impact sur la faune et la flore des fleuves. Et tout va dans la mer et l'océan, ça se traduit par une pollution de ces milieux-là aussi.

Elodie, bénévole chez Sea Shepherd

à franceinfo

Quel impact ? Si la structure de la trottinette "restera là où elle est" sans "poser de véritable problème" en termes de pollution, ce sont les éléments de la batterie qui seront "diffusés dans le milieu en plus grande quantité", expose Jérôme Gaillardet, professeur d'université à l'Institut de physique du globe de Paris, spécialisé dans les interactions avec l'eau. 

"Si on ne retire pas la trottinette de l'eau, la corrosion va ouvrir la batterie au bout de quelques années. L'eau va pénétrer dans l'accu [la pile rechargeable], et on va assister à un relargage des composants", décrit Yves Lévi, enseignant-chercheur au laboratoire Ecologie, systématique et évolution de l'université Paris-Sud. Parmi ses composants, le lithium. "C'est un élément très facilement soluble. Il va passer assez rapidement dans l'eau", expose Jérôme Gaillardet. Le scientifique précise qu'il n'est cependant "pas toxique". "Ce qui est surtout grave, c'est de gaspiller du lithium. On ne peut se permettre de jeter un métal dont on sait qu'il va être rare. C'est comme si on jetait un lingot d'or dans la Seine !"

Outre le lithium, les batteries peuvent comprendre d'autres composants. "Selon la forme du lithium utilisé, il peut y avoir des polymères", décrit Jérôme Gaillardet. Une présence qui peut être bien plus problématique. "Ils ne sont pas faciles à détruire et peuvent donc rester très longtemps dans l'environnement", continue le scientifique, qui alerte sur une éventuelle "toxicité". Pour autant, impossible en l'absence d'étude d'évaluer le danger réel posé par cette nouvelle forme de pollution des eaux : "On ne sait pas exactement ce qu'il y a dans ces batteries", regrette Yves Lévi. Il insiste toutefois : "Il faut respecter vos ressources en eau ! Quoi que vous jetiez dans les rivières ou autre cours d'eau, vous le retrouverez un jour dans votre verre d'eau."

Un problème présent "dès le début"

Les opérateurs de trottinettes électriques assurent avoir conscience du problème. "On l'a identifié très tôt, dès le début de notre activité à Paris" pendant l'été 2018, indique à franceinfo Kenneth Schlenker, directeur de Bird France. Pour son concurrent, Lime, le phénomène s'est même accéléré au début de l'été 2019. "Il y a eu un effet de mode. A Marseille par exemple, des petits jeunes se jetaient à l'eau avec les trottinettes", rapporte Arthur-Louis Jacquier, directeur général de Lime à Paris.

Pour contrer ces comportements, plusieurs mesures ont été mises en place. "A Paris, Marseille, Lyon, Bordeaux et Annecy, les utilisateurs ne peuvent pas se garer à proximité des points d'eau", expose Kenneth Schlenker. Pour les véhicules qui ne respectent pas ces règles, des opérations de verbalisation et de mise en fourrière ont été réalisées, "plus de 2 300 entre le mois de mai et la fin du mois d’août", précise la mairie de Paris.

Sur l'application de l'opérateur Lime, les berges de Seine à Paris sont des zones où il est interdit de garer les trottinettes. (LIME / FRANCEINFO)

Il existe également des "patrouilles" chargées de surveiller et récupérer les trottinettes placées dans ces zones. Des partenariats ont également été conclus avec des associations pour faciliter le repêchage des engins immergés. Les deux compagnies, leaders du marché comme le souligne Numerama, certifient également mettre désormais à disposition des trottinettes plus étanches. "Les batteries sont dans des étuis parfaitement étanches, conçus pour protéger dans la plupart des cas d'immersion", expose Kenneth Schlenker. "Même s'il est mis à l'eau, notre dernier modèle causera une pollution minime", assure Arthur-Louis Jacquier.

Aux yeux des riverains et des associations, ces efforts ne sont pas suffisants. "Dans le lac du parc de la Tête d'Or, elles ne sont jamais enlevées", persiste le Lyonnais Jean-Gérard. Début septembre encore, il photographiait plusieurs trottinettes vaseuses dans le Rhône, entre la passerelle du Collège et le pont de la Guillotière.

Un Lyonnais photographie, le 4 septembre 2019, une trottinette électrique au fond du Rhône. (ALERTEPOLLUTION)

"La responsabilité appartient à un triangle d'acteurs : l'entreprise qui met les trottinettes à disposition, la ville et les usagers", souligne Elodie, de Sea Shepherd. Elle avance donc des mesures plus radicales pour éradiquer le problème. "L'opérateur peut obliger à attacher les trottinettes ou garder une forme de caution", propose la bénévole. Elle déplore aussi que les mairies concernées ne facilitent pas plus, pour des raisons de sécurité, les actions de repêchage, au travers d'autorisations plus accessibles pour les particuliers et les associations. 

De son côté, Yves Lévi invite surtout à analyser cette pollution plus en détail. "Il faut connaître le volume qui s'écoule dans les fleuves, leur concentration, et calculer une évaluation des risques. Il faut savoir si c'est toxique."

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