L'article à lire pour comprendre la situation au Brésil
La présidente brésilienne s'apprête à céder le pouvoir à son vice-président, jeudi, après l'ouverture de son procès en destitution par le Sénat. Retour sur les raisons de cette sortie annoncée.
Son sort semble désormais scellé. La présidente brésilienne Dilma Rousseff a été suspendue jeudi 12 mai de ses fonctions par le Sénat. Et elle s'apprête à céder le pouvoir à son vice-président Michel Temer, après l'ouverture de son procès en destitution par le Sénat.
Depuis plusieurs semaines, des millions de Brésiliens, tout de jaune et vert vêtus, défilent dans les rues de Rio, São Paulo ou encore Brasilia, afin de réclamer le départ de la présidente. Pour eux, la coupe est pleine. Marre de la situation économique du pays, du coût de la vie, et surtout de la corruption qui ronge la sixième puissance économique mondiale. Francetv info vous résume ce qu'il faut savoir pour comprendre la situation au Brésil.
Que reproche-t-on à Dilma Rousseff ?
Son gouvernement aurait eu recours à une mécanique dite de "dribble fiscal", qui consiste à maquiller les comptes du pays en finançant des dépenses budgétaires par des emprunts aux banques publiques. Cette manœuvre aurait permis à Dilma Rousseff d’être réélue en 2014 malgré une situation économique difficile.
Le 7 octobre 2015, le Tribunal des comptes de l’Union a rejeté à l’unanimité les comptes publics brésiliens de 2014. C’est la première fois qu’un budget n'est pas validé depuis 1937, rapporte Courrier International. Une procédure parlementaire de destitution a ensuite été lancée à l’encontre de Dilma Rousseff en décembre 2015, à l’initiative de l’opposition de droite.
C'est tout ?
Non ! Ce n’est pas la première affaire à laquelle Dilma Rousseff est mêlée. En mars 2014, l’immense scandale de corruption "Petrobras", du nom de l'entreprise pétrolière contrôlée par l'Etat, éclate au grand jour. Petrobras et les géants brésiliens du BTP se seraient partagé des marchés pour les surfacturer en échange de pots-de-vin versés à la coalition de centre-gauche au pouvoir. Cette combine aurait fonctionné depuis 2003, année de l'élection à la présidence de Lula, le leader du Parti des travailleurs (PT) et mentor de Dilma Rousseff, explique Le Monde.
Le nom de l'enquête, menée par le juge fédéral Sérgio Moro, est clair : "lava jato", soit "lavage express". Depuis deux ans, 133 condamnations à des peines de prison ont été prononcées contre des responsables politiques, des intermédiaires, des cadres d’entreprises et des fonctionnaires, rapporte O Globo (en portugais). L'étau se resserre autour de l'ancien président. La justice soupçonne Lula d'avoir bénéficié d'un luxueux appartement en triplex, à Guarujá, une station balnéaire prisée, proche de São Paulo, relaie Courrier international. Or cet appartement serait la propriété d'une société de BTP en lien avec le géant brésilien du pétrole.
Dilma Rousseff pouvait-elle ignorer ces pratiques ? La plupart des Brésiliens estiment que non. Et pour cause, alors qu'elle était ministre des Mines et de l’Energie entre 2003 et 2005, elle présidait aussi le conseil de direction de l’entreprise Petrobras.
Mais alors, quel est son degré d’implication dans l’affaire Petrobras ?
Dilma Rousseff n’aurait pas bénéficié directement des pots-de-vin, mais ceux-ci auraient pu servir à financer ses campagnes présidentielles de 2010 et 2014. Par ailleurs, elle est soupçonnée d’avoir récemment manœuvré pour protéger son mentor, Lula, des retombées judiciaires de l’affaire.
En mars 2016, elle l'a appellé au gouvernement. Officiellement, l’homme du miracle socio-économique brésilien des années 2000 était censé l'aider à redresser la barre d’un pays en proie à de grandes difficultés économiques (le chômage explose, le pays s'enfonce dans la récession, et les prix ne cessent d'augmenter).
Mais la nomination de l'ancien président est intervenue dix jours après son audition par la justice et la perquisition de son domicile qui ont débouché sur la demande de son placement en détention. Or, ce poste ministériel lui aurait permis d'échapper à la justice. Les ministres ne peuvent en effet répondre pénalement de leurs actes que devant le tribunal suprême fédéral. La réponse de la magistrature n'a pas tardé. Un juge a ordonné la suspension de la nominantion de Lula au gouvernement, y voyant une possible entrave à la procédure judiciaire venant directement de la présidente Dilma Rousseff.
