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Etats-Unis-Cuba : quatre étapes à franchir avant de parvenir à un rapprochement

Pour concrétiser les grands espoirs suscités par les annonces simultanées, mercredi, de Barack Obama et Raul Castro, les deux pays doivent désormais réussir à boucler plusieurs dossiers sensibles.

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Une personne tient le drapeau des Etats-Unis (à gauche) et une autre celui de Cuba, à Miami (Floride) après le discours de Barack Obama, le 17 décembre 2014. (JOE RAEDLE / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

"Un nouveau chapitre." Dans un discours historique, le président américain Barack Obama a annoncé, mercredi 17 décembre, un rapprochement des Etats-Unis avec Cuba. Simultanément, son homologue cubain, Raul Castro, a pris la parole pour annoncer une normalisation des relations diplomatiques entre les deux pays, rompues depuis 1961.

Mais si ce rapprochement spectaculaire a suscité de grands espoirs, les deux camps vont devoir œuvrer de concert pour les concrétiser. "Je n'attends pas de changement de la société cubaine en 24 heures", a précisé Barack Obama mercredi. Mais "avec le temps", il espère que l'ouverture portera ses fruits.

Francetv info liste les étapes qu'il reste à franchir pour y parvenir.

1Lever l'embargo économique

"C'est le nerf de la guerre", dixit Christophe Ventura, chercheur à l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) et auteur de L'éveil d'un continent - Géopolitique de l'Amérique latine et de la Caraïbe (Ed. Armand Colin). Car l'embargo économique américain pèse depuis plus d'un demi-siècle sur Cuba. "C'est le plus vieil embargo en vigueur dans le monde", rappelle Le Figaro. Les principales dispositions de ce blocus commercial ont été instaurées en 1962 par le président Kennedy, puis elles ont pris la forme d'une loi dans les années 1990. "Depuis, il n'a cessé d'être renforcé, mis à part quelques assouplissements décidés par Barack Obama", ajoute le quotidien.

La Maison Blanche souhaite la levée de ce dispositif avant que Barack Obama quitte ses fonctions, soit dans un peu plus de deux ans. Mais seul un vote du Congrès américain, composé du Sénat et de la Chambre des représentants, peut le permettre. Or, actuellement, ce sont les républicains qui ont la majorité dans les deux chambres du Parlement. "Les démocrates et les républicains sont divisés sur cette question, et au sein même de leurs partis. Une partie des républicains refuse la levée de l'embargo, une autre souhaite faire des affaires à Cuba. Quelques démocrates sont aussi frileux", explique Janette Habel, politologue spécialiste de Cuba et de l'Amérique latine, contactée par francetv info.

Prévoir l'issue d'un vote est difficile, mais Barack Obama a bien choisi ses mots lors de son discours pour le faire basculer en sa faveur. "L'isolement de Cuba n'a pas fonctionné, il faut une nouvelle approche", a-t-il déclaré mercredi. "C'est bien joué de dire cela, car les républicains vont avoir du mal à défendre une mesure qui ne fonctionne pas depuis un demi-siècle", pointe Janette Habel.

Barack Obama a plusieurs atouts dans sa manche. "Si le Congrès ne lève pas l'embargo, il restera juridiquement en place, mais le président américain peut le vider de sa substance", assure Christophe Ventura. Le locataire de la Maison Blanche a déjà annoncé, mercredi, une série de mesures pour favoriser les échanges économiques entre les deux pays. Pour la première fois depuis des décennies, les Américains pourront désormais utiliser leurs cartes de crédit à Cuba et les banques pourront ouvrir des comptes dans les institutions financières cubaines. "Ces mesures sont déjà dans l'esprit de la levée de l'embargo", estime Christophe Ventura. 

