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Coup d'Etat en Birmanie : "La junte ne reculera devant rien pour arriver à ses fins"

Deux mois après avoir pris le pouvoir, l'armée birmane réprime de plus en plus violemment le mouvement prodémocratie. "Tout cela pourrait se terminer en bain de sang", s'inquiète la chercheuse Sophie Boisseau du Rocher auprès de franceinfo.

Article rédigé par franceinfo - Fabien Jannic-Cherbonnel
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Temps de lecture : 5min
De la fumée s'élève de pneus brûlés lors des manifestations pro-démocratie le 27 mars 2021 à Rangoun en Birmanie. (STRINGER / ANADOLU AGENCY / AFP)

Des dizaines de morts, dont des enfants. Selon l'ONU, l'armée a réprimé violemment des manifestations prodémocratie dans plusieurs villes de Birmanie samedi 27 mars. D'après l'organisation internationale, le bilan provisoire s'élève à au moins 89 morts. Le pays est traversé par une grave crise depuis que la cheffe du gouvernement civil Aung San Suu Kyi a été évincée du pouvoir par un coup d'Etat militaire le 1er février. Malgré une mobilisation importante, notamment de la jeunesse du pays, la junte au pouvoir semble résolue à réprimer de plus en plus violemment les manifestations. Un mouvement qui pourrait encore s'amplifier, selon Sophie Boisseau du Rocher, spécialiste de l'Asie et chercheuse à l'Institut français des relations internationales.

Franceinfo : Etes-vous surprise par la violence de la répression du mouvement prodémocratie ?

Sophie Boisseau du Rocher : Je suis très choquée, mais néanmoins pas surprise, quand on sait comment l'armée a l'habitude d'agir. Il suffit de se souvenir que le général Min Aung Hlaing est celui qui a mené la répression contre les Rohyngas en 2017. On connaît le résultat dramatique et on imagine qu'il ne reculera devant rien, aucun outil, aucune répression, pour arriver à ses fins. On est dans une situation terrible, où le droit est complètement piétiné par la force. 

Pourquoi l'armée fait-elle preuve d'autant de violence ?

La stratégie de l'armée est simple : faire une démonstration de force et écraser le mouvement prodémocratie. Elle ne s'attendait pas à l'ampleur de la résistance. On arrive bientôt au terme des deux mois, ce qui est symbolique, puisque la résistance en 1988 [année durant laquelle la répression de manifestations pacifiques s'étaient soldées par près de 8 000 morts] avait duré plus de deux mois. On se dirige probablement vers un vrai bain de sang.

Les Birmans ont l'habitude des actions de l'armée. Celle-ci cherche à calmer la situation car pour l'instant, le pays est absolument ingérable, les militaires ne peuvent pas mener leurs affaires comme ils l'entendent. On est dans un flottement qui met les militaires dans une situation très inconfortable et peut les pousser à devenir potentiellement très violents.

"La situation est grave pour les Birmans, parce qu'ils sont devant le choix inconcevable de leur vie ou de la démocratie. Et ils ne sont même pas sûrs que s'ils font le sacrifice de leur vie, ils parviendront à la démocratie."

Sophie Boisseau du Rocher

à franceinfo

Le mouvement prodémocratie risque-t-il de s'affaiblir devant la réponse de l'armée ?

On a vraiment une résistance qui s'organise et ça, c'est un phénomène nouveau. Il y a le Comité des députés et sénateurs du Parlement dissous, le CRPH, qui agit de façon souveraine et qui est un vrai espoir.

"Ce comité est la seule représentation légitime pour les manifestants. Pour eux, c'est ce comité qui doit représenter la Birmanie sur la scène internationale."

Sophie Boisseau du Rocher

à franceinfo

La vraie difficulté, c'est que les télécommunications sont sous contrôle, il est donc très difficile de transmettre des ordres. On pourrait craindre que ce comité s'évapore progressivement alors qu'il structure ces actions et agit au maximum pour trouver une solution négociée.

La jeunesse birmane, très mobilisée, va-t-elle continuer à participer à ce mouvement prodémocratie ?

Cette mobilisation de la jeunesse est nouvelle et très importante, puisque 25% de la population a entre 15 et 30 ans. Ils semblent très motivés, même si on sent que le soutien des plus vieilles générations est en train de faiblir.

"Les générations les plus âgées connaissent les actions violentes de l'armée puisqu'elles les ont vécues. Elles savent que l'armée peut faire du mal à cette jeunesse, qui représente encore une promesse d'avenir."

Sophie Boisseau du Rocher

à franceinfo

On est dans une situation très particulière où les jeunes veulent s'exposer mais sont un peu plus isolés du corps social général. Cela dit, il y a aujourd'hui, dans la société entière, une prise de conscience. Une communauté de moines Sangha [de Mandalay] a fait une déclaration la semaine dernière pour dire qu'elle ne soutenait pas les actions de l'armée et qu'elle appelait à la grève. C'est un geste symbolique qui pourrait redonner confiance aux jeunes.

L'Union européenne et le Royaume-Uni ont condamné les actions de la junte militaire. Les Etats-Unis ont déjà imposé des sanctions sur le pays. Cela fait-il peur à l'armée ?

On sait que les déclarations ou les sanctions n'ont pas d'impact sur l'armée birmane. Elle n'a qu'une envie : continuer à capter les ressources du pays, qu'elles soient politiques ou économiques. Elle se moque complètement des sanctions qui lui font un mal très relatif, puisque forte de son expérience, elle a placé ses ressources financières ailleurs que dans les pays occidentaux.

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