"Tentative de coup d'Etat", crise politique, manifestations... On vous explique la situation en Arménie
Depuis jeudi, des milliers de manifestants réclament le départ du Premier ministre Nikol Pachinian, critiqué pour la défaite dans le conflit dans le Haut-Karabakh face à l'Azerbaïdjan.
Un deuxième jour dans la rue. Plusieurs milliers de personnes ont manifesté, vendredi 26 février, en Arménie, afin d'obtenir la démission du Premier ministre Nikol Pachinian. Leur colère, qui couvait depuis la défaite de novembre dans le Haut-Karabakh face à l'ennemi juré et voisin, l'Azerbaïdjan, a débouché sur une crise politique dont le point d'orgue est survenu jeudi, quand l'armée a appelé à la démission du chef du gouvernement.
Dans la foulée, le Premier ministre Nikol Pachinian a dénoncé une tentative de coup d'Etat et réuni quelque 20 000 de ses partisans pour manifester dans la capitale. Protestant en retour, l'opposition a rassemblé plusieurs milliers de personnes, érigé des barricades, installé des tentes, bloqué les rues entourant le Parlement et promis d'y rester jusqu'au départ du chef du gouvernement. Voici ce qu'il faut savoir sur ces tensions.
Un pays meurtri par une défaite militaire
Le Premier ministre Nikol Pachinian est arrivé au pouvoir en 2018, à la faveur d'une révolution pacifique. A l'époque, cet ancien journaliste promet de débarrasser le pays d'une élite corrompue. Mais depuis la défaite dans le conflit qui oppose l'Arménie à l'Azerbaïdjan dans la région du Haut-Karabakh, l'opposition réclame son départ.
En novembre, confrontée au risque d'une débâcle, l'armée avait demandé au chef du gouvernement d'accepter les conditions d'un cessez-le-feu négocié par Vladimir Poutine. Mais cet accord implique d'importantes pertes territoriales pour l'Arménie : la ville symbolique de Choucha, ainsi qu'un glacis de territoires azerbaïdjanais entourant la région, sont perdus.
Aussitôt le cessez-le-feu signé, des manifestations avaient éclaté dans la capitale Erevan pour dénoncer "la capitulation" du pouvoir et qualifier de "traître" l'homme qui en a accepté les conditions. La police avait arrêté plusieurs manifestants, dont des membres du principal parti d'opposition, Arménie prospère. Depuis, la pression n'a cessé de s'accentuer sur le Premier ministre, sommé par la rue de quitter son poste.
L'armée lâche le Premier ministre...
Jusqu'à présent, l'armée soutenait le Premier ministre. Mais tout a changé dans le courant de la semaine, quand Nikol Pachinian annonce le limogeage de Tigran Khatchatrian, l'adjoint du chef d'état-major du pays. Motif du licenciement : ce dernier s'est moqué dans la presse des déclarations du chef du gouvernement mettant en cause la fiabilité d'un système d'armement russe, les lance-missiles Iskander, durant le conflit du Haut-Karabakh. Selon le Premier ministre, ces derniers "n'explosaient que dans 10% des cas". Une déclaration jugée ridicule par Tigran Khachatrian et qui de surcroît menace de froisser la Russie, à l'origine de ce cessez-le-feu.
Aussitôt, l'état-major arménien réclame la démission de Nikol Pachinian. Selon l'armée, ce dernier n'est "plus en mesure de prendre les décisions qui s'imposent" et s'emploie à formuler des "attaques destinées à discréditer les forces armées". Pour l'opposition, "la déclaration de l'armée est un tournant". Estimant que le Premier ministre risque de conduire l'Arménie à la "guerre civile", le parti Arménie prospère interpelle Nikol Pachinian, invité à saisir "une dernière chance de partir sans qu'il y ait de troubles".
... qui dénonce une tentative de coup d'Etat
Si l'appel de l'opposition n'est suivi d'aucun mouvement de troupe, Nikol Pachinian dénonce toutefois sur sa page Facebook "une tentative de coup d'Etat militaire". Son objectif : réaffirmer son autorité. Pour cela, il prend la tête d'une manifestation de ses partisans, jeudi 25 février, rassemblant quelque 20 000 personnes dans les rues d'Erevan.
#SONDAKİKA
— A Haber (@Ahaber) February 25, 2021
Paşinyan Erivan sokaklarında... Darbeye karşı sokağa çağırdığı destekçileriyle buluştu pic.twitter.com/DJdKrgkmha
Le pas décidé, mégaphone en main, le Premier ministre de 45 ans s'exprime face à la foule. "La situation est tendue mais tout le monde est d'accord qu'il ne doit pas y avoir d'affrontements, la situation est gérable", déclare-t-il, qualifiant l'appel des militaires à son départ de "réaction sous le coup de l'émotion". "L'armée (...) doit obéir au peuple et aux autorités élues. Ce sont mes ordres et personne ne peut y désobéir", lance-t-il sous les hourras.
Un dialogue rompu avec l'opposition
Mais pendant ce temps, une deuxième manifestation s'élance, celle-ci guidée par l'opposition. Elle conduit les manifestants devant le siège de la présidence puis du gouvernement, où doit se tenir une rencontre entre Nikol Pachinian et le président Armen Sarkissian, dont la fonction est essentiellement honorifique. Après avoir campé pendant la nuit, les opposants défilent à nouveau vendredi dans le centre d'Erevan, la capitale, agitant des drapeaux arméniens et scandant des slogans anti-pouvoir. "Le peuple doit descendre dans la rue et exprimer sa volonté pour qu'on évite un bain de sang et la crise", lance l'ex-Premier ministre Vazguen Manoukian, que l'opposition aimerait voir à la tête du gouvernement.
Si la puissante Eglise apostolique arménienne (une église chrétienne orthodoxe) appelle les forces politiques à trouver une solution "à la table des négociations pour le bien de la patrie et du peuple", les discussions s'annoncent compliquées. Nikol Pachinian se dit en effet prêt à entamer des "consultations" avec l'opposition pour apaiser les tensions, mais menace d'arrêter tous ceux qui violeraient la loi.
La Russie appelle "au calme"
"Nous suivons la situation de près." Dès jeudi, Ned Price, le porte-parole de la diplomatie américaine, a appelé à la "retenue" en Arménie, exhortant les forces armées à "ne pas intervenir" dans les affaires politiques du pays. "Nous exhortons toutes les parties à faire preuve de retenue et à s'abstenir de tout acte de violence ou qui favoriserait une escalade", a-t-il ainsi déclaré.
De son côté, le Kremlin, "préoccupé" par la situation, a également appelé "au calme" dans cette ex-république soviétique du Caucase, un allié traditionnel de la Russie. La Turquie, ennemi juré de l'Arménie et qui a soutenu militairement l'Azerbaïdjan dans le conflit du Haut-Karabakh, s'est également inquiétée également d'une escalade des tensions dans le pays, condamnant "fermement" la "tentative de putsch".
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