2Retirer Cuba de la liste des Etats soutenant le terrorisme

Mercredi, Barack Obama a aussi annoncé que Cuba sera prochainement retiré de la liste américaine des pays soutenant le terrorisme. L'île y est inscrite depuis 1982. "Des dignitaires de haut rang vont se rendre à Cuba" pour mettre en place une coopération entre les deux pays en matière de "lutte contre le terrorisme, d'économie, d'immigration et de santé", a précisé le président américain. C'est le secrétaire d'Etat, John Kerry, qui doit mener le processus pour y parvenir.

C'est une étape importante pour normaliser les relations entre les deux pays, mais cela va prendre du temps. "Mettre Cuba sur la liste des pays soutenant le terrorisme était une absurdité qui ne correspondait à rien. Cuba est étranger à tout acte terroriste. Il serait donc difficile de maintenir l'île caribéenne sur cette liste, maintenant que les relations diplomatiques se développent", estime Janette Habel.

3Améliorer les droits de l'homme et la démocratie à Cuba

"Il n'y a pas de liberté, pas de démocratie à Cuba. C'est ça le blocus intérieur castriste. C'est un pays très difficile. Il y a aussi beaucoup de pauvreté, et quelques très riches..." Pour la romancière cubaine Zoé Valdés, exilée en France depuis 1995, le rapprochement diplomatique annoncé mercredi "n'améliorera pas le sort des Cubains". "Non, je ne suis pas optimiste", a-t-elle affirmé au micro de France Info jeudi matin.

Certains élus républicains ne le sont pas plus. Cette approche "ne va absolument rien faire pour améliorer la question des droits de l'homme et la démocratie à Cuba", estime dans Libération Marco Rubio, sénateur de Floride d'origine cubaine. Si les Cubains exilés dans cet Etat du sud, qui appartiennent à "l'ancienne génération", partagent majoritairement ce point de vue, ce n'est pas le cas de la "nouvelle génération". "Les plus jeunes veulent développer les relations avec Cuba, mais les plus vieux, acteurs d'un conservatisme, ne le souhaitent pas. Toutefois, ils ne pèsent pas suffisamment pour modifier la marche de l'histoire", résume Christophe Ventura.

"On peut déjà constater une ouverture démocratique, estime Janette Habel. Et cela va se poursuivre parce que la menace américaine, une des raisons qui justifiaient une politique répressive et autoritaire, n'est plus crédible depuis le discours de Barack Obama prononcé mercredi." Reste à savoir vers quel type de modèle Cuba va se diriger. Les deux chercheurs ont du mal toutefois à imaginer que le pays se calque sur un système à l'américaine.

4Organiser une rencontre historique entre Obama et Castro

Une poignée de mains. Cette image symbolique est essentielle pour illustrer des relations apaisées entre deux pays. Ainsi, la Maison Blanche n'a pas exclu que le président américain se rende à Cuba une fois les relations diplomatiques restaurées. Une visite de Raul Castro aux Etats-Unis est même envisagée.

Mais pour Janette Habel, il y a déjà eu une image historique mercredi, lorsque les dirigeants respectifs des Etats-Unis et de Cuba ont prononcé un discours chacun de leur côté, en même temps. "Voir Barack Obama et Raul Castro, compte tenu des accusations qui pèsent sur ce dernier, sur deux chaînes de télévision au même moment, était assez inimaginable jusqu'ici", estime la politologue.

Mais le véritable tournant pourrait avoir lieu les 10 et 11 avril 2015 au Panama, lors de la 7e édition du sommet des Amériques, qui réunit 34 pays d'Amérique du Nord et d'Amérique latine. Les chefs d'Etat des pays d'Amérique latine menaçaient de ne pas s'y rendre si Cuba n'était pas invité. Mais pour la première fois, La Havane y participera. Washington aussi. Barack Obama et Raul Castro n'ont pas encore confirmé leur présence, mais il y a de fortes chances qu'ils profitent de ce moment hypermédiatisé pour montrer le rapprochement entre leurs deux pays.

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