Les soupçons se sont encore renforcés à la suite de la diffusion d'un enregistrement téléphonique entre l’actuelle présidente et son prédécesseur, par le juge fédéral Sergio Moro, chargé de l’enquête Petrobras. On y en entend Dilma Rousseff demander à Lula de ne se servir du décret de nomination qu’elle venait de lui faire parvenir “qu’en cas d’absolue nécessité”. Sous entendu, s'il n'avait plus d’autre recours pour échapper à la justice.
Du coup, le sort de Dilma Rousseff est scellé ?
Elle n'exerce plus la présidence depuis jeudi 12 mai. Fin mars, le Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB), son principal allié, avait voté à main levée son retrait de la coalition gouvernementale. Les ministres de ce parti centriste ont été appelés à démissionner. C'est leur fronde qui a fait basculer le vote de l’Assemblée, le 17 avril, en faveur de la destitution de Dilma Rousseff.
Le 12 mai, un total de 55 sénateurs sur 81 ont voté sa mise en accusation, et 22 contre. Le Sénat a ensuité annoncé que la présidente était suspendue de ses fonctions. Elle sera remplacée dans la journée par son vice-président Michel Temer, qu'elle accuse de coup d'Etat institutionnel, en attendant le jugement final des sénateurs d'ici 6 mois.
Dilma Rousseff a déjà prévu de s'adresser à la nation vers 10 heures (15 heures en France), avant de quitter le palais du Planalto et de prendre un bain de foule avec ses partisans. Et son successeur annoncé, Michel Temer, devrait parler à 15 heures (20 heures en France), accompagné de son ministre des Finances Henrique Mereilles. Il devrait annoncer la formation d'une partie de son gouvernement, centré sur le redressement économique.
Le départ de Dilma Rousseff va-t-il permettre une moralisation de la vie politique brésilienne ?
C'est le paradoxe de la situation. "La plupart des députés qui ont voté la destitution sont poursuivis pour des crimes de corruption", souligne Frédéric Louault, spécialiste du Brésil, sur France Info.
Parmi eux, le président de la chambre des députés et membre du PMDB, Eduardo Cunha, serait également impliqué dans l’affaire Petrobras. Cet élu aurait perçu plusieurs millions de réaux en pots-de-vin, en échange de contrats juteux avec la compagnie pétrolière nationale, comme le rapporte Le Temps. "Selon un procureur, les charges pesant contre lui sont si lourdes qu’elles pourraient lui valoir jusqu’à 184 ans de prison”, précise le journal suisse.
Le successeur annoncé de Dilma Rousseff, Michel Temer, a lui aussi été cité à plusieurs reprises dans l’affaire Petrobras, même si aucune poursuite n’a à ce jour été engagée contre lui.
Les JO vont-ils être impactés ?
Le Comité international olympique (CIO) a publié, le 18 avril, un communiqué dans lequel il s'est voulu rassurant quant à la bonne organisation des JO : "La préparation pour les jeux Olympiques est maintenant entrée dans une phase très opérationnelle, où ce genre de questions politiques a beaucoup moins d’influence sur l’organisation des JO qu’à d’autres phases." Le CIO a tout de même affirmé suivre de près l'évolution des événements.
J'ai eu la flemme de tout lire, et je suis allé directement à la fin. Vous me faites un petit résumé ?
Les députés brésiliens se sont prononcés, le 17 avril, en faveur de la destitution de leur présidente, Dilma Rousseff. Et les sénateurs devraient à leur tour faire ce choix, jeudi 12 mai. Dilma Rousseff est accusée d'avoir maquillé les comptes du pays, en finançant des dépenses budgétaires par des emprunts aux banques publiques. Une manœuvre qui aurait permis sa réelection en 2014. Elle est également impliquée dans un scandale appelé Petrobras, dans lequel elle est suspectée d'avoir financé ses campagnes présidentielles de 2010 et 2014 grâce à des pots-de-vin. Ces derniers étaient versés par la compagie pétrolière nationale, en échange de l'attribution de marchés publics. Dilma Rousseff est aussi soupçonnée d'avoir voulu sauver son prédecesseur et mentor, Lula, des poursuites judiciaires dont il fait l'objet dans cette même affaire.
Si le Sénat approuve, comme attendu, la procédure de destitution, c'est l'actuel vice-président et leader du parti centriste PMDB, Michel Temer, 75 ans, lui-même cité dans l'affaire Petrobras, qui deviendrait président par intérim.
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