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Président d'Interpol : "La disparition forcée est une pratique répandue en Chine"

Franceinfo a interrogé Jean-Vincent Brisset, spécialiste de la Chine, pour comprendre le contexte de la disparition de Meng Hongwei, le président d'Interpol. 

Article rédigé par franceinfo
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Le président d'Interpol, Meng Hongwei, lors du congrès international de cette organisation à Singapour, le 4 juillet 2017. (ROSLAN RAHMAN / AFP)

Le patron d'Interpol qui se volatilise au nez et à la barbe de la communauté internationale : ce scénario digne d'un film d'espionnage est bien réel. Porté disparu depuis fin septembre après être parti en Chine, Meng Hongwei est aujourd'hui entre les mains de la justice chinoise. L'homme de 64 ans, accusé d'avoir accepté des pots-de-vin, s'ajoute à une longue liste de personnes ayant elles aussi disparu du jour au lendemain dans le pays. Pour Jean-Vincent Brisset, directeur de recherche à l’Iris et spécialiste de la Chine, il s'agit d'une des armes du régime pour réduire au silence "ceux qui dérangent".

Franceinfo : Quelle a été votre première réaction lorsque vous avez appris la disparition du patron d'Interpol, le 5 octobre ?

Jean-Vincent Brisset : J'ai tout de suite pensé à une disparition forcée, c'est une méthode courante en Chine. On arrête quelqu'un, on le met au secret quelque temps, plusieurs jours, plusieurs mois, plusieurs années. Les plus chanceux réapparaissent un jour, les autres non. En revanche, ce qui m’étonne cette fois, c’est la fonction de la personne visée. Meng Hongwei était quand même président d'Interpol, c'est-à-dire le patron de l’organisation internationale de la coopération policière. C'est un poste central, visible et médiatique. S'attaquer à lui, c'est assez gonflé. En tout cas, pas très discret.

Comment fonctionnent ces disparitions forcées ?

Les autorités chinoises utilisent cette méthode de rétention pour obtenir des informations dans leur guerre contre la corruption, qui est un véritable fléau en Chine. Mais, souvent, ce n'est qu'un prétexte. Elles utilisent cette lutte contre la corruption pour éliminer les opposants et tous ceux qui dérangent. Ce dispositif de la loi chinoise a un nom : cela s'appelle la "résidence surveillée dans un lieu déterminé", plus souvent appelée RSLD. C'est une manière de serrer la vis, surtout lorsque le régime en place se sent critiqué.

Qui sont les personnes les plus touchées ?

Politiques, artistes, avocats, journalistes... Tous les milieux sont touchés. Récemment, une actrice chinoise [Fan Bingbing] a été portée disparue, avant de réapparaître comme par magie trois mois après. Elle a présenté ses excuses publiques pour un délit de fraude fiscale, et voilà, dossier clos. Des hommes d'affaires se sont eux aussi volatilisés avant de refaire leur apparition soudainement. On l'a aussi vu avec la condamnation à la prison à vie, il y a quelques années, de Bo Xilai, qui était pourtant une étoile montante du Parti communiste chinois. La liste est encore longue... Pour autant, impossible de vous donner plus de détails. 

Cette loi est faite pour qu'on ne sache absolument rien.

Jean-Vincent Brisset

à franceinfo

On ne sait pas comment ça se passe concrètement, on ne sait pas ce qui se passe à l'intérieur, on ne sait pas réellement où sont ces endroits, on ne sait pas comment se déroulent les interrogatoires... Et ceux qui en ressortent n'arrivent pas à dire où ils étaient enfermés. Mais les quelques rescapés qui ont témoigné racontent avoir été maltraités.

Que reproche officiellement Pékin à Meng Hongwei ?

D'avoir "accepté des pots-de-vin" et d'avoir "violé la loi". C'est en tout cas ce qu'ont fait savoir les autorités. Mais ce qui est certain, c'est que les poursuites à son encontre sont aussi politiques. Avant de prendre la tête d'Interpol, Meng Hongwei occupait le fauteuil de vice-ministre de la Sécurité publique en Chine. C’est un flic au départ, il a fait toute sa carrière dans la sécurité. C'était un nom important dans les arcanes du Parti communiste chinois.

A votre avis, que va-t-il désormais se passer pour lui ?

Il est clair que Pékin n'avait pas imaginé que sa disparition allait entraîner un tel émoi dans le monde, et notamment en France. A mon avis, on se dirige vers une auto-accusation, comme pour l'actrice Fan Bingbing. Après ? Un procès, de la prison… Il est impossible de le savoir.

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