Les Thaïlandais, pro ou anti-Thaksin, blasés par les coups d'Etat
La Thaïlande a connu 19 coups d'Etat ou tentatives depuis 1932. Les manifestants anti-junte sont entre 100 et 200 à se rassembler quotidiennement depuis le putsch, devant le Monument de la Victoire, haut lieu de la contestation. Ces manifestations, qui ont culminé à un millier de personnes le 25 mai 2014, ont conduit durant le week-end à une dizaine d'interpellations à Bangkok, et à une dizaine d'autres à Chiang Mai, grande ville du nord du pays, fief des Rouges.
Parmi ces manifestants thaïlandais, qui se disent blasés par les putschs, qu'ils soient enseignants, consultants ou étudiants, on trouve des partisans des Chemises rouges soutenant le gouvernement de l'ex-Première ministre Yingluck Shinawatra, destituée par la justice avant le dernier coup d'Etat. Après sa nomination à la tête du gouvernement suite aux législatives de 2011, ses opposants avaient manifesté pendant sept mois pour réclamer sa démission.
D’autres manifestants anti-junte rejettent en revanche toute étiquette politique voulant dépasser les clivages traditionnels entre d'un côté les masses populaires qui soutiennent l'ex-Premier ministre en exil Thaksin Shinawatra et de l'autre, les élites proches du palais soutenant l’opposition, malheureuse dans les urnes depuis plus de dix ans. Depuis 2001, les partis pro-Thaksin ont remporté toutes les élections législatives, dont celles de 2011 qui avaient mené au pouvoir sa sœur Yingluck.
Une semaine après le soulèvement militaire, le général Prayut Chan-O-Cha a évoqué trois étapes pour le retour du pays à la démocratie, sans toutefois donner de calendrier. Le pays restera sous «loi spéciale» lors de la première étape, et plus tard, une assemblée nationale et un «conseil de réformes» seront mis en place, a indiqué la porte-parole de l'armée Sirichan Ngathong. Seulement alors la Thaïlande pourra préparer des élections, a-t-elle ajouté.
Prayut avait justifié son coup d'Etat par l’incapacité des acteurs politiques à négocier une sortie de crise, en sept mois de manifestations organisées par l’opposition. Durant celles-ci, 28 personnes avaient été tuées par des tirs et jets de grenade d’origine inconnue, en plein Bangkok.
«Le risque de violence est grand»
Les partisans de Thasksin sont à terre, mais pour combien de temps? «Le risque de violence est grand», estime Kan Yuenyong, du groupe de réflexion Siam Intelligence Unit. «Je ne m'attends pas pour l'instant à une guerre civile, mais nous verrons une certaine forme d'insurrection ou des violences aléatoires dans différentes zones», ajoute-t-il.
Certains experts prédisent des manifestations et des blocages de routes ou d’administrations provinciales. De leur côté, les consultants de IHS s’attendent à un «véritable risque» de voir des paramilitaires rouges attaquer des intérêts économiques associés aux sponsors présumés des manifestations anti-gouvernementales de ces derniers mois. La stratégie des Rouges pourrait, selon eux, être «un repli des leaders du gouvernement déchu vers leurs bastions pour contrôler des parties du nord et du nord-est, pendant que l'armée contrôlerait Bangkok et le sud».
Thaksin, facteur de division du pays
Les Chemises rouges, mouvement né après le précédent putsch de 2006, qui avait renversé leur héros Thaksin Shinawatra, avaient mis en garde contre une guerre civile en cas de chute du gouvernement. L'aversion pour les élites soutenues par l'armée est profonde chez les Rouges. En 2010, plus de 90 personnes avaient été tuées lors de manifestations d'ampleur de Chemises rouges réprimées par l'armée. Les contestaires réclamaient la démission d'un gouvernement arrivé au pouvoir grâce à la destitution d'un autre gouvernement pro-Thaksin. Prayut, alors numéro deux de l'armée de terre, avait été décrit comme l'artisan de l'assaut militaire.
Traditionnellement, les coups d'Etat en Thaïlande se font avec l'aval du palais, selon les experts, même si Prayut a assuré cette semaine avoir «agi de (son) propre chef». Le nouveau régime a dissous le Sénat, suspendu la Constitution et confié l'autorité législative au général Prayut, qui concentre désormais tous les pouvoirs.
Malgré les mises en gardes de l'armée à l'encontre des opposants au putsch, certains Rouges sont déterminés: «Nous n'avons plus peur de l'armée depuis longtemps», assure un militant, dont le mouvement a été frappé de plein fouet par le nouveau régime.
Le précédent putsch en 2006 contre Thaksin Shinawatra avait poussé le milliardaire, poursuivi pour corruption, à fuir à Dubaï pour échapper à la prison. Toujours haï par les élites de Bangkok, mais bénéfiçiant du soutien des populations rurales et défavorisées du nord et du nord-est, reconnaissantes des politiques qu'il a initiées en faveur des plus pauvres, Thaksin reste un facteur de division en Thaïlande. Le pays est englué dans une série de crises politiques qui font descendre dans la rue tour à tour ses ennemis et ses partisans.
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