Ce qu'il faut retenir du rapport d'Oxfam, qui propose d'"abolir" les milliardaires pour réduire des inégalités qui se creusent
"Chaque milliardaire représente un échec de politique publique." Dans son rapport annuel (document PDF) publié à l'occasion de l'ouverture du Forum de Davos, lundi 16 janvier, l'ONG Oxfam milite pour une abolition, à terme, des milliardaires. Oxfam relève également que les inégalités économiques "ont atteint des niveaux extrêmes et dangereux" partout dans le monde, du fait de la pandémie de Covid-19 et de l'inflation galopante.
"Les inégalités ne font pas qu'augmenter, elles s'accélèrent. Avec, d'une part, l'augmentation de l'extrême pauvreté et, de l'autre, une concentration toujours plus importante des richesses", explique à franceinfo Quentin Parrinello, responsable plaidoyer justice fiscale et inégalités d'Oxfam France et co-auteur du rapport.
La confédération, qui réunit 21 organisations à travers le monde, estime que les inégalités sont devenues "une menace existentielle pour nos sociétés, paralysant notre capacité à endiguer la pauvreté". Voici ce qu'il faut retenir de ce rapport.
Des inégalités encore aggravées par la pandémie de Covid-19 et l'inflation
La pandémie de Covid-19 (déjà pointée par l'ONG l'an passé) et la récente flambée des prix des denrées alimentaires et de l'énergie ont particulièrement aggravé les inégalités, relève Oxfam. Ces crises "ont détruit des emplois et entraîné des baisses de salaires et des coupes dans les budgets des ménages qui menacent la vie et les moyens de subsistance des personnes les plus pauvres dans le monde", pointe le rapport.
"Pour la première fois en 25 ans, l'extrême richesse et l'extrême pauvreté ont fortement augmenté simultanément", pointe Oxfam, qui s'appuie sur les estimations du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). "En 2020, plus de 70 millions de personnes supplémentaires ont basculé dans l'extrême pauvreté [vivant avec moins de 2 euros par jour], soit une augmentation de 11%."
En 2022, plusieurs pays africains ont par ailleurs été frappés plus durement que la moyenne mondiale par la forte inflation. "L'inflation du prix des denrées alimentaires en Ethiopie (44%), en Somalie (15%) et au Kenya (12%) [dépasse] celle des pays du G7 (10%) et la moyenne mondiale (9%)", précise le rapport. Dans un tel contexte, la Banque mondiale a annoncé que "l'objectif d'éradication de l'extrême pauvreté à l'horizon 2030 ne pourra pas être atteint", écrit également Oxfam.
Des bénéfices exceptionnels d'entreprises à taxer
Il faut "mettre les entreprises à contribution", estime Quentin Parrinello. "Les entreprises des secteurs de l'alimentation et de l'énergie enregistrent des bénéfices record et versent des sommes sans précédent à leurs riches actionnaires et propriétaires milliardaires", dénonce à ce titre Oxfam dans son rapport.
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Les "superprofits" des entreprises sont donc dans le viseur de l'ONG, qui propose de taxer davantage les bénéfices exceptionnels, à l'image des milliards de bénéfices enregistrés par les groupes pétroliers ces derniers mois grâce à la flambée des cours de l'énergie, sur fond de guerre en Ukraine. Selon Oxfam, ces mesures permettraient de ramener la fortune des milliardaires et leur nombre à leur niveau de 2012, avant que les chiffres ne s'emballent.
Des milliardaires de plus en plus nombreux et de plus en plus riches
Portées par la flambée des cours de la Bourse, les grandes fortunes se sont envolées au cours des dix dernières années : sur 100 dollars de richesse créée, 54,4 dollars sont allés dans les poches des 1% les plus aisés, tandis que 70 centimes ont profité aux 50% les moins fortunés, constate Oxfam.
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Les milliardaires ont doublé leur fortune, tout en étant de plus en plus nombreux, explique également Quentin Parrinello. Cette hausse est "six fois plus [importante] que l'augmentation des richesses des 50% les plus pauvres", précise le rapport, qui ajoute qu'au cours des dix dernières années, "les 1% les plus riches ont capté 74 fois plus de richesses que les 50% les plus pauvres".
Dans son rapport spécifiquement consacré à la France (document PDF), Oxfam prend l'exemple des 10 premiers milliardaires français, rappelant qu'à eux seuls, depuis le début de la pandémie, ils ont augmenté leur fortune de 189 milliards d'euros, "soit l'équivalent de deux ans de facture de gaz, d'électricité et de carburant" pour l'ensemble des Français, précise l'ONG. A ce titre, la fortune de Bernard Arnault, l'homme le plus riche du monde, a par exemple doublé depuis le début de la pandémie, passant de 85,7 milliards d'euros en 2020 à 179 milliards d'euros en 2022. Le PDG du groupe LVMH possède ainsi "une fortune équivalente à celle de 20 millions de Français", chiffre Oxfam France.
A titre d'exemple, l'ONG estime que seuls 2% de la fortune actuelle des milliardaires français (544,5 milliards d'euros) suffirait à financer le système des retraites, sans avoir à passer par une réforme et un recul de l'âge légal de départ.
Une "abolition" des milliardaires à long terme
Pour réduire les inégalités et tenter de rétablir une forme d'équilibre entre les plus riches et les plus pauvres, Oxfam estime qu'"abolir complètement les milliardaires pourrait devenir un objectif imaginable". Selon l'ONG, la taxation a un rôle "crucial" à jouer afin de diminuer le nombre de milliardaires sur la planète, et doit toucher les revenus et le capital des plus aisés. Parmi les mesures proposées dans le rapport, figurent un impôt exceptionnel sur la fortune, une taxe sur les dividendes et une hausse de l'imposition sur les revenus du travail et du capital des 1% les plus riches.
Pour la confédération, le capital doit être davantage taxé sur les gains réalisés par les grandes fortunes. "Bon nombre des hommes les plus riches de la planète ne paient pratiquement pas d'impôts. Le 'taux d'imposition réel' d'Elon Musk, l'un des hommes les plus riches du monde, ne serait que de 3,2%, et celui de Jeff Bezos, autre milliardaire, serait inférieur à 1%", pointe Oxfam.
Imposer les milliardaires sur leur fortune contribuerait ainsi à lever 1 700 milliards de dollars par an, au niveau mondial, "ce qui permettrait par la suite aux gouvernements de financer des politiques sociales", précise Quentin Parrinello, qui estime que "les inégalités sont un choix politique". Selon le rapport, cette somme serait "suffisante pour sortir 2 milliards de personnes de la pauvreté".
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