Taïwan : on vous explique la polémique après les propos d'Emmanuel Macron, qui défend une "autonomie" européenne face à la Chine et aux Etats-Unis
Il revendique "l'autonomie stratégique" de l'Union européenne, mais son plaidoyer n'a pas eu l'effet escompté. Au retour de sa visite d'Etat à Pékin et Canton, Emmanuel Macron a appelé les Vingt-Sept à ne pas "être suivistes" concernant les tensions entre Taïwan et la Chine, dans un entretien à Politico et aux Echos paru dimanche 9 avril. "Avons-nous intérêt à une accélération sur le sujet de Taïwan ? Non", a-t-il affirmé.
"La pire des choses serait de penser que nous devrions être suivistes et nous adapter au rythme américain et à une surréaction chinoise."
Emmanuel Macron, président de la Républiquedans Politico et "Les Echos"
Cette déclaration du chef de l'Etat intervient alors que Pékin mène des exercices d'encerclement autour de Taïwan, simulant des attaques et un blocus de l'île qu'elle considère comme faisant partie de son territoire. Une nouvelle démonstration de force, déclenchée après une rencontre, en Californie, entre la présidente taïwanaise, Tsai Ing-wen, et le président de la Chambre des représentants des Etats-Unis, Kevin McCarthy.
"Une rhétorique naïve et dangereuse"
Dans ce contexte de vives tensions, la position d'Emmanuel Macron a été interprétée comme une prise de distance avec Washington par une partie de la presse américaine. Dans un édito publié dimanche, le Wall Street Journal* estime qu'Emmanuel Macron "affaiblit la dissuasion contre l'agression chinoise et sapait le soutien américain à l'Europe". Le Financial Times* relaie pour sa part des reproches sur la "mollesse à l'égard de Pékin" du président français, qui a "rebuté certains alliés".
Des élus républicains sont aussi montés au créneau. Mike Gallagher, président de la commission de la Chambre des représentants sur la Chine, a déclaré à Fox News* que les propos du président français étaient "gênants, scandaleux (...) et naïfs sur le plan géopolitique". "Nous devons déterminer si Emmanuel Macron s'exprime au nom de l'Europe", a ajouté l'ancien candidat à la présidentielle Marco Rubio sur Twitter*.
Ce n'est pas le cas, à en croire les premières réactions européennes. "Pour protéger notre liberté, les démocrates doivent s'unir pour défendre un monde basé sur le droit [international], en Ukraine et à Taïwan. Nous devons renforcer notre alliance avec les Etats-Unis", a déclaré l'eurodéputé allemand Manfred Weber, chef des conservateurs du Parti populaire européen, sur Twitter*, semblant prendre le contre-pied d'Emmanuel Macron.
"Macron (...) divise et affaiblit l'Europe avec une rhétorique aussi naïve et dangereuse", a abondé le député conservateur allemand Norbert Röttgen dans les colonnes de Bild. Le président français fait preuve d'un "aveuglement géopolitique" et agit "à l'encontre des intérêts stratégiques de l'Union européenne et de l'Otan", renchérit un élu lituanien, cité par le Financial Times*.
"L'alliance avec les Etats-Unis est un fondement absolu de notre sécurité qui s'appuie sur deux piliers, la coopération économique et dans le domaine de la défense", a aussi martelé le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki avant de s'envoler pour Washington. Les Européens de l'Est restent en effet très attachés à l'Otan et à la protection américaine, a fortiori depuis la guerre en Ukraine.
"Une analyse erronée"
Une suspicion partagée à droite en France. Le patron des députés LR, Olivier Marleix, y voit un "signal donné aux Chinois" et par extension "un signal donné aux Russes" sur l'Ukraine. Le député d'Eure-et-Loir regrette que le chef de l'Etat soit "allé en Chine pour plaider pour la souveraineté de l'Ukraine, chercher une aide ou une influence chinoise sur la Russie" pour "au bout du compte en réalité [sacrifier] la souveraineté de Taïwan".
Jusque dans les rangs de la majorité présidentielle, les propos du chef de l'Etat font des sceptiques. "C'est incompréhensible", juge la députée Renaissance Anne Genetet, qui a suivi Emmanuel Macron lors de sa visite d'Etat en Chine. "Il a très envie de s'inscrire dans cette tradition gaullienne, pas inféodée aux Etats-Unis, explique-t-elle au Point. [Mais] il y a une nuance entre inféodé, vassalisé ou pas aligné."
"L'analyse [du président français] est totalement erronée. (...) Les Etats-Unis ne veulent pas changer le statu quo dans le détroit de Taïwan, au contraire, ils veulent le maintenir. C'est bien la Chine qui multiplie les opérations militaires qui changent le statu quo", décrypte Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique, interrogé par le Point.
"Le timing et le contexte sont catastrophiques."
Antoine Bondaz, sinologuedans "Le Point"
Face à la controverse, la Maison Blanche a tenté de rassurer sur sa bonne entente avec Paris. "Il y a une convergence considérable entre nous et nos alliés européens sur la manière dont nous faisons face au challenge chinois", a réagi un porte-parole du département d'Etat, cité par Politico*.
"Nous sommes à l'aise et nous avons toute confiance dans notre excellente relation bilatérale avec la France et dans la relation que le président [Joe Biden] a avec le président Macron", a abondé John Kirby, porte-parole du Conseil de sécurité nationale, lors d'un point-presse. Avant de botter en touche et de "laisser l'Elysée s'exprimer sur les remarques" du chef d'Etat français.
"Nous sommes clairs sur nos principes"
Lundi soir, l'entourage d'Emmanuel Macron a balayé la polémique. Une source anonyme à l'Elysée assure au Figaro que "sur Taïwan, personne ne peut nous reprocher l'ambiguïté". "Des relations de défense à la stratégie indo-pacifique, nous sommes clairs sur nos principes vis-à-vis de la Chine comme des droits de l'homme, insiste cette source. Mais nous n'alimenterons pas une escalade accélérée contre-productive pour tous."
Mardi matin, la polémique était loin d'être éteinte et le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, tentait encore de clarifier la position française. "Le président de la République a parfaitement raison de réclamer l'indépendance et la souveraineté européenne comme il le fait depuis 2017", a-t-il déclaré sur Europe 1. "Nous sommes évidemment les alliés des Etats-Unis, nous partageons les mêmes valeurs, nous partageons beaucoup d'intérêts économiques en commun, mais ce n'est pas parce que nous sommes les alliés des Etats-Unis que nous devons être contre la Chine", a-t-il défendu.
* Les liens suivis par des astérisques renvoient vers des contenus en anglais.